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Publié le 23 May 2022 à 10:16


Les médecins généralistes et l’usage des technologies de santé mobile

Introduction

La souffrance au travail des internes de médecine générale est une réalité objectivée par des études récentes. En 2011, ils étaient 58,1 % à présenter au moins un des paramètres du BOS (Burn out syndrome) et 7 % à présenter les 3 paramètres élevés. Des liens significatifs ont été identifiés avec une charge de travail importante, un manque de reconnaissance, le stage hospitalier aux urgences, ou encore un faible temps consacré à la vie privée. En 2012, on retrouvait 28,6 % de trouble anxieux chez les internes de médecine de Brest, et 13 % de syndrome dépressif. Ils étaient liés à l’exigence psychologique du travail et aux relations avec les autres internes et médecins seniors. Les idées suicidaires sont plus fréquentes chez les médecins et étudiants en médecine (27,7 % en 2017), que dans la population générale (3,9 % en 2010). Les récents décès survenus en France parmi les internes, 10 suicides en 12 mois, conduisent à se poser des questions sur le vécu des internes de leurs études.

Le hidden curriculum

On distingue 3 composantes de la formation médicale :

Le curriculum formel : il correspond au programme officiel théorique et pratique encadré par la loi.

Le curriculum informel : il est implicite et est représenté par les styles d'enseignement d'un professeur à l'autre, les interactions interpersonnelles.

Le hidden curriculum ou "cursus caché" : on le retrouve à travers le vécu des expériences formatrices. Il correspond aux apprentissages inconscients, aux messages non intentionnels transmis par les professeurs et le personnel. Il s'agit de la transmission des coutumes, des valeurs, et de la culture médicale. Actuellement nous savons que les valeurs apprises ne sont pas toujours celles qui sont enseignées, elles peuvent même être antagonistes.

Les modèles de rôle
Le modèle de rôle se définit par l'attitude et le comportement d'un médecin qui dans le contexte de son exercice professionnel influence de manière consciente ou non l'apprentissage des étudiants avec qui il est en contact.

Ce modèle de rôle, positif ou négatif, est absorbé par les étudiants et est beaucoup plus puissant qu'un cours formel. Même si les étudiants peuvent le suivre ou le rejeter, celui-ci a un impact sur leurs choix professionnels, leur perception de la relation médecin-patient, et leurs priorités dans le soin.

L’erreur médicale
L'apprentissage qui entoure une erreur médicale est totalement informel, influencé par la personnalité du senior, de l'équipe médicale, et par l'hôpital. La peur de l’erreur médicale est bien présente chez les étudiants, mais les médecins vivent dans une culture du non droit à l'erreur. Les internes se retrouvent souvent à les gérer seuls, quitte à les camoufler plutôt qu'à les exprimer (7). Ceci est corrélé au degré de compétitivité lors de l'apprentissage, entraînant un manque de soutien parmi les collègues.

Les conflits avec les seniors
Les conflits entre les étudiants et les seniors s'inscrivent dans le processus de professionnalisation. Il a été rapporté des demandes par le senior d'actes considérés comme immoraux par les internes.

Ces conflits sont favorisés par la fatigue (notamment en cas de gardes ou de charge de travail importante) et peuvent avoir une incidence sur la pratique professionnelle future.

Objectifs

Le travail de cette thèse a tenté de caractériser le vécu des internes de médecine générale de leurs études, via leur parcours de formation et leur ressenti, pour explorer le hidden curriculum pouvant impacter sur l'identité professionnelle des futurs médecins et leurs pratiques.

L'identification des valeurs, l'analyse des structures et des environnements d'apprentissage permettraient d'effectuer des changements pertinents pour les patients et les soignants.

Méthode

Cette étude qualitative a été réalisée entre février 2013 et juin 2015 avec des entretiens individuels semi-dirigés auprès d’internes de médecine générale de 3ème semestre ou plus, appartenant à des facultés d’Ile-de-France. Les internes de 1er ou 2e semestre ont été exclus afin de cibler les internes ayant un recul suffisant sur leurs études. Le recrutement s'est arrêté à la saturation des données, c'est-à-dire lorsqu'un nouvel entretien n'apportait plus de nouvelles informations.

