Description du sexisme et des autres violences

Publié le 24 May 2022 à 07:10

RENCONTRÉS PAR LES FEMMES INTERNES EN MÉDECINE GÉNÉRALE ET RÉPERCUSSIONS SUR LA CONSTRUCTION DE LEUR IDENTITÉ PROFESSIONNELLE

Introduction

Contexte : une prise de conscience mondiale
l’année 2017 a été marquée par l’affaire Weinstein et la vague mondiale de prise de parole qui s’en est suivie dénonçant de nombreux faits de harcèlements et d’agressions sexuelles sous la bannière du hashtag #Metoo.

Initié dans le milieu hollywoodien, ce phénomène de prise de conscience des violences faites aux femmes est depuis décrit comme un véritable mouvement social féminin du XXIème siècle. Il a contribué à la libération et la prise en compte de la parole des femmes dans tous les domaines professionnels jusque dans le monde scientifique, comme l’illustrent les hashtags #metoomedicine, #metooscience, les blogs de recueils de témoignages de sexisme en milieu hospitalier tel que Payetablouse et la nette multiplication des travaux s’intéressant au sexisme ainsi qu’aux violences de manière plus générale dans les métiers du soins, au niveau national et international.

Le sexisme est défini par le Secrétariat d’État chargé de l'Égalité entre les femmes et les hommes comme une idéologie qui repose sur l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes, constituant ainsi le principal obstacle à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il s’appuie sur un ensemble de croyances et de stéréotypes instaurant un terrain propice à la multiplication des violences sexistes et sexuelles. Celles-ci forment un continuum allant des blagues et remarques déplacées… jusqu’aux agressions, viols et féminicides.

En France, plus d’une femme sur deux (53 %) a déjà été victime de harcèlement ou d’agression sexuelle au moins une fois dans sa vie, selon un sondage réalisé par Odoxa en 2017. Dans cette même étude, une femme sur six (17 %) déclare avoir déjà été victime de harcèlement sexuel sur son lieu de travail.

Des chiffres qui font écho à ceux du sondage mené par le Défenseur des droits sur le harcèlement sexuel au travail en 2014 qui montre que deux femmes actives sur dix ont dû faire face à une situation de harcèlement sexuel dans leur vie professionnelle. La même année, le Conseil Supérieur à l’Egalité Homme-Femme réalise une enquête auprès de 15 000 salarié·e·s. Elle révèle que la grande majorité des femmes salariées considèrent qu’elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes dans le cadre de leur travail. Ce sexisme aurait des répercussions sur leur confiance en elles, leurs performances et leur bien-être au travail et amoindrirait leur sentiment d’efficacité personnelle.

Une féminisation de la profession qui reste partielle et ne garantit pas l'égalité au travail
Même si la féminisation de la profession médicale se poursuit, elle ne s’est pas accompagnée d’une évolution similaire quant aux ratios de femmes présentes aux postes de pouvoir.

En effet, d’après une étude américaine de 2004, les femmes professeures de médecine ne progressent pas aussi rapidement dans leur carrière et sont moins rémunérées que leurs collègues masculins au profil professionnel similaire.

En France, en 2018, les femmes constituent 47 % des effectifs de médecins en activité régulière. Cette proportion est de plus en plus importante que ce soit en médecine générale ou dans les autres spécialités. La différence de salaire était en moyenne de -11 691 dollars par an ; (P = 0,01). Malgré cela, en 2020, elles ne représentent toujours que 8,1 % des doyen·ne·s de France, 11,7 % du bureau de l’Ordre des médecins et seulement 26,8 % des membres de son conseil national. L’Académie nationale de médecine ne compte, quant à elle, que 10 femmes sur 135 membres.

