Le syndicat Santé au travail CFE-CGC en accord avec la requête au Conseil d’État par le CNOM est CONTRE le principe de délégation aux infirmiers en santé au travail des visites de reprise et pré reprise. Cette délégation introduit un risque santé pour les salariés concernés et un risque juridique pour les infirmiers et les médecins du travail
1. Le Décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail (JO du 27 avril 2022) autorise désormais le médecin du travail à déléguer, sous sa responsabilité la réalisation de certaines visites médicales qui n’étaient jusqu’à maintenant réalisées que par lui :êVisites de reprise
- Visites de pré-reprise
- Visites à la demande du salarié et de l’employeur
- Visite de mi-carrière, l’Article L4624-2-2 du code du travail la réserve aux infirmiers en pratique avancée MAIS la DGT dans ses questions-réponses ouvrent la porte aux infirmiers en santé au travail non en pratique avancée sans préciser que la délégation par le médecindu travail est nécessaire. 2. Ce décret a fait l’objet d’un référé suspension auprès du Conseil d’Etat par le Conseil National de l’Ordre des médecins, pour les visites de pré-reprise et de reprise considérant que ce décret entrainait « des risques graves pour la santé des travailleurs », et un « risque de dégradation du système de prévention assuré par la médecine du travail » et plaçait médecins du travail « dans une situation particulièrement dangereuse en ce qu’ils doivent déléguer des tâches à des infirmiers dont la formation n’est pas définie ». Le CNOM dans sa requête pointait particulièrement les visites de pré-reprises et mettait en avant le fait que « le nombre des médecins du travail diminuant depuis plusieurs années au niveau national, selon une évolution qui est susceptible de se poursuivre, ces médecins pourraient se trouver progressivement contraints de déléguer les tâches inhérentes aux examens de reprise et de pré-reprise dans des conditions qui ne garantiraient plus le respect des conditions encadrant cette délégation ».
Le Juge des Référés du Conseil d’État a rejeté cette requête le 18 juillet 2022, considérant que les conditions d’urgence n’étaient pas remplies et que les éléments apportés par le requérant ne démontraient pas que les médecins du travail allaient se trouver dans une situation dégradées à brève échéance (toujours la question de l’urgence motivant le référé suspension).
La décision précise que :« Si elles ouvrent au médecin du travail la possibilité de déléguer aux infirmiers en santé au travail tout ou partie des tâches inhérentes aux visites de pré-reprise et de reprise, cette possibilité ne leur est ouverte, comme le précisent les dispositions législatives et réglementaires applicables, qu’en adéquation avec leurs compétences, qu’il appartient au médecin du travail d’apprécier.
Dans ce cadre, il revient à chaque médecin du travail d’apprécier au cas par cas, notamment pendant cette période transitoire, la mesure dans laquelle la formation et l’expérience d’un infirmier en santé au travail sont compatibles avec la délégation de certaines des tâches visées par le décret attaqué, et d’organiser sous sa responsabilité, au sein de l’équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l’état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à ce que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même. ».
Que dit le Décret
Article 1
« II.-Le médecin du travail peut toutefois confier, dans le cadre de protocoles écrits, les visites et examens relevant du suivi individuel des travailleurs aux collaborateurs médecins et aux internes en médecine du travail.« Le médecin du travail peut également confier, selon les mêmes modalités, à un infirmier en santé au travail la réalisation des visites et examens prévus au chapitre IV du titre II du livre VI de la quatrième partie du présent code, à l’exclusion de l’examen médical d’aptitude et de son renouvellement mentionnés aux articles R. 4624-24 et R. 4624-25 et de la visite médicale mentionnée à l’article R. 4624-28-1, sous les réserves suivantes :
« 2° Lorsqu’il l’estime nécessaire pour tout motif, notamment pour l’application du 1°, ou lorsque le protocole le prévoit, l’infirmier oriente, sans délai, le travailleur vers le médecin du travail qui réalise alors la visite ou l’examen.
« III.-Le médecin du travail peut également confier des missions, à l’exclusion de celles mentionnées au II, aux personnels concourant au service de prévention et de santé au travail et, lorsqu’une équipe pluridisciplinaire a été mise en place, aux membres de cette équipe.
« IV.-Les missions déléguées dans le cadre des II et III sont :
« 1° Réalisées sous la responsabilité du médecin du travail ;
« 2° Adaptées à la formation et aux compétences des professionnels auxquels elles sont confiées ;
« 3° Exercées dans la limite des compétences respectives des professionnels de santé déterminées par les dispositions du code de la santé publique pour les professions dont les conditions d’exercice relèvent de ce code ;
« Les actions prévues par le présent article sont réalisées dans le respect des règles liées à l’exercice de la profession d’infirmier déterminées en application de l’article L. 4311-1 du code de la santé publique. »
6° L’article R. 4623-34 est remplacé par les dispositions suivantes :« Art. R. 4623-34.-L’infirmier assure ses missions de santé au travail qui lui sont dévolues par le présent code ou déléguées dans les conditions prévues à l’article R. 4623-14 sous l’autorité du médecin du travail de l’entreprise dans le cas des services de prévention et de santé au travail autonomes ou sous celle du médecin du travail du service de prévention et de santé au travail interentreprises intervenant dans l’entreprise.