Un guide d'entretien servait de base. Le consentement de l'interne a été recueilli sur les modalités de l'entretien (enregistrement au dictaphone, données anonymisées), puis des questions ouvertes ont été posées : « Quel est le projet professionnel, les craintes et aspirations ? Quels sont les moments forts du parcours de formation qui peuvent avoir influencé le projet professionnel ? Quel est le ressenti après l'entretien ? ». Chaque entretien a été retranscrit intégralement "mot pour mot" puis analysé selon la théorie ancrée.

Résultats

Quinze personnes ont été interrogées dont 9 femmes et 6 hommes, âgés de 25 à 40 ans, provenant de 4 facultés différentes d'Ile-de-France, 2 internes ayant fait leur externat hors Ile-de-France. Un interne était en 3e semestre, un en 4e semestre, 3 en 5e semestre, 4 en 6e semestre, et 6 en semestre supérieur. Ces entretiens ont duré entre 19 minutes et 1 heure 13 minutes. La saturation des données a été atteinte au 15ème entretien.

Le parcours universitaire
Que ce soit le concours de la première année ou l'ECN (Examen Classant National), les étudiants les ont vécus de manière éprouvante, notamment concernant l'esprit de compétition. Celuici était renforcé par les conférences privées où les étudiants se sentaient obligés de s'inscrire pour réussir.

E02 : "Les mauvais moments c'est le concours de la P1, le concours de l'ECN, ça c'est des très mauvais moments, si c'était à refaire je ne le referais pas ".

Le statut d'externe a été vécu par certains comme ayant peu de responsabilité et surtout peu de considération. Les tâches ingrates leur étaient confiées (le rangement des examens complémentaires, des dossiers médicaux, pousser le chariot...), avec peu d'enseignements pratiques. Lorsqu'il en existait un, faire souffrir les patients pouvait parfois être banalisé.

E02 : "Il y a vraiment des services où t'es là mais t'es là juste pour faire toutes les tâches ingrates que les médecins ne veulent pas faire" .

E07 : "La remarque qu'elle [la chef] m'avait faite c'était : « Mais en médecine on fait mal à ses patients et c'est normal quoi, et si on ne le fait pas c'est qu'on ne fait pas bien »".

Mais l’externat c’est aussi la période de la découverte du folklore médical qui a marqué les esprits comme étant de bons moments de décompression après le difficile concours de la première année.

Pour l'internat, les débuts sont vécus de manière difficile car le statut de l'étudiant change (responsabilités d'un médecin, droit de prescription, prise d’autonomie), ainsi que son rôle en stage avec un décalage entre les attentes durant l'externat et la réalité. Une amélioration a été constatée entre le début et la fin d'internat.

E11 : "Les moments les plus difficiles c'étaient (...) surtout en début d'internat (…). Quand on arrive en stage et qu'on est nouveau, qu'on n'est pas encadré, moi souvent je me suis dit je ne suis pas faite pour la médecine."

Le premier salaire symbolise ce changement de statut et de responsabilités. Cependant, être un "médecin-étudiant" a pu mener à des situations difficiles. Certains internes pensent que leur travail n'est pas reconnu à leur juste valeur.

E14 : "Je trouve qu'en tant qu'interne, c'est cette situation permanente de responsabilité partagée, ou justement de responsabilité tout seul, où on doit assumer tout seul, et puis finalement quand ça les arrange « ah ben nan t'es sous ma responsabilité » donc c'est très inconfortable".

Les stages sont considérés comme formateurs, notamment sur l'apprentissage de l'esprit de synthèse. L'internat a été bien vécu par certains internes, favorisé par une bonne relation et une solidarité entre internes.

E08 : "J'aimais bien l'ambiance entre internes. (...) on était tous un peu solidaires (...) du coup on se sent pas seul dans notre galère (...) déjà ça remontait toujours le moral".

Les internes soulignent un bon encadrement universitaire durant le 3e cycle, ainsi qu'une bonne formation théorique, notamment sur la communication et la relation médecin malade. Ils ont côtoyé des enseignants qui étaient disponibles pour répondre à leurs questions.

E14 : "Je suis plutôt satisfaite de l'enseignement qui est assez interactif, les profs sont plutôt... sont abordables. (...) ils sont très à l'écoute."

Ils ont trouvé que le travail universitaire était prenant, que ce soit pour les traces d'apprentissage, le mémoire pour certains, ou la thèse.