A l’hôpital, seuls 19,9 % des postes de PU-PH sont tenus par des femmes, minoritaires également dans l’enseignement puisqu’elles ne sont que 27,6 % aux postes enseignants tous corps confondus (PU-PH et MCU-PH). Ce constat a motivé la publication en décembre 2019 d’une tribune dans Le Monde en faveur d’une meilleure accessibilité des femmes aux postes hospitalouniversitaires.

Par ailleurs, elles restent une majorité à subir du harcèlement, comme le montre l’étude parue en 2016 dans le Journal of the American Medical Association (JAMA), qui s’est attelée à quantifier l’exposition des femmes médecins aux préjugés sexistes et au harcèlement sexuel dans leur profession. On y apprend que 69,6 % des femmes ont été témoins de sexisme au cours de leur carrière, que 66,3 % en ont été les victimes et que 30,4 % d’entre elles ont subi du harcèlement sexuel (contre seulement 4 % des hommes). Celui-ci se manifestait par des remarques et comportements sexistes répétés, des avances sexuelles inappropriées, et des pressions exercées de manière subtile ou coercitive pour obtenir des faveurs sexuelles.

En 2019, le Lancet nous apprend, dans un numéro consacré à la question du harcèlement sexuel dans le milieu médical, qu’aux Etats-Unis 58 % des femmes du corps professoral et du personnel universitaire de l’académie nationale des sciences, de l'ingénierie et de la médecine (NASEM) ont été victimes de harcèlement sexuel. Pour les étudiantes en médecine, ces taux sont encore plus élevés que pour leurs paires scientifiques. Il y est également rappelé que “le harcèlement sexuel peut entraîner une anxiété, une dépression et un trouble de stress post-traumatique [et qu’il] diminue la productivité, endommage les relations au sein d'une équipe et peut amener les femmes à quitter leur poste, leur institution ou leur profession”.

Ces résultats se confirment également en France, où une enquête menée par l’InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI) en 2017 nous apprend que 60,8 % des internes femmes interrogées déclarent avoir été confrontées au sexisme durant leurs études contre 7,2 % des hommes.

En 2018, une thèse menée auprès d’externes en Ile-de-France met en lumière la prévalence élevée des violences sexuelles dès l’externat : 29,8 % des externes interrogé·e·s décrivent avoir vécu au moins une situation de violence sexuelle. En fin de deuxième cycle ces chiffres montent à 45,1 % (dont 69,1 % chez les femmes). Il est également intéressant de noter que seul·e·s 21,1 % des participant·e·s ont été capables de juger avec justesse du caractère illégal des situations évoquées.

Un sujet qui reste peu abordé dans les études qualitatives
De nombreuses études quantitatives ont donc montré que le sexisme est présent dans les études et la profession médicales. Toutefois, peu de travaux ont exploré les manifestations qu’il peut revêtir et ses conséquences.

Une étude qualitative américaine parue en 2006 a décrit l’impact des manifestations sexistes sur le développement de l’identité professionnelle d’étudiantes en médecine en troisième année, mettant en évidence un retentissement sur leurs comportements. Si les étudiantes apprécient les interactions avec les patientes et leurs superviseurs féminins et parviennent à développer des mécanismes d’adaptation et de réponse envers les comportements jugés inappropriés des patients hommes, elles restent toutefois démunies devant ceux émanant de leurs superviseurs masculins. La résignation et l’acculturation décrites dans cette étude ont eu des implications aussi bien sur la façon de développer leur identité professionnelle que sur leurs choix de spécialité future.

En France, les travaux d’Emmanuelle Zolesio sur la chirurgie ont décrit dès 2008 la sous-représentation féminine au sein de la profession et les mécanismes d’adaptation des chirurgiennes au bloc opératoire. Elle y montre qu’au cours de leur cursus les chirurgiennes doivent davantage faire preuve de leur force et de leur endurance que leurs homologues masculins. De plus, si la majorité de ces femmes présentent un “patrimoine dispositionnel” à des valeurs associées à la masculinité, leur insertion professionnelle s’accompagne généralement d’un renforcement de cette masculinisation, les poussant à s’adapter à des éléments rédhibitoires pour d’autres -tels que plaisanteries sexistes, faible relationnel avec les patient·e·s et socialisation familiale valorisant le travail- perpétuant ainsi ce modèle.

