Démographie médicale : État des lieux de la démographie médicale, le processus

Publié le 30 May 2022 à 16:39


Je voudrais attirer votre attention sur un point régulièrement mis en avant pour justifier des réformes : la pénurie de médecins du travail.

L’état des lieux

Dans les années 1980, il y avait environ 100 000 médecins toutes spécialités confondues et il n’y avait pas de pénurie de médecin du travail.

Actuellement il y a un peu plus de 220 000 médecins toutes spécialités confondues et il y a une pénurie de médecin du travail.


Dr Bernard SALENGRO

Président d’honneur Santé au Travail CFE-CGC

L’analyse
Ce n’est pas une question d’attractivité c’était une spécialité peu connue et cela l’est toujours. Alors pourquoi ?

Régulièrement on présente la démographie des médecins du travail avec une figure attristée expliquant que ce métier est peu attractif, sous-entendu malgré les réformes et les efforts des dirigeants, et que de ce fait il faut faire autrement.

Ce refrain on l’a entendu en 2000 au COCT cela a été repris dans la presse (cf. l’article de Mme Aizicovici dans Le Monde décembre 2003) puis pour la réforme de 2011-2012 puis pour la réforme de 2016-2017, autant de réformes qui devaient régler le problème mais qui se trompant de cible ne l’ont pas réglé !

Ce prétexte a eu les honneurs de plusieurs rapports d’éminents penseurs qui avaient pour trait commun de ne pas avoir suivi le parcours de formation et d’exercice des médecins du travail, ce qui ne les empêchait pas d’établir doctement leurs conclusions sur lesquelles les dirigeants s’empressent d’établir leurs conclusions malheureusement inefficaces !

Pour comprendre il faut comparer le parcours des étudiants de ces deux périodes.

Pour la première période, c’est-à-dire avant le passage obligatoire par l’internat, la formation en médecine du travail se faisait en un an ou deux pendant les dernières années quelle que soit l’orientation choisie et n’empêchait pas, en même temps que cet apprentissage, une pratique d’exercice rémunéré ou de poursuite de formation d’une autre spécialité. C’était une formation complémentaire pour compléter sa formation de base et pour avoir la possibilité si l’occasion se présentait d’exercer la médecine du travail. C’est ainsi que de nombreux spécialistes ou généralistes qui avaient suivi cet enseignement ont pu le mettre en pratique ensuite après avoir essayé leur exercice de médecine classique, que cela soit généraliste ou spécialiste, que cela soit libéral ou salarié.

Cela permettait une reconversion sans trop de difficultés et donnait des professionnels qui avaient eu une expérience différente et donc une meilleure compréhension des relations médecins du travail-médecins traitants. Il y a encore de nombreux médecins du travail qui ont suivi ce parcours et n’ont pas démérité dans leur exercice loin de là !

Pour la seconde période il faut passer par l’internat avec un concours à l’entrée où selon son classement, et non ses qualités et appétences, on peut choisir son orientation. Car entretemps la médecine du travail a été baptisée spécialité et donc a bénéficié d’une des orientations dans le choix de l’internat, modification essentielle car on ne peut plus accéder à ce savoir en préparant également d’autres orientations.

Cela change considérablement la situation car ce choix se réalise en fonction de ce qu’un étudiant en médecine peut décider alors qu’il n’a aucune expérience de la pratique autre que ses stages uniquement hospitaliers auprès des « maîtres » de l’hôpital qui n’ont aucune idée de la santé au travail !

De plus ce choix est très contraignant car pour des raisons prétendues européennes il n’y a pas de retour possible et le reste de la carrière se fera dans la spécialité choisie après le concours de l’internat voire après usage de passerelle, en l’occurrence en psychiatrie pour le psychiatre, en radiologie pour le radiologue, en médecine générale pour le généraliste et en médecine du travail pour le médecin du travail selon le classement d’abord et le choix ensuite. On peut chercher quelle autre profession présente une telle rigidité dans son parcours, il n’y en a pas ! alors que partout l’agilité est mise en avant !

Devant le choix de la médecine du travail au résultat du concours tout ce qu’un jeune étudiant peut avoir comme impression de cet exercice pour éclairer son choix est le reflet des échos de ses stages et de ses « maîtres » qui dans leur tour d’ivoire hospitalière n’ont aucune idée de la richesse de cet exercice pour une part et d’autre part de l’impression transmise par les journaux médicaux d’une profession soumise à la réformite permanente du fait des rapports ou des modifications réglementaires qui sortent tous les deux ou trois ans et enfin d’une spécialité dont la rémunération comme celle du généraliste n’est pas en haut de la hiérarchie des rémunérations médicales.

Ces arguments de non-attractivité ne sont pas réels mais il faut l’avoir pratiqué pour savoir que cet exercice est beaucoup plus inséré dans la richesse de la vie sociale et productive que beaucoup d’exercices de soignants et que le statut de salarié présente des avantages certains par rapport au statut libéral tant au niveau des conditions de travail que de protection sociale.