« L’équipe pluridisciplinaire du service de prévention et de santé au travail interentreprises se coordonne avec l’infirmier de l’entreprise. ».
En résumé
Le médecin du travail « peut » déléguer.
- Ce n’est pas la direction ni la CMT, ni le médecin coordinateur qui décide.
- On peut admettre qu’un modèle général de protocole soit élaboré en CMT par les médecins du travail et les infirmiers en santé au travail mais il ne peut être opposable aux médecins du travail et il appartient ensuite à chaque médecin (Conseil d’État) de se déterminer sur la possibilité de délégation et d’adapter le protocole selon les spécificités des populations salariées suivies.
Chaque médecin du travail décide de déléguer ou non et il le fait sous sa responsabilité, l’infirmier étant placé sous son autorité. Quelles sont les conditions cumulatives ? :
- Le médecin du travail doit décider de déléguer.
- Ces visites doivent être encadrées par un protocole écrit.
- Les visites d’aptitude sont exclues.
- « Ne peuvent être émis que par le médecin du travail les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale. »
- Si de tels avis sont constatés nécessaires par l’infirmier en santé au travail ou si l’infirmier le juge nécessaire, le SALARIÉ DOIT ÊTRE ORIENTÉ SANS DÉLAI VERS LE MÉDECIN DU TRAVAIL
Remarque : la notion de sans délai a été interprétée par certains de façon libérale considérant par exemple que convoquer le salarié immédiatement pour une visite les jours suivants respectait le sans délai.
Ici, en particulier lors d’une visite de reprise, on ne conçoit pas que le salarié soit renvoyé au travail ou chez lui en attendant un rendez-vous tardif auprès du médecin du travail si l’infirmier estime que le salarié est susceptible de faire l’objet d’aménagements de son poste de travail ou bien que le cas clinique dépasse ses compétences.
- Donc le médecin du travail doit se trouver à proximité et doit pouvoir se trouver des disponibilités « sans délai ».
- Le médecin du travail doit vérifier que l’infirmier du travail détient les compétences et les formations nécessaires pour recevoir cette délégation.
Question : Sur quels critères ou référentiels le médecin du travail peut il s’appuyer pour vérifier ces compétences ??
- Cette question est posée par le CNOM car le décret définissant les formations nécessaires n’est pas paru.
- Réponse du Conseil d’État : « D’autre part, l’article 34 de la loi du 2 août 2021 prévoit que « Les obligations de formation prévues à l’article L. 4623-10 du code du travail entrent en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 31 mars 2023. Par dérogation au même article L. 4623-10, les infirmiers recrutés dans des services de prévention et de santé au travail qui, à cette date d’entrée en vigueur, justifient de leur inscription à une formation remplissant les conditions définies par le décret en Conseil d’État mentionné au deuxième alinéa dudit article L. 4623-10, sont réputés satisfaire aux obligations de formation prévues au même article L. 4623-10 pour une durée de trois ans à compter de la date d’entrée en vigueur de ces obligations.
- Finalement actuellement ces critères ne sont pas définis règlementairement.
Les responsabilités
Le médecin du travail a la responsabilité de délégation à l’infirmier en santé au travail, délégation qui fait suite à deux conditions impératives :
- Vérification et appréciation des compétences et formations de l’infirmier en santé au travail.
- Établissement d’un protocole écrit, qui doit être signé par les parties (preuve de son existence et de la prise de connaissance du contenu après échange), dans le cadre de ce protocole, le médecin du travail doit, dit le Conseil d’État : « d’organiser sous sa responsabilité, au sein de l’équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l’état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à ce que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même. ». Donc on revient à l’organisation du sans délai.
- Présance semble minimiser cette question de la responsabilité « On en profitera pour rappeler que la notion de « responsabilité » visée par l’article R. 4623-14 du Code du travail doit s’entendre comme « l’autorité médicale » (le sachant) et non pas au sens des principes de la responsabilité civile puisque seul le Service est responsable des éventuels dommages causés par ses salariés. ». C’est aller un peu vite car si en effet la responsabilité civile des médecins et des infirmiers est « assurée par le Service de santé au travail selon la loi Badinter on occulte la responsabilité déontologique et la responsabilité pénale qui est personnelle et ne peut être couverte (seulement pour les frais d’avocat) par le service de santé au travail. Le médecin du travail qui a délégué et qui a l’infirmier sous son autorité et l’infirmier lui-même peuvent bien sûr être inquiétés pénalement (mise en danger d’autrui par imprudence ou négligence...).