L'hôpital-usine
Les internes ont décrit leurs études à l'hôpital et l’ont comparé à une usine où était pratiquée une médecine "d'abattage", où les patients étaient déshumanisés, où l'organisation manquait de cohérence.

E07 : "J'ai l'impression qu'au fur à mesure de mes études on m'a appris à voir des pathologies et pas des personnes et au bout d'un moment c'est... je ne sais pas, ça devient un peu inhumain. J'ai l'impression qu'à l'hôpital on s'en fiche un peu des gens."

Il était demandé à l'interne d'être rapide tout en ayant une charge de travail ressentie comme importante, ce qui se répercutait par une réduction du temps passé avec le patient, par une augmentation de la peur d'une erreur médicale et par de la déception sur les prises en charge.

E01 : "Je me rappelle du deuxième jour de stage où je me suis fait trasher par ma chef parce que j'étais trop lent. (…) Du coup oui on passe moins de temps avec les patients, on les laisse même pas parler. (…) On est parfois obligé de concéder dans ce qu'on aimerait faire".

Les objectifs de rendement étaient perçus comme responsables du manque de personnel conduisant à des critères d'admission très restrictifs ("patients âgés autonomes"), à une dégradation de la qualité des soins et à des maltraitances de personnes âgées. Les internes se plaignaient d'une absence de reconnaissance de la part des patients ainsi que de l'absence de leur suivi. La pratique médicale manquait de réflexion, c’était "une récitation de cours".

Les urgences ont été particulièrement oppressantes. La prise en charge des patients se faisait "à la chaîne" et laissait peu de place à l'empathie ou au respect. Ce stage n'a pas été apprécié par une partie des interrogés. Au contraire, les internes ayant été bien encadrés dans un service d'urgences bien organisé ont bien vécu leur stage aux urgences qu'ils ont trouvé formateur.

E05 : "Le soir je rentrais, je sortais de l'hôpital j'étais détendu parce que tous les dossiers étaient seniorisés, tous. (...) Le senior qui s'occupait de moi il venait me voir il me disait : « Bon dis-moi quels patients tu as on fait le point », il faisait ça avant les trans', et ça change tout, c'est incroyable".

Deux cas d’erreur médicale ont été rapportés dans notre étude et se sont produites aux urgences. Pour l'un, l'erreur était due à une perte d'information entre chaque transmission. Pour l'autre, une co-interne n'avait pas fait le diagnostic d'une pathologie rare mais grave ayant entraîné le décès de la patiente. Cet épisode a provoqué le dégoût de l'hôpital et du travail en équipe.

Les gardes sont un moment particulièrement difficile durant ces études. 

E11 : "Je sais que les gardes surtout aux urgences c'étaient des périodes où je déprimais un petit peu à me dire une journée de 24h de travail sans repos (…) j'ai pas de patience avec les patients, je n'ai pas d'empathie, je n’aimais pas comment je prenais en charge les patients pendant mes gardes".

Le système hiérarchique hospitalier a été mal vécu par les internes qui parlent de mise en compétition des internes par les seniors, et de conflits entre seniors ayant un retentissement sur l'interne et sa formation. La médecine pouvait être enseignée de manière paternaliste, symbolisée par les visites surchargées des chefs.

La souffrance des patients et les attentes des internes
Dès les premiers pas à l'hôpital, l'étudiant va se confronter aux souffrances des patients et leur famille, à leurs pathologies lourdes, voire à leur décès qui sont des événements traumatisants.

E07 : "Les patients en fait ils véhiculent quelque chose de négatif, enfin ils sont hospitalisés, ils sont tristes, ils ont mal, ils ont une dose de souffrance qui est assez importante donc du coup ils la rejettent sur le soignant, et donc du coup je trouvais que c'était trop... Enfin ça a un côté un peu lourd à porter".

L'isolement et la dépendance des personnes âgées les ont marqués, tout comme la précarité visible lors des visites à domicile.

Concernant la relation médecin-patient, les internes souhaitent avant tout un rapport humain et empathique, être un médecin de famille avec une relation de proximité et un véritable suivi de leurs patients. Les internes ont ressenti un attachement envers certains patients, au point de s'identifier à eux et ont pris conscience de l'importance de mettre de la distance. La reconnaissance des patients est un élément positif important pour les internes.

E14 : "J'ai des souvenirs de patientes qui m'ont embrassée en me disant merci (...). Ca m'a juste fait du baume au coeur en me disant c'est génial j'adore prendre soin des gens !"