Un autre ouvrage récent, Omerta à l’hôpital, a décrit en 2018 les multiples formes de sexisme subies par les étudiantes en santé formant un continuum allant de la plaisanterie grivoise aux agressions sexuelles en passant par le harcèlement sexuel.

Son autrice, Valérie Auslender, y rapporte de nombreux témoignages illustrant comment celui-ci se mêle au cours des études médicales et paramédicales à de nombreuses autres formes de violence. Sont notamment dépeints des violences verbales et physiques, du harcèlement moral, des pressions psychologiques, une négation de certains droits fondamentaux, des humiliations, du bizutage inapproprié ainsi que des dysfonctionnements institutionnels graves comme l’exploitation des étudiants par leurs supérieur·e·s hiérarchiques. Plusieurs témoignages dévoilent de plus l’existence de discriminations telles que du racisme ou des griefs contre certaines religions ou caractéristiques physiques.

Pour la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury-Perkins c’est donc l’ensemble des marqueurs de la violence psychologique qui sont présents dans cet ouvrage.

Objectif de notre étude
Malgré la richesse bibliographique existant à ce sujet, il n’existe pas à notre connaissance d’étude qualitative française décrivant spécifiquement les manifestations sexistes rencontrées par les internes en médecine.

L’objectif principal de notre étude est donc de décrire le sexisme rencontré par les femmes internes en médecine générale -et notamment de se pencher sur ses auteur·rice·s, ses manifestations, ses répercussions, les stratégies de défenses mises en place pour y faire face- ainsi que d’analyser son impact sur la construction de l’identité professionnelle des femmes interrogées.

Nos objectifs secondaires sont de décrire les représentations des étudiantes autour de la féminisation de la profession, d’étudier les autres types de violences non genrées qu’elles rencontrent au cours de leur cursus, d’analyser les raisons qui peuvent les pousser à la censure et enfin de proposer des axes de réflexion pour améliorer la situation actuelle.

Matériel et méthodes
Nous avons souhaité décrire le sexisme rencontré par les étudiantes en médecine au cours de leur cursus et analyser son impact sur la construction de leur identité professionnelle. Sans donnée préalable, une approche non restrictive et exploratoire était nécessaire. Une demande auprès du comité d’éthique a été faite avec un avis favorable quant à la réalisation de cette étude. Une déclaration auprès de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) a également été effectuée.

Nous avons donc réalisé une étude qualitative, avec une analyse par théorisation ancrée basée sur 16 entretiens individuels semi-dirigés compréhensifs, menés entre 2018 et 2019 auprès de femmes internes en médecine générale en fin de cursus.

Rédaction du guide d’entretien
Un premier guide d’entretien constitué de 4 questions a été rédigé et a servi de base pour les trois premiers entretiens.

Nous avons tout d’abord commencé par recueillir des informations (comme leur date de naissance, le métier de leurs parents) qui n’ont pas été utilisées ni conservées, mais servaient de “briseglace” et permettaient aux femmes interrogées de commencer par des questions faciles, avant de les amener progressivement au sujet principal de l’étude. Les questions suivantes étaient ensuite toutes des questions ouvertes. Elles portaient sur leur parcours de médecin et sur le sexisme rencontré durant leurs études. Il nous a semblé intéressant de terminer par une question portant sur la définition du mot “sexisme”, afin de sonder leurs connaissances sur le sujet.

Il est toutefois apparu évident que cette première ébauche d’entretien ne permettait pas de balayer l’ensemble des sujets qui nous semblaient importants -notamment la question des violences hiérarchiques, qui émergeait pourtant nettement des premiers verbatims.