Non seulement il n’y a aucune information sur l’exercice de la médecine du travail avant de devoir faire le choix de la spécialité, ce qui aurait pu être facilement réalisé par des stages d’externe en service de santé au travail à peu de frais, mais pire encore, le témoignage de plusieurs internes m’ont rapporté que lors des préparatoires dans les « écuries » celui ou celle qui échouait lors d’un examen blanc avait le droit au quolibet sous la forme de, je cite, « toi tu finiras médecin du travail dans la creuse » !!

Il faut se mettre dans l’ambiance de préparation, du concours de l’internat où ne compte que l’apprentissage par cœur des questions d’internat pour pouvoir choisir la spécialité espérée au détriment de la culture générale et de la compréhension du psychisme des patients, on s’aperçoit que dans le catalogue des questions possibles rien, absolument rien, aucune question ne porte sur la santé au travail et donc elle n’est pas apprise, CQFD !

Enfin, il faut noter que le nombre de places à l’internat est fonction des possibilités de l’enseignement et des faibles possibilités de stages et d’aucune façon n’est fonction des besoins de médecins du travail, ni des possibilités de stage dans les services de médecine du travail là où l’on devrait pouvoir apprendre le mieux le métier.

Enfin, par rapport à la première période, il faut repérer que commence alors une phase de quatre années de stages d’internat mal rémunérés et pas toujours gratifiants alors que le parcours universitaire a déjà été long, à un âge où les autres métiers sont déjà dans la vie active, ont des responsabilités et un statut qui leur permet de s’inscrire dans le processus de cotisations sociales comme des cadres qu’ils sont à ce niveau de formation.

Le jeune généraliste ou spécialiste qui veut se reconvertir doit subir un parcours du combattant digne de Kafka !

Alors que pour toutes les autres spécialités l’enseignement se fait auprès du malade ou de sa maladie, pour être cardiologue on est dans le service cardiologique, pour être psychiatre dans le service de psychiatrie, etc., en médecine du travail les étudiants sont parfois dans des stages bien éloignés de leur futur exercice alors que la logique voudrait qu’ils soient au plus près de leur terrain de futur exercice professionnel c’est-à-dire auprès des entreprises et des salariés dans les services de santé au travail mais problème ils échapperaient à l’emprise universitaire ce qui relève de lèse-majesté !

Cet état de fait n’améliore pas l’image de cet enseignement trop éloigné de la réalité de l’exercice et aggrave encore le problème pour une formation adaptée à la pratique de la médecine du travail.

On voit que d’un parcours simple et suffisant dans la mesure où le métier s’apprend surtout au contact du terrain on est passé à un système rigide et contraignant dont la plus-value n’est pas évidente si ce n’est pour les universitaires.
Mais autre avantage du premier système était la double formation et la double expérience, avoir connu la pratique du soignant (de la relation à la maladie installée, de la prescription médicamenteuse ou chirurgicale, des relations avec la sécurité sociale) au travers des remplacements ou au travers d’un exercice de quelques années permet de mieux comprendre le positionnement et les réflexes du médecin traitant et d’être plus performant dans le dialogue médecin du travail médecin traitant.

Pire encore en cas de volonté de reconversion une fois la formation finie : le jeune généraliste ou spécialiste qui veut se reconvertir doit subir un parcours du combattant digne de Kafka !
Ainsi pour le jeune étudiant qui s’inscrit dans la perspective de l’exercice généraliste à l’internat pour en connaître les différents aspects et à l’issue veut se former en médecine du travail, on arrive dans des parcours étonnants, jugezen : en effet pour des raisons obscures, on lui demande de patienter cinq années pour avoir le droit de s’inscrire dans le parcours de formation de médecin du travail qui dure quatre années ! on fait le calcul facilement : en plus des plus de dix ans pour devenir médecin généraliste vous ajoutez cinq années d’attente puis quatre années de formation ! des parcours de 19 années ce qu’aucun métier ni aucune formation n’exige et en tout cas certainement pas la réelle pratique de médecin du travail au cœur de l’entreprise.

Last but not least reste une notion qui permet de comprendre en partie ces anomalies, le monde universitaire : La formation des enseignants universitaires est particulièrement longue et difficile, s’appuyant autant sur la compétence que l’entregent et la disponibilité de place pour obtenir le graal du professorat. Mais il y a plus de candidats que de postes et parfois un poste en médecine du travail apparait vacant c’est une occasion à ne pas laisser passer quel que soit la spécialité initiale !

Tant et si bien que la réalité des enseignants en médecine du travail est qu’ils sont quasi tous issus d’autres spécialités et que leur connaissance très importante du sujet de la santé au travail est largement livresque et que leur appréhension de la réalité du terrain de la santé au travail n’est trop souvent que par ouï dire.

A ce problème de formation se surajoute la volonté d’avoir un nombre d’étudiants suffisant pour justifier le poste, d’où la préférence affichée pour la formation de l’internat initial directement plutôt que par reconversion qui risquerait d’attirer plus de monde que dans la voie directe de l’internat, ce qui se traduit par la création de ce délai d’attente pour commencer la formation de reconversion de 5 années sans autre raison !

En Conclusion apparaissent comme causes essentielles : Le numerus clausus qui a entrainé un recrutement malthusien de médecins d’une part mais surtout les contraintes de l’internat qui a rigidifié l’accès à cette spécialité

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°63

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