Elle a choisi de partir dans les DOM-TOM pour changer d’horizon, soigner et développer sa spé en médecine générale DESC de nutrition.
* Docteur Diana
PORTRAIT
« Kò an mwen pa bon1», se plaint un patient d’une soixantaine d’années, arrivé tout juste aux Urgences du CHU de Pointe-à- Pitre. Diana Okamba Belle, interne en 3e semestre de médecine générale, le rassure comme elle peut en créole, langue qui selon elle est plus facile à comprendre qu’à prononcer. Une partie non négligeable de la population ne parle que le créole sur l’île. Cette nancéenne de 27 ans, d’origine congolaise, a choisi de partir aux DOM-TOM dans une optique médicale puisqu’elle aimerait se spécialiser en obésité/ dénutrition et intégrer, ensuite, une mission en Afrique au sein de la Croix-Rouge ou de l’Unicef. Les Antilles ne sont pas un choix par défaut ni une envie de vacances. Bien au contraire. Au vu des petites équipes et du turn-over des médecins, les internes sont très sollicités, plongés dans le grand bain dès leurs premières gardes. « Les internes en stage en gynécologie font des accouchements dès le premier semestre dans certains hôpitaux aux Antilles, beaucoup plus facilement que dans des CHU en métropole où la priorité est aux plus vieux semestres, relève Diana. On acquiert assez vite une grande autonomie et on doit s’adapter à cette nouvelle vie d’interne associé à la découverte d’une nouvelle culture ». Elle revient sur l’idée reçue du manque de moyens ou de matériel dans les hôpitaux antillais. « Nous avons les mêmes équipements qu’en métropole, assuret- elle. Nous sommes seulement plus vigilants sur la consommation de produits de base comme par exemple les compresses, les gants… car leur temps d’acheminement, depuis la métropole, est long et coûteux. Et finalement, cela nous apprend aussi à être économe au quotidien ! ». Néanmoins, le manque de spécialiste se fait ressentir ce qui peut entraîner des retards de prise en charge, assez frustrant parfois. Quant à la nonchalance caribéenne, Diana dément : « Les gens ici sont moins pressés, mais à l’hôpital tout le monde s’active et on court toujours après le brancardier ! ».
BILAN APRÈS 6 MOIS
Les internes du Centre hospitalier de Basse Terre (CHR où elle a effectué ses deux premiers semestres) sont une vingtaine, toutes spécialités confondues. Une petite équipe dans laquelle « les liens se tissent très vite, confie-t-elle. Idem avec les paramédicaux, les liens peuvent être plus forts que dans des grandes structures comme le CHU ». Randonnées, visites de l’île, activités sportives : les sorties des internes se font en groupe, la colocation largement développée y contribuant. Pour le prix d’un appart à Paris ou Toulouse, les internes se partagent une villa avec piscine. Sur ses temps de repos, elle profite des nouvelles saveurs où le colombo de poulet a remplacé le saucisson et la noix de coco le camembert. « Au vu des prix dans les supermarchés, il vaut mieux s’alimenter avec les produits locaux, et de temps en temps s’accorder des petites folies – nos salaires nous le permettent », constate Diana. Côté sport, elle pratique la planche à voile quand d’autres font de la plongée, du surf ou prennent des cours de salsa. Mais cette carte postale a aussi son prix. « J’ai eu un contrecoup au bout de 6 mois où j’avais l’impression d’être dans une émission de télé-réalité entre l’excitation du voyage, le dépaysement et les soirées. C’est génial, mais pas toujours facile d’être loin de la famille et des amis restés en métropole ». Elle s'investit alors au sein de l’association locale des internes BIG UP (Bureau des Internes de Guadeloupe) ayant pour mission, entre autres, les évaluations de stages, l’accueil des nouveaux internes et l’organisation du week-end d’intégration.