Nous avons donc ajouté deux autres questions pour compléter notre guide d’entretien, et nous sommes restées sur cette deuxième version jusqu’à la fin de notre étude.

Constitution de l’échantillon
Il s’agit d’une étude multicentrique, les femmes interrogées ayant réalisé leur internat dans deux villes différentes (Nice et Strasbourg) et leur externat dans de multiples villes (Strasbourg, Paris, Saint-Etienne, Besançon, Dijon, Amiens, Lille et Grenoble).

La population étudiée était composée de femmes internes en médecine générale en fin de cursus, c’est-à-dire soit en dernière année d’internat, soit ayant fini leur internat depuis moins d’un an. Le recrutement a été effectué selon une méthode d'échantillonnage raisonné non probabiliste parmi les étudiantes éligibles rencontrées par les autrices au cours de leur internat (pour 14 d’entre elles) ou s’étant manifestées spontanément pour participer à l’étude (pour 3 d’entre elles). Une des personnes n’a pas donné suite et n’a donc pas été incluse dans l’étude. Le recrutement s’est fait verbalement, par téléphone ou par message pour les internes déjà connues des autrices. Pour les autres, il s’est fait par le bouche-à-oreille. Les internes recrutées étaient toutes informées qu’il s’agissait d’une étude portant sur le sexisme dans le milieu médical.

Réalisation des entretiens
Au total, 16 entretiens ont été réalisés, 8 par autrice, de manière individuelle et semi-dirigée, entre février 2018 et avril 2019, jusqu’à saturation des données.

Le consentement oral des participantes a été recueilli avant de débuter l’entretien pour l’enregistrement et l’utilisation de leurs données. Ce consentement était obtenu après explications claires sur le sujet de la thèse, sur le fait que les données seraient entièrement anonymisées, et que personne d’autre, hormis les deux autrices et les deux directrices de thèse n’auraient accès à l’intégralité de leur verbatim.

Le sujet étant déjà sensible, afin d’éviter d’ajouter tout malaise, nous n’avons pas jugé opportun de demander un accord écrit. Elles étaient cependant informées qu’elles pouvaient retirer leur accord à tout moment et ce même une fois l’entretien terminé, et étaient en possession de nos coordonnées pour nous contacter si nécessaire. Aucune ne s’est rétractée.

De la même manière, nous avons demandé systématiquement leur accord oral pour retranscrire leurs propos “off” pertinents dans nos verbatims.

Méthode d’analyse
Après enregistrement vocal (au moyen de l’enregistreur audio des smartphones respectifs des enquêtrices), les entretiens ont été retranscrits ad integrum au format texte. Ils ont ensuite chacun bénéficié d’une double analyse manuelle par les deux autrices de cette thèse.

L’identification des grands thèmes abordés lors des entretiens et la recherche des expressions ou des idées similaires utilisées par les internes a permis de les codifier et de développer des catégories thématiques en établissant des correspondances entre elles. Ces données codifiées ont à nouveau été analysées par décompte fréquentiel, interne par interne, de façon à déterminer pour quelle proportion d'internes ces expressions se faisaient le reflet. Une analyse par théorisation ancrée a également été appliquée. Les résultats étaient ensuite discutés et mis en commun afin d’obtenir un consensus le plus objectif possible, d’éviter les biais d’interprétation, et d’en conforter la validité. Si l’un des verbatims portait à confusion quant au caractère sexiste ou non d’une violence citée, il était classé par défaut dans les violences hiérarchiques et non dans les violences sexistes afin de limiter le biais d’interprétation.

Après relecture par les directrices de thèse, le codage des résultats a ensuite été définitivement validé.

Anonymisation
Compte tenu du caractère hautement sensible des propos tenus, l’anonymisation des noms, des lieux de stage ainsi que de tout élément reconnaissable a été effectuée lors de la retranscription des entretiens. Pour plus de lisibilité, les entretiens menés par Fanny Rinaldo ont été numérotés de R1 à R8, et ceux menés par Fauve Salloum de S1 à S8. Toutefois, lorsque certains propos cités nous paraissaient encore trop reconnaissables ou nous semblaient trop exposer la personne interrogée, nous avons pris le parti d’anonymiser complètement la citation en remplaçant la lettre correspondante par A.

