Décisions administratives et Judiciaires : Échographie souvenir

Publié le 13 May 2022 à 08:23

Nous avons choisi de vous présenter des commentaires d’arrêts de juridictions administratives et judiciaires provenant du cabinet d’avocats de Maître Olivier LECA qui a l’amabilité de collaborer avec notre revue. Il éclaire de façon différente et complémentaire l’information que nous devons apporter à nos patientes.

Dr BOYER de LATOUR
Dr de ROCHAMBEAU

La santé publique prime sur la liberté d’entreprendre

Maître O. LECA*

La section du contentieux du Conseil d’État a jugé que les restrictions apportées à l’utilisation des dispositifs médicaux d’échographie fœtale sont justifiées au regard de l’objectif de protection de la santé publique.

CE, 12 juillet 2018 n°412025
Il faut rappeler qu’en France, depuis 2017, la pratique de l’échographie fœtale fait l’objet d’un meilleur encadrement, ce qui n’est pas du goût de certaines entreprises qui souhaitent développer des offres commerciales d’échographie « souvenir » du bébé in utero. L’une d’elle pratiquant des échographies non médicales saisit le Conseil d’État pour annuler deux décrets encadrant l’échographie fœtale.
Pour mémoire, la loi Santé du 26 janvier 2016 a prévu la possibilité de poser, par décret, les conditions dans lesquelles la vente, la revente ou l’utilisation de certains dispositifs médicaux ou catégories de dispositifs médicaux peut être interdite ou réglementée (C. santé publ., art. L. 5211-6).
C’est ainsi qu’un premier décret du 26 janvier 2017 a interdit la vente, la revente et l’utilisation d’échographes pour de l’imagerie fœtale humaine par des personnes physiques n’exerçant pas la profession de médecin ou de sage-femme.
Il a aussi interdit la vente, la revente et l’utilisation d’échographes pour de l’imagerie fœtale humaine par des personnes morales autres que les établissements de santé, les sociétés civiles professionnelles, les sociétés d’exercice libéral ou les sociétés en participation de médecins ou de sages-femmes, les centres de santé, les maisons de santé, les maisons de naissance, les services départementaux de protection maternelle, les universités dispensant des formations en médecine humaine et en maïeutique.
Un second décret du 2 mai 2017 a ensuite bien spécifié que les échographies obstétricales et fœtales ne peuvent être réalisées que par des médecins et des sages-femmes disposant de compétences reconnues par un diplôme en attestant ou un titre de formation équivalent les autorisant à pratiquer ces actes dans un État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen (C. santé publ., art. R. 2131-1, VI).
Ce sont ces deux décrets que la société attaque pour excès de pouvoir, considérant notamment qu’ils portent atteinte à la liberté d’entreprendre.
L’objet social de la société consiste en la création de DVD à la suite de séances échographiques non médicales et en la création et administration de contenus numériques.
Pour cela, elle emploie des manipulateurs d’échographes qui ne sont ni médecins ni sages-femmes.
Le Conseil d’État rejette la requête et rappelle qu’il ne peut être exclu que l’utilisation, par une personne ne disposant pas d’une qualification adéquate, d’un appareil d’échographie, qui est un dispositif médical de classe II-a) correspondant à un risque potentiel modéré, ait des effets sur la santé de l’enfant à naître, notamment en cas de mésusage de l’appareil ou d’augmentation de la durée d’exposition et de la puissance du signal pour améliorer la qualité des images obtenues, et puisse donner lieu à une interprétation erronée des images, voire à une prise en charge inadaptée de l’enfant à la suite d’informations révélées par ces images.
Par conséquent, l’atteinte portée à la liberté d’entreprendre par les décrets, s’agissant d’une utilisation des appareils d’échographie dépourvue de justification médicale, ne peut être regardée comme injustifiée ni disproportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique qu’ils poursuivent.