Alors que faire ?
- Le médecin du travail et l’infirmier doivent évaluer ensemble le bénéfice-risque d’une telle délégation, apprécier le volume des visites de reprise et pré-reprises, de mi-carrières et à la demande du salarié ou de l’employeur.
- Le médecin du travail n’a pas l’obligation de déléguer et si la question de l’évaluation des compétences et des formations acquises de l’infirmier semble insurmontable et si la possibilité pour l’infirmier d’acquérir une telle formation semble... lointaine et bien ne pas déléguer semble raisonnable.
- Le médecin du travail et l’infirmier doivent évaluer ensemble le bénéfice-risque d’une telle délégation, apprécier le volume des visites de reprise et pré-reprises, de mi-carrières et à la demande du salarié ou de l’employeur.
- Le médecin du travail n’a pas l’obligation de déléguer et si la question de l’évaluation des compétences et des formations acquises de l’infirmier semble insurmontable et si la possibilité pour l’infirmier d’acquérir une telle formation semble... lointaine et bien ne pas déléguer semble raisonnable.
- La question du protocole écrit nous semble aussi être une pierre angulaire de la réflexion en effet :
- Il est possible de ne déléguer que des visites de reprise et pas les visites de pré-reprise (difficulté supplémentaire pointée par le CNOM car raisonnablement si le médecin conseil ou le médecin traitant ou le salarié, peut être le médecin du travail lui-même appréhendent des difficultés importantes à la reprise quelles sont les probabilités pour que le salarié ne se retrouve pas au bout du compte dans le cabinet du médecin du travail ?
- Il est sans doute possible de ne déléguer (dans le protocole) que les visites de reprise après arrêt de courte durée et de certains postes (tertiaire ?) car enfin comment envisager pour l’infirmier d’évaluer le bien-fondé d’une reprise chez un salarié coffreur victime d’une rupture de coiffe des rotateurs et 18 mois d’arrêt s’il ne peut procéder à un examen médical ou encore penser que le salarié de retour d’un burn-out puisse ne pas faire l’objet de préconisations ????
- Il est donc important quand on évalue la possibilité de déléguer de mettre en place (si ce n’est fait) un tri d’orientation à la prise de rendez-vous (condition nécessaire mais non suffisante).
- Il nous parait également impératif d’organiser des plages vacantes dans les vacations pour recevoir les salariés sans délai après avis de l’infirmier (donc proximité et disponibilité : le paradoxe c’est que si ces deux conditions sont remplies quelles sont les motivations pour déléguer ? montée en compétence ? mais ces compétences sont censées être acquises. Des plages de debriefing sont également impératives.
En conclusion
Prudence et circonspection dans la démarche de délégation. Chaque médecin du travail en concertation avec l’infirmier du travail, au cas par cas dit le Conseil d’État en fonction de l’expérience de chacun peut décider ou non de déléguer et de déléguer in fine selon telle ou telle condition restrictive.
À Monsieur le Directeur
Monsieur le Médecin du travail
Messieurs
J’ai bien pris connaissance du projet de délégation du médecin du travail vers l’infirmier selon le Décret n° 2022-679 du 26 avril 2022 relatif aux délégations de missions par les médecins du travail, aux infirmiers en santé au travail et à la télésanté au travail. (JO du 27 avril 2022). Ce processus de délégation est placé sous la responsabilité du médecin du travail déléguant sous protocole écrit.
Le décret précise que :
IV.- Les missions déléguées dans le cadre des II et III sont :
« 1° Réalisées sous la responsabilité du médecin du travail ;
« 2° Adaptées à la formation et aux compétences des professionnels auxquels elles sont confiées ;
« 3° Exercées dans la limite des compétences respectives des professionnels de santé déterminées par les dispositions du code de la santé publique pour les professions dont les conditions d’exercice relèvent de ce code.
Le conseil d’État qui a été saisi sur cette questions ajoute que le médecin du travail a la charge :
« D’organiser sous sa responsabilité, au sein de l’équipe pluridisciplinaire, les conditions dans lesquelles les travailleurs dont l’état de santé est susceptible de présenter une incompatibilité avec la reprise de leur travail, ou de réclamer une adaptation de leur poste, seront orientés de façon à que cette incompatibilité soit évaluée, et ces adaptations prescrites, par le médecin du travail lui-même. »
J’estime, sous le contrôle du médecin du travail, que je suis dans l’obligation d’acquérir les nouvelles compétences nécessaires à ces nouvelles missions pour lesquelles je ne suis pas préparé. À défaut je pense qu’un grand nombre de visites déléguées fassent l’objet d’une demande d’intervention du médecin du travail (sans délai dit le décret).
Je suis à votre disposition pour réévaluer mon plan de formation .
Veuillez ....
Dr Christian EXPERT
Expert confédéral CFE-CGC – Santé - Travail et Handicap
Article parue dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°68