Résumé
Description du sexisme et des autres violences rencontrés par les femmes internes en médecine générale et répercussions sur la construction de leur identité professionnelle.

Introduction : L’actualité mondiale de 2017 a mis en lumière les violences sexistes subies par les femmes, jusque-là peu étudiées dans la littérature médicale. Cette étude qualitative a eu pour objectif de décrire le sexisme rencontré par les femmes internes en médecine générale et ses répercussions sur la construction de leur identité professionnelle.

Matériels et Méthodes : 16 entretiens semidirigés compréhensifs de femmes internes en médecine générale ont été réalisés entre 2018 et 2019. Ils ont bénéficié d’un double codage et d’une analyse par théorisation ancrée.

Résultats : Les internes dressent le portrait d’un sexisme systémique et structurel. En multipliant les formes insidieuses, celui-ci maintient le flou sur ses contours et s’assure d’une large tolérance en dépit de ses nombreuses répercussions.

Les femmes interrogées parviennent généralement à trouver des stratégies d’adaptation, mais restent parfois démunies face aux comportements sexistes, notamment lorsqu’ils émanent de leurs superviseurs. Les répercussions sont multiples : elles ressentent le besoin de devoir faire leurs preuves plus que leurs collègues masculins et se sentent exclues de certaines prises en charge, ce qui impacte leur bien-être au travail.

Le sexisme n’est pas la seule violence rencontrée. Il est décrit comme se mêlant à des violences hiérarchiques non genrées, favorisées par une relation supérieur·e hiérarchique-étudiant·e inégale dans laquelle les internes se sentent parfois dévalorisé·e·s et dominé·e·s. De nombreuses autres discriminations telles que du racisme et de la LGBTQIphobie ont également émaillé leur parcours.

Discussion : Ces violences, jugées contre-productives pour l’apprentissage et impactant leur santé mentale et physique, restent très répandues et trop peu dénoncées par les internes qui peinent à les nommer et minimisent leur gravité.

L’entre-soi médical, encourageant à cacher ses faiblesses sans poser ses limites, participe à la perpétuation de ces comportements, de manière consciente ou non.

Conclusion : Étudiant·e·s et encadrant·e·s doivent être sensibilisé·e·s à ces violences et apprendre à les identifier, les verbaliser et à y répondre.

Conclusion
le sexisme est un phénomène systémique et structurel. Omniprésent dans notre société, il n’épargne pas le monde médical et jalonne encore de nos jours le parcours des étudiantes en médecine. Initialement plutôt hostile, il a en effet adopté avec le temps des formes plus insidieuses, qui lui permettent de continuer à bénéficier d’une large tolérance en dépit de ses conséquences délétères.