Stages de gériatrie et de médecine générale : une relation médecin-patient renforcée
La gériatrie est décrite comme une spécialité globale avec une prise en charge du patient toujours coordonnée avec le médecin traitant et la famille. C'est une médecine qualifiée de particulièrement humaine par les internes, suffisamment de temps est consacré au patient, avec une véritable écoute de ses besoins. Certains internes ont apprécié leur stage et ont pensé se spécialiser en gériatrie.

E07 : "J'ai eu une autre chef aussi en gériatrie qui était capable de discuter avec les patients alors qu'ils étaient un peu délirants et un peu déments et elle était capable d'en ressortir des choses, de les apaiser et de communiquer avec eux, et moi ça c'est quelque chose que j'ai trouvé extraordinaire".

E14 : "Il y a un stage qui m'a énormément marquée c'est le stage de gériatrie où j'étais dans une équipe mais extraordinaire, vraiment, et je me suis posée la question de si je n’allais pas devenir gériatre parce que pour moi ça représentait de la (...) médecine générale à l'hôpital, (...) c'était vraiment une prise en charge globale et c'était extrêmement satisfaisant (...). Les patients étaient contents, les familles aussi, et nous aussi."

C’est lors de leur stage chez le praticien de niveau 1 que les internes découvrent les spécificités de la médecine générale et constatent qu’ils apprennent par mimétisme de leur maître de stage : refuser les demandes abusives, gérer les demandes multiples, le temps de consultation et les tâches administratives, la communication avec le patient... C'est là où la relation médecinpatient prend un sens plus large et plus important.

Les modèles de rôle
Concernant les modèles de rôle négatifs, les internes ont été en contact avec un personnel hospitalier pouvant être sous tension et épuisé.

E07 : "Les gens [à l'hôpital] faisaient des choses un peu sans conviction au fond, et je trouve que les gens sont trop désintéressés complètement de ce qui peut arriver à leur patient".

Ils ont rencontré des médecins ou internes de spécialité parfois condescendants, autoritaires voire humiliants. D'autres médecins ont pu être indifférents envers les internes et les patients, ou peu investis dans leur travail. Des rapports conflictuels avec le sénior ont été mentionnés.

E02 : "Quand j'étais externe dans un service de l'APHP, au moment des staffs ou des visites, les chefs, enfin un chef auquel je pense particulièrement, s'amuse à te rabaisser en permanence et t'engueuler. (...) Il s'amusait à dire que t'es mauvais, que tu sais rien alors que tous tes après-midis tu passais à revoir tes bouquins, et au lieu d'essayer de t'apprendre ben il te casse en permanence. Ca ça m'a marquée quand j'ai vu mes co-externes pleurer à cause des chefs c'est pas normal."

En ambulatoire, certains médecins généralistes étaient qualifiés de laxistes vis-à-vis de leurs patients, avec des erreurs de prise en charge. D'autres médecins étaient isolés et en burn-out conduisant à une inversion des rôles entre l'interne et le maître de stage en termes de soutien et d'aide.

E14 : "La maître de stage qui était un médecin en burn out, je pense dépressive et en grande difficulté. (...) Avec des phrases du type : « Je n'en peux plus, je supporte plus, comment je vais faire, j'arrive pas à m'en sortir. » (...) Je pense que j'attendais beaucoup de soutien de sa part, surtout que j'étais dans une situation un peu de fragilité avec la grossesse, et qu'en fait nos rôles ont été complètement inversés et ben régulièrement c'était moi qui lui disais : « Ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer, si vous voulez je finis la consultation. » (...) Je l'ai trouvée très isolée (...) elle sortait très tard le soir de son cabinet." L'encadrement par des seniors pouvait être inexistant ou de mauvaise qualité avec une prise d'autonomie du jeune interne trop précoce.

E15 : "Il y avait des chefs absents tout simplement, et du coup on se retrouve tout seul à gérer les urgences, interne de premier semestre ! (...) On court partout pour chercher son chef, on le trouve pas (…) Je me dis quand même quand on est premier semestre on est livré à soi-même c'est pas normal".

Concernant les modèles de rôle positifs, certaines rencontres (en stage hospitalier ou ambulatoire) se sont révélées être enrichissantes avec des médecins sympathiques, humains, ayant de la considération pour les patients et les étudiants et pédagogues. Le personnel paramédical pouvait aussi représenter une aide précieuse.

