Débats : Santé au travail au prochain quinquennat

Publié le 30 May 2022 à 16:33

Débats animés par  Serge Guérin, sociologue et directeur du pôle Santé à l’INSEEC

Ouverture des Rencontres
Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État chargé des Retraites et de la Santé au travail

Table ronde – Renforcer la prévention de la santé au travail : on accelère ?

Présidée par Charlotte Parmentier-Lecocq, députée du Nord, à l’initiative de la proposition de loi visant à réformer la santé au travail.

Avec la participation de :
Christine Caldeira, secrétaire générale de l’ANDRH
Christophe Nguyen, président consultant associé, Empreinte Humaine
Fabien Piazzon, Groupe imagine Human, directeur de la stratégie produit chez VAL Solutions
Xavier Pierre, responsable Logistique de Lidl
Bernard Salengro, président de l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS)

J’ai vu des choses très encourageantes dans la loi. De nombreux points explicitent certains sous-entendus de la loi de 1946. Elle disait « éviter » l’altération. Mais éviter n’est pas constater, c’est une attitude proactive. Cette loi le reprend et l’explicite.

Maintenant, la loi prévoit de la prévention pour le handicap, de manière surveillée et quantifiée. De la prévention primaire sera mise en place de façon officielle. L’aide à l’évaluation des risques en particulier par le biais de la participation au DUERP. Certains outils et matériaux seront contrôlés par les agents des douanes et de la concurrence. Par ailleurs, l’organisation du travail est citée dans les préoccupations de santé au travail, ce n’est pas une nouveauté. L’accord de 2004 en Europe et de 2008 en France avait été signé par toutes les organisations d’employeurs et de salariés. Pourtant, il demeure méconnu par tout le monde.

Du point de vue de la prévention médicale, les médecins pourront maintenant accéder au DMP. Le médecin traitant pourra plus aisément être prévenu des risques encourus par le salarié.

En tant que médecin du travail et président de l’INRS, je me réjouis de ces avancées. Elles donneront une image plus dynamique et permettront d’attirer les talents. Voilà pour les aspects encourageants.

CEPENDANT LES NOUVEAUX TEXTES SONT TRÈS DÉCEVANTS
La coordination des différentes institutions que laissait espérer le rapport de Mme Lecocq n’a pas été mise en place. Un exemple a été donné avec le document unique lors de son introduction : il y avait cinq modèles différents sur la table du chef d’entreprise, de même récemment avec les masques et les visières ce n’était pas très coordonné ! À place de la coordination espérée on a constaté une balkanisation des institutions, avec des statuts salariés différents, des gouvernances différentes, des financements différents, etc. On comprend tout à fait que les entreprises soient déboussolées.

Les partenaires sociaux ont cru pouvoir contourner le problème en instituant dans leur accord une gestion paritaire au niveau national, notamment afin d’éviter les petits arrangements locaux.

L’Assemblée nationale n’a pas suivi et les administrateurs patronaux seront désignés au niveau local ce qui en fait ne changera rien de significatif. De plus, les administrateurs salariés n’auront pas de moyens supplémentaires alors que dans la réalité ils ont l’impression de fonctionner sur des strapontins sans statuts ni moyens. Cerise sur le gâteau : le pouvoir des directeurs a été considérablement renforcé. Dans la loi de 1946, l’action était menée par les médecins, puis elle a été donnée aux services. Il est vrai qu’en raison de la complexité de certains aspects, conférer cette action aux directeurs peut se comprendre.

Mais alors, pourquoi ne pas leur avoir conféré un statut indépendant ? Cela leur aurait donné une certaine liberté vis-à-vis des desiderata des employeurs siégeant au conseil d’administration. Et pourquoi ne pas avoir garanti leurs formations ? Un directeur d’hôpital doit passer par l’école de Rennes, un directeur de caisse de sécurité sociale par l’école de Saint-Étienne, un directeur de service de santé au travail n’a besoin que d’avoir plu au président du service ! Pour l’INRS, rien de substantiel ne changera. L’INRS jouit d’une certaine renommée pour plusieurs raisons.

Premièrement, elle dispose d’une caution scientifique indubitable, ses chercheurs et ses formateurs sont de très haut niveau.

Deuxièmement, elle s’appuie sur une véritable gouvernance paritaire. Tout le monde tient à cette institution et entend la défendre, notamment vis-à-vis des restrictions financières qui ne tarderont pas à survenir.

La fusion avait éveillé quelques craintes, car elle s’accompagne souvent de désengagement des salariés, de perturbations importantes et de pertes de crédits. Mais il n’est pas nécessaire d’avoir une fusion pour obtenir une coordination des institutions. C’est là que réside le manque le plus important en matière de santé au travail. Cette balkanisation, en particulier des services de prévention de santé au travail, est un frein pour les activités de l’INRS. En effet, cette dernière a besoin de relais pour diffuser ses informations et pour faire remonter les signaux faibles. Elle a également besoin de terrains d’expérimentation pour valider ses hypothèses. Ce qui est étonnant, c’est que cette armée de services de santé au travail de plus de 15 000 personnes ne soit pas en cohérence avec l’INRS, mais aussi Santé Publique France, l’ANSES et d’autres encore.

J’aimerais présenter quelques pistes de réflexion. D’une part, pour la coordination des institutions :

Les CPOM ou contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens contractés par tous les services de santé au travail avec les CARSAT et les DREETS pourraient être davantage employés afin d’œuvrer à la coordination des différentes institutions, il suffirait que les autorités de tutelle des CARSAT et des DREETS le décident et le répercutent.

D’autre part, il faut œuvrer à une adéquation plus réaliste entre l’émergence des besoins de santé au travail et leurs financements. En effet, l’analyse des situations professionnelles et les conseils qui en découlent sont de bons moyens d’économiser des dépenses de soins pour les salariés, mais aussi de réduire les dysfonctionnements au sein des entreprises, donc leur