SCOLOPENDRE ET MILLE PATTES GÉANTS
Diana fera son internat à cheval entre la Guadeloupe, la Martinique, et la Guyane. Même si, en ce qui concerne la Guyane, elle a des réserves vu les conditions environnementales et climatiques (saison des pluies durant plusieurs mois) et les nombreuses espèces d’insectes dont elle ne raffole pas. Certaines de ces créatures se retrouvent pourtant en Guadeloupe comme la scolopendre, mille-pattes géant dont certains atteignent 20 cm. Sa morsure est très douloureuse et entraîne, en fonction des personnes, un érythème, un oedème ou des réactions allergiques plus importantes.
Néanmoins, en entendant de plus en plus de retours positifs sur la Guyane de la part de ses co-internes, elle pourrait peut-être se laisser tenter… « Ce serait dommage de faire un internat dans les Caraïbes sans voir la Guyane. Pour beaucoup d’internes passés là-bas, cela n’a rien à voir avec la Guadeloupe ou la Martinique. C’est vraiment à part et à faire. »
Ce serait dommage de faire un internat dans les Caraïbes sans voir la Guyane...
En Guadeloupe, les émotions furent fortes en novembre dernier, avec l’incendie du CHU de Pointe-à-Pitre. Diana était en repos de garde mais ses co-internes lui ont raconté la réactivité et la solidarité du personnel hospitalier face à la fumée qui a envahi la Tour Sud, bâtiment qui réunit en partie les urgences, le bloc opératoire, la réanimation et la maternité, services qui ont été les plus impactés. « Ils ont évacué tous les malades, parfois sur des fauteuils de bureau, les brancardiers les transportaient dans les escaliers. Les patients ont été réorientés vers les structures privées ou vers les hôpitaux de soins de suite et de rééducation, relate Diana. Le gouvernement a mis en place une structure appelée ESCRIM2, c’était la première fois qu’elle était déployée lors d’une opération non militaire, sur le territoire Français ». Cette tente permet de développer une activité médico-chirurgicale dans une structure de 1000 m². « Ce fut une expérience unique pour le corps soignant, d’organiser les soins dans ce contexte ; pas toujours évident mais l’ESCRIM nous a aidé à bien nous organiser pendant 1 mois ».
À QUAND UN INTERCHU DOM-TOM / MÉTROPOLE ?
Diana sait déjà ce qu’elle souhaite pour la destination de son prochain stage : les Urgences du CHU de Fort-de-France en Martinique, après 1 an et demi en Guadeloupe, terre dont elle a du mal à se séparer. Néanmoins, elle aimerait pouvoir enrichir son expérience en stages en Métropole ou à l’international. Un souhait aujourd’hui fermé pour tous les internes en médecine générale alors qu’il est ouvert aux autres spécialités. « Il faut mettre en place des interchu DOM-TOM/Métropole pour apprendre les uns des autres au lieu de rester cloisonnés, insiste-t-elle. Je sais qu’il y a aussi des accords entre certaines facultés de l’Hexagone et des ONG pour des missions sur le terrain à l’étranger qui valident un semestre », constate-t-elle avec une pointe d’amertume. A défaut de partir sillonner les dispensaires dans la Corne de l’Afrique ou en Asie, elle fourmille de projets sur place. « Il y a beaucoup à faire sur les questions de l’obésité et de la nutrition dans les DOM-TOM avec l’implication d’équipes interdisciplinaires », remarque-t-elle. En Guadeloupe, plus de la moitié de la population est en surpoids dont 23 % en situation d’obésité. Une médecine engagée, contre le régime saturé de graisses et de sucres qui gangrène les îles des Caraïbes et du Pacifique. « En résumé, c’est le meilleur choix que j’ai eu à faire. Je ne regrette rien. C’est un sacré enrichissement culturel, affirme-t-elle avec enthousiasme. Arriver aux Antilles Guyane avec des internes venant de tout l’Hexagone, c’est un excellent réseau de professionnels que nous formons pour plus tard ».
- L'UFR des Sciences médicales Antilles- Guyane a été créée en 1985 avec les CHU de Pointe-à-Pitre et Fort-de-France ainsi que le CH de Cayenn.
- L’UFR de Bordeaux délivre à tous les internes en stage aux Antilles un livret de créole version médicale.
- Les internes ont une prime pour vie chère au même titre que les fonctionnaires : ils gagnent 30 à 40 % en plus que les métropolitains.
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°19