E05 : "J'ai pu avoir un prat' qui avait de bonnes éval' et ça s'est super bien passé parce que le mec il était à la fois bosseur, compétent, à la fois il avait un super contact avec les patients (...) quand je lui parlais de nouvelles choses il était curieux comme s'il commençait la médecine. (...) D'avoir pu bosser comme interne avec lui c'était génial. C'était le truc le plus important de l'internat." Une partie des internes a bénéficié d'un bon encadrement par ces seniors avec une bonne relation senior-interne, leur permettant d’être plus serein.

E05 : "Quand il y a eu cette erreur j'étais bien rassuré par mes chefs".

La cohésion de l’équipe et la solidarité étaient des éléments très appréciés.

Le ressenti des internes et leur besoin de communiquer
Certaines expériences pouvaient être mal vécues par les internes : leur expérience face au décès et à la souffrance de patients auxquels ils ont pu s'attacher, leur incertitude à être un bon médecin, leurs responsabilités, le risque d'erreurs médicales, mais aussi la peur de la fin des études et de son avenir professionnel.

E05 : "J'ai peur de faire une bêtise et qu'on me dise après que j'ai pas été sérieux ou quoi alors qu'en fait non c'est qu'il y a trop de travail".

Ils ont exprimé du dégoût envers la médecine, et à plusieurs reprises la volonté d'arrêter leurs études. Les raisons évoquées sont : l'apprentissage livresque de la médecine et les cours magistraux en début de cursus, une erreur médicale, une mauvaise prise en charge médicale du patient, une charge de travail trop importante, la rencontre de médecins eux-mêmes en burn-out, la mauvaise entente ou un conflit avec un senior, l'absence d'aide ou d'encadrement par un senior, les gardes.

E10 : "J'ai fait une césure moi dans mes études. J'étais plus trop intéressé par la médecine". E15 : "Je me souviens de matinées, de matins où je me levais et où je pleurais. (...) Je faisais des crises d'angoisse tous les après-midis. J'en pouvais plus (…) à l'époque pour moi la médecine c'était fini. (…) J'étais complètement dégoûtée".

E12 : "Je trouve que ce sont des études qui sont difficiles, qui m'ont pas mal coûté personnellement, moralement. Parce que là si je devais ressortir du bac je ferais pas médecine."

 Une certaine exaspération est palpable liée à l'absence de plaintes des internes et des médecins en général concernant les conditions d'exercice.

E05 : "Le burn-out c'est aussi de notre faute, collectivement. (…) Quand il y a un truc qui t'empêche de bien bosser et que personne ne se plaint ce n’est pas normal."

Certains ont éprouvé une forme de désensibilisation vis-à-vis des patients.

Deux internes interrogés ont vécu durant leurs études un burn-out, l’un d’entre eux également une dépression. Les facteurs mis en cause par les internes étaient soit une grossesse et la rencontre d’un médecin en burn-out, soit le décès d’un proche et l’absence d’encadrement en stage.

Les moments perçus positivement sont l’accomplissement réussi de leur travail, la reconnaissance des patients et leur bonne prise en charge, la capacité à bien informer les familles de patients, le sentiment de responsabilité, les années de folklore médical, la réussite des concours, la fin des études médicales.

Il y a également l'admiration des internes pour certains seniors vis-à-vis de leurs compétences et capacités à gérer plusieurs tâches simultanées, leur pédagogie, leur relationnel avec les patients et leur humanité.

Il faut noter que les internes sont assez peu enclins à se plaindre de leurs conditions de travail, et lorsqu'ils le font leurs plaintes restent sans suite.

E05 : "Tu peux leur dire ce que tu veux ils [les seniors] vont dire : « Ah ben non, moi à mon époque je bossais plus que toi et je ne disais rien »".

Ils ont exprimé le besoin de parler, en particulier lors des moments difficiles, d'être écouté et de pouvoir échanger, de ne pas se sentir isolé. Les groupes Balint ont été mentionnés et ont été qualifiés d'utiles dans ce sens.

E15 : "Ça fait du bien, on a beaucoup de choses à dire qu'on garde, qu'on n'exprime pas pendant nos études. On garde pour nous, on se fait violence, on y va on fait."

Face à ce besoin, ils constatent une absence d'interlocuteur vers qui se tourner. Ils ont l'impression de subir leur formation.