Ses manifestations, multiples, varient selon leur auteur·rice, tout comme ses répercussions et les stratégies de défense mises en place pour y faire face. Ainsi, lorsque le sexisme émane de leurs supérieurs hiérarchiques masculins, les internes le vivent particulièrement mal, subissent ses conséquences de manière prolongée et peinent à s’y opposer activement. A contrario, lorsqu’il provient de leurs patients, elles le décrivent et y répondent plus facilement, sauf pour les faits les plus graves. Enfin, quand il est issu d’autres femmes, il est souvent décrit comme une trahison ou une injustice mais ne suscite cependant pas la même charge émotionnelle.
Sa présence tout au long de leur cursus affecte leur confiance en elles, leur bien-être au travail et la construction de leur identité professionnelle.
En effet, les étudiantes sont nombreuses à ressentir une forte inégalité des chances et à avoir l’impression de devoir faire leurs preuves bien plus que leurs homologues masculins. De plus, leurs représentations de ce qu’est un bon médecin semblent elles aussi impactées puisqu’elles convoquent l’image d’un praticien devant être fort et physiquement crédible, là où, selon les stéréotypes de genre, les femmes seraient fragiles et destinées au “care”.
Il en résulte qu’en tant que femmes médecins, les internes ont l’impression de devoir jouer un rôle et ne pas pouvoir se contenter d’être elles-mêmes.
Le sexisme n’est pas la seule des violences rencontrées par les internes au cours de leur formation. En effet, les études en elles-mêmes sont vécues comme difficiles, et sont marquées par des violences hiérarchiques allant du manque de compagnonnage au harcèlement.
De même des discriminations telles que racisme, LGBTphobie, et violences socio-culturelles sont fréquemment rencontrées.
Si l’hôpital ne concentre pas à lui seul toutes ces violences, il les met toutefois en exergue, en raison notamment d’une pyramide hiérarchique pesante et d’un “tournant gestionnaire” délétère.
Leurs conséquences, trop souvent passées sous silence, sont pourtant loin d’être anodines puisqu’elles se répercutent aussi bien sur la santé des internes que sur celles de leurs patientes.
Plusieurs mécanismes expliquent que ces violences se perpétuent malgré tout.
Tout d’abord, elles sont difficiles à identifier en raison de leur omniprésence, de la tolérance dont elles bénéficient et de leur fréquente intrication.
De plus, elles échappent souvent à la critique en se dissimulant derrière l’humour et la séduction “à la française” - deux procédés qui favorisent leur minimisation. Enfin, la prise de parole en elle-même est compliquée.
D’abord parce qu’en tant que femmes, les internes semblent avoir intégré l’injonction, se taire et à ne pas se mettre en colère. Ensuite parce qu’en tant qu’étudiantes, elles se sentent censurées par leur position de subordonnées et par l’impunité apparente de certains seniors. Enfin parce qu’en tant que médecins, elles ont intégré les codes d’une socialisation professionnelle qui encourage l’esprit de corps, valorise la performance et idéalise l’élévation par la souffrance.
Les jeunes médecins construisent donc leur identité professionnelle en apprenant à cacher leurs faiblesses, ce qui ne les encourage pas à poser leurs limites. Ce modèle nous paraît critiquable car il est contre-productif pour l’apprentissage et favorise la tolérance à la violence.
Pour éviter la perpétuation de ces comportements, de manière consciente ou non, y compris par les femmes, une remise en question intersectionnelle des rapports de domination de l’ensemble de notre profession nous semble fondamentale.
Face à ces constats, plusieurs axes de réflexion peuvent être envisagés. Premièrement, il nous paraît important de former aussi bien les étudiant·e·s que leurs formateur·rice·s à reconnaître et nommer les violences, ainsi qu’à ne pas les reproduire.
Deuxièmement, des espaces d’expression permettant aux étudiant·e·s de rapporter les situations problématiques devraient être rendus accessibles. Plusieurs mesures ont été proposées dans certaines facultés de médecine, comme la mise en place de tutorats, de commissions bien-être ou de numéros d’appel pour internes en difficulté. Certaines d’entre elles restent cependant méconnues des étudiant·e·s qui devraient donc être mieux informés sur les moyens déjà existants.
Troisièmement, il serait judicieux que l’ensemble des facultés de médecine mettent en place des protocoles pour protéger rapidement les victimes et sanctionner les comportements inappropriés. Dans ce cadre, il nous semble important que les enquêtes soient menées par des commissions indépendantes afin d’éviter le risque d’omerta par esprit de corps.
Enfin, les étudiant·e·s et leurs représentant·e·s devraient être inclus·es aussi bien dans les travaux de réflexion menés à ce sujet que dans l’évaluation de l’efficacité des moyens mis en place.

Thèse collective par
Rinaldo FANNY et Salloum FAUVE

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°30

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