De la déontologie entre confrères

Maître Olivier LECA

Un médecin généraliste est condamné à 3 mois d’interdiction d’exercice pour avoir manqué à son devoir de confraternité en adressant une note à l’avocat d’un patient mettant en cause un confrère.
CE, 18 juillet 2018 n°418910
Dans le cas d’espèce, un patient s’estimant victime de fautes commises lors d’une intervention médicale effectuée par un ophtalmologue, sollicite à titre amical, son médecin généraliste.
Ce dernier rédige, sur la base de certains éléments du dossier médical, une note qu’il adresse directement à l’avocat du patient et qui présente plusieurs arguments permettant d’étayer la mise en cause de l’ophtalmologue.
Ce dernier porte plainte contre son confrère généraliste devant la chambre disciplinaire de première instance de l’Ordre des médecins. Une interdiction d’exercer de 3 mois est alors prononcée contre le généraliste et la sanction est confirmée en appel.
Le médecin généraliste saisit le Conseil d’État pour faire annuler cette décision. Le pourvoi est rejeté. La Haute juridiction rappelle d’abord que les juridictions disciplinaires de l’Ordre des médecins peuvent avoir connaissance de l’ensemble du comportement professionnel de l’intéressé, sans se limiter aux faits dénoncés dans la plainte.
A ce titre, la chambre disciplinaire nationale a pu se fonder sur des griefs nouveaux pour infliger une sanction et notamment retenir que le généraliste avait méconnu l’obligation déontologique de respecter le secret médical, en ce qu’il avait transmis directement sa note à l’avocat du patient et non à ce dernier.
Le Conseil d’État rappelle ensuite que « la délivrance d’un rapport tendancieux ou d’un certificat de complaisance est interdite » (C. santé publ., art. R. 4127-28) et que « les médecins doivent entretenir entre eux des rapports de bonne confraternité » (C. santé publ., art. R. 4127-56, al. 1er).
Ces obligations déontologiques s’imposent à tout médecin, y compris celui qui est librement sollicité par un particulier en vue d’apporter son concours, par des analyses ou des conseils, dans le cadre d’un litige ou d’une expertise.
Or, et c’est le plus important dans cette décision, le médecin généraliste avait procédé à des affirmations inexactes, fait état de vérités tronquées, donné pour établis des faits qui ne l’étaient pas, ou à l’inverse, présenté comme hypothétiques des faits dont la réalité était incontestable. La chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins a donc exactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en affirmant que la rédaction de la note en question était constitutive d’une méconnaissance de l’interdiction déontologique de délivrer un rapport tendancieux et, qu’une telle mise en cause tendancieuse du comportement professionnel de son confrère, formulée sans prendre l’attache de ce dernier ni demander des renseignements complémentaires au patient, était constitutive d’un manquement au devoir déontologique de confraternité.

Les médecins exerçant en société civile professionnelle restent personnellement responsables de leurs actes

Maître O. LECA

Pour apprécier cette décision, il faut d’abord savoir que sur un plan juridique la SCP reste solidairement responsable des dettes des associés.
Cependant, cette solidarité est rarement appliquée dans le domaine médical, compte tenu de l’obligation d’assurance personnelle s’imposant aux praticiens associés. Le cas d’espèce fournit néanmoins une illustration.
Il s’agit du cas d’un particulier qui présentait une dissection d’une artère vertébrale, ayant entraîné un accident vasculaire, qu’il impute à une manipulation cervicale pratiquée par son kinésithérapeute.
Après expertise, il assigne l’assureur de ce dernier, ainsi que les héritiers du praticien entre-temps décédé, et enfin, la société civile professionnelle (SCP) dans laquelle celui-ci exerçait.
Au fond, le patient victime est étrangement débouté de ses demandes, alors que l’expertise semblait mettre en exergue la faute du praticien.
D’une part, les héritiers sont mis hors de cause, en raison de la cession des parts sociales qu’ils ont consentie à l’un des associés de la SCP et, d’autre part, les juges conviennent que les constatations du rapport d’expertise ne sont pas opposables à la SCP, non présente ni convoquée aux opérations. La décision est cependant cassée au visa des articles 16 de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966, R. 4381-25 du code de la santé publique et, enfin, 16 du code de procédure civile.
D’abord, pour la Cour de cassation, le juge ne peut refuser de prendre en considération un rapport d’expertise, fût-il non contradictoire, dès lors qu’il a été régulièrement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire des parties.
C’est le premier intérêt de cet arrêt, qui s’inscrit dans une ligne jurisprudentielle classique.
Ensuite, concernant le cas de la SCP « médicale », elle précise que chaque associé reste personnellement responsable des actes professionnels qu’il accomplit, si bien que la cession par un associé de ses parts sociales est dépourvue d’effet sur sa responsabilité qui demeure engagée au titre des conséquences dommageables des soins qu’il a personnellement prodigués dans le cadre de son exercice.
L’assureur du praticien décédé prendra donc en charge le règlement des condamnations en cas de responsabilité personnelle retenue par la Cour d’appel de renvoi.
Les associés nouveaux de la SCP échappent ainsi à la mise en cause de leur entité d’exercice par un court-circuit lié par la combinaison des articles R. 4381-25 du code de la santé publique et l’article 16 de la loi portant sur les sociétés civiles professionnelles :
« Chaque associé répond sur l’ensemble de son patrimoine, des actes professionnels qu’il accomplit. La société est solidairement responsable avec lui des conséquences dommageables de ces actes. La société ou les associés doivent contracter une assurance de responsabilité civile professionnelle, dans les conditions prévues par le décret particulier à chaque profession. ».
Cette décision est tout à fait transposable aux médecins par interprétation de l’article 69 du Code de déontologie : « L’exercice de la médecine est personnel ; chaque médecin est responsable de ses décisions et de ses actes. ».

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Article paru dans la revue “Syndicat National des Gynécologues Obstétriciens de France” / SYNGOF n°114

Publié le 1652423014000