E05 : "C'est qu'on a personne à qui raconter ça, parce que nous-mêmes on se fixe des barrières déjà à la base, c'est-à-dire que pour moi c'est normal de bosser comme un chien". 

Discussion

Éléments communs à la littérature médicale
La volonté des internes d'un exercice médical en structure de groupe, liée à la peur de l'isolement est un élément récurrent dans la littérature médicale (18,19). Il en est de même pour la volonté de préserver une qualité de vie, souvent mise de côté durant le cursus médical.

La notion idéalisée de "médecin infaillible" ne devant pas se plaindre a également été rapportée par notre étude. Cela est en contradiction avec une médecine qui est imparfaite, où les erreurs médicales sont une réalité, mais où la culture médicale impose aux internes de se taire (20). De plus, s'il leur arrivait de se plaindre, cela n'aboutissait généralement pas car les seniors répondaient qu'ils avaient vécu les mêmes difficultés.

L'insatisfaction de l'exercice médical a été signalée par les internes, pour des motifs également documentés dans d'autres études : personnel démotivé, prises en charge imparfaites ou agressives des patients, manque d'encadrement, charge de travail importante, gardes. Ce dégoût de la médecine a abouti au burn-out et à un syndrome dépressif chez certains internes interrogés. Aucun de ces internes n'avait bénéficié d'un soutien et certains ont trouvé une échappatoire dans l'arrêt transitoire de leurs études.

Aussi bien dans notre étude que dans la littérature, le vécu des stages hospitaliers a été très contrasté, avec pour certains la vision d'un "hôpital-usine" où ils ont appris à être expéditifs à cause de la charge de travail imposée, avec peu de suivi ou de retour positif notamment aux urgences. Ils craignent également de devenir cyniques et inhumains comme chez une partie du personnel soignant. L'ambiance de mise en concurrence des étudiants ainsi que la hiérarchie sont pesantes et sources de conflits. Ces conflits de valeurs et ces conditions de travail peuvent être des éléments de réponse aux difficultés des internes durant leurs études.

En revanche, le stage de gériatrie a été l’exception qui se rapprochait des valeurs des internes, avec le rapport humain, l'aspect pluridisciplinaire, la prise en charge globale et la prise de temps pour le patient (au point de susciter la vocation de certains pour la spécialisation en gériatrie).

Comme dans l'étude de Lempp et Seale et de Chamberland et Hivon, on retrouve bien les modèles de rôle. Leur influence se retrouve en stage ambulatoire de niveau 1 où les spécificités du métier sont apprises par mimétisme du maître de stage.

Les internes ont décrit dans leur parcours des modèles de rôle positifs concernant un personnel paramédical et médical aidant, une bonne entente avec l'équipe était très appréciée.

Ils ont décrit avec admiration des médecins hospitaliers ou ambulatoires sympathiques, humains, pédagogues, auprès desquels ils ont appris une médecine qu'ils aimaient.

Au contraire, d'autres parlent d'un enseignement aléatoire. Des modèles de rôle négatifs et démotivants ont été identifiés à travers un personnel paramédical désintéressé de son travail et des patients, épuisé et lassé par la charge de travail, et à travers des médecins seniors qui étaient peu investis dans leur rôle de soignant et de professeur. L'encadrement pouvait faire défaut pendant les gardes où les internes se retrouvaient seuls à gérer leurs patients, et ce dès le premier semestre d'internat. Ces seniors ont pu être irrespectueux, condescendants et humiliants. Ces conduites non professionnelles ont eu pour conséquence une démotivation des étudiants qui ont envisagés ou ont arrêtés leurs études, un dégoût de la médecine, une souffrance en stage.

Comme dans plusieurs études, les internes ont ici mentionné la peur de l'erreur médicale qui pourrait être favorisée par une charge de travail importante, sans encadrement par un senior, notamment pendant les gardes (pouvant entraîner un sentiment de dégoût de l'hôpital et de son fonctionnement).

Les internes ont aussi raconté leurs conflits avec un senior qui ont eu un impact sur leur pratique professionnelle, entraînant un comportement non professionnel du senior envers l'interne (refus d'encadrement et paroles humiliantes), une perte de confiance en soi et une volonté d'arrêter la médecine. Vers qui se tourner dans ce genre de situation ? Les internes ont subi ces conflits complètement impuissants.

Éléments nouveaux de cette étude
Les stages d'externat sont considérés comme diversifiés et formateurs par certains et pas du tout par d’autres où leur rôle se cantonnait aux tâches ingrates, où ils étaient passifs, peu encadrés et mal considérés. Toutefois, l'externat c'est aussi la découverte du folklore médical très apprécié des étudiants et qu’il faut perpétuer car il leur permet de décompresser tout le stress accumulé pendant leurs études, et fait partie intégrante de la culture médicale.

Le début de l'internat était vécu comme difficile par rapport à la fin, s'agissant d'une période de transition (changement de statut, prise d'autonomie et de responsabilités potentiellement lourdes à porter, en particulier lorsque l'encadrement faisait défaut). Le statut de médecin-étudiant pouvait leur desservir, des seniors pouvaient soit imposer leurs directives, soit se décharger complètement des responsabilités. C'est là que la solidarité entre co-internes était importante et a permis de se sentir soutenu.

Malgré la charge de travail universitaire considérée comme importante lors du 3e cycle, les internes sont globalement satisfaits de la qualité de leur formation théorique, et ont été bien encadrés par des enseignants très disponibles.

Les forces, limites et implications de cette étude
La force de cette étude a été d'aborder le thème du hidden curriculum qui est encore peu connu et peu étudié en France, alors qu'il constitue une partie importante de la formation des futurs médecins et qu’il est riche en informations. L'échantillon était diversifié (en termes d'âge et de niveau d'expérience) et multicentrique.

Comme toute thèse qualitative, les limites sont un biais de déclaration (car évocation de sujets personnels) et un biais d'interprétation lors de la sélection et du classement des verbatim.

Cette étude nous amène à sensibiliser et former les seniors du terrain à l'enseignement, notamment au début d'internat mais aussi tout au long du cursus, y compris lors de l’externat. Il faudrait promouvoir un environnement d'apprentissage collaboratif, respectueux et humain.

Il serait intéressant d’instaurer la possibilité d'effectuer pour ceux qui le souhaitent des entretiens individuels de manière anonyme et confidentielle auprès d'une personne neutre (psychologue ou autre) ? Concernant le burnout, faut-il mettre en place un dépistage pour une prise en charge précoce ? A ce sujet, un numéro de téléphone pour les médecins et internes en difficulté a été mis en place le 1er janvier 2018. Il serait judicieux en tout cas de davantage développer les groupes Balint et les groupes de pairs pendant et même après l'internat.

Qu'en est-il du tableau sombre de l'hôpital ?
Peut-on aller contre les directives budgétaires ?
Il semblerait que la bonne organisation d'un service et un encadrement optimal peuvent en partie pallier ces contraintes et rendre un stage hospitalier plus formateur, la charge de travail moins lourde et moins pénible, et être moins une source de souffrance.

Les futurs médecins veulent exercer en étant entourés. Favoriser les structures de soin collectives comme les maisons médicales ou les centres de santé semble adapté.

L'étude du hidden curriculum mérite de se poursuivre en France sur d'autres facultés, mais aussi sur une autre population : celui des externes, ou encore celui des jeunes internes afin d'y déceler leur spécificités et les différences.

Conclusion

Les internes veulent exercer en étant entourés par des pairs et une équipe de professionnels de la santé, avec un rapport humain et empathique.

L'hôpital, premier lieu d'apprentissage, véhicule des valeurs contraires à celles qui devraient être transmises aux étudiants. Il est comparé à une usine ayant des objectifs de rendement, où les patients sont maltraités, déshumanisés, où la prise en charge est expéditive (notamment aux urgences). L’ambiance concurrentielle y est pesante, tout comme les conflits entre seniors ou entre étudiant et senior.

La culture médicale pousse les étudiants à ne pas se plaindre de leurs difficultés à leurs supérieurs, de peur d'aggraver leur relation ou de ne pas être pris en considération. Il n'existe actuellement pas d'interlocuteur privilégié permettant aux étudiants de s'exprimer librement alors qu’ils en ressentent le besoin.

Le manque d'encadrement a été souligné, autant durant l'externat que l'internat. L'externat a été pour certains une succession de tâches ingrates et une absence de considération. Le passage au statut d'interne donne droit à la prescription, à un salaire, à la responsabilité et à l'autonomie, mais reste une période charnière qui nécessite un encadrement précautionneux.

Des modèles de rôle positifs et négatifs ont été identifiés. Les étudiants ont côtoyé un personnel médical et paramédical pouvant être humiliant, désintéressé des patients ou de l'enseignement, voire lui-même en burn-out. Ces rencontres ont eu des conséquences délétères auprès des étudiants : angoisse, solitude, souffrance, colère, dégoût de la médecine, burn-out, dépression. Au contraire, les étudiants décrivent leur satisfaction auprès d'un personnel paramédical et médical aidant. Ces modèles ont été pris pour exemple pour leur pratique future et ont renforcé l'envie d'être médecin.

Le stage aux urgences n’a été apprécié que par les internes ayant été bien encadrés. Les erreurs médicales qui ont eu lors de ce stage ont eu un impact émotionnel important malgré le débriefing.

Le stage de gériatrie véhicule des valeurs très appréciées des internes. On y retrouve des gériatres humains, pluridisciplinaires, respectueux, prenant leur temps avec les patients, pour une prise en charge globale et coordonnée.

Afin d'améliorer l'apprentissage des étudiants, des formations pédagogiques pourraient être dispensées auprès des seniors en contact avec les étudiants, en promouvant un environnement collaboratif, respectueux et humain. Un interlocuteur privilégié pourrait être désigné pour recevoir plaintes et/ou confidences afin de libérer la parole des étudiants, tout en développant les groupes de pairs.

L'étude du hidden curriculum mérite d'être poursuivie sur d'autres populations, ainsi que l'influence du milieu hospitalier et des modèles de rôle sur les pratiques professionnelles ou le burn-out.

Pauline Té

Pratiques des médecins généralistes d’Ile-de-France face aux dyspepsies chroniques

La dyspepsie est une maladie chronique. Elle présente un problème de santé publique d’une part par son impact socio-économique et d’autre part par le risque de cancer digestif qu’elle peut induire en cas de présence d’H.pylori. Le médecin généraliste a un rôle primordial dans sa prise en charge.

Matériels et méthodes

Nous avons conduit une enquête descriptive observationnelle entre novembre 2016 et mars 2017 auprès de 620 médecins généralistes des 7 départements d’Ile-de-France. Le questionnaire par vignettes cliniques incluant les caractéristiques sociodémographiques des médecins (sexe, âge, maîtres de stage...) a été complété par voie électronique par 134 d’entre eux. Leurs réponses ont été analysées selon ces mêmes caractéristiques socio-démographiques.

Résultats

Le test respiratoire à l’uréase était connu chez la majorité des médecins généralistes franciliens, ainsi que les conditions de sa réalisation. Néanmoins, il n’est réalisé devant une dyspepsie chronique que dans 32 % des cas. Les signes d’alarme motivant une prescription d’une fibroscopie en première intention en cas de syndrome dyspepsique étaient connus selon des proportions différentes, exception faite à l’âge.

Le traitement d’éradication d’H.pylori était adéquat dans 50 % des cas, la quadrithérapie bismuthée est prescrite dans 29 % des cas, suivi par le traitement concomitant dans 21 %, le traitement séquentiel et la trithérapie classique restent cependant bien prescrits. En absence d’infection de l’H.pylori, les thérapeutiques prescrites étaient adéquates aux recommandations sauf pour la psychothérapie dont la prescription était insuffisante en cas de syndrome dépressif associé. Certaines questions ont été influencées par les caractéristiques sociodémographiques des médecins, il a été observé une meilleure connaissance des recommandations chez les maîtres de stage.

Conclusion

La prise en charge des dyspepsies chroniques en médecine générale dans notre région nécessite une meilleure connaissance et compliance aux recommandations en vigueur. Les conséquences se traduisent en termes de coût de santé publique. Le rôle de formations médicales continues, de formations maîtres de stage, une diffusion plus large des supports d’information médicale déjà existants et l’élaboration d’autres outils informatisés adaptés trouveraient une justification dans cette étude.

Mots clés
Dyspepsie chronique, Hélicobacter pylori, Antibiothérapie d’éradication, test respiratoire à l’uréase, Fibroscopie, Signes d’alarme, Inhibiteur de la pompe à proton.

Par Rahima MERABET BRAHIMI

Article paru dans la revue “Le Bulletin des Jeunes Médecins Généralistes” / SNJMG N°21 

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Publié le 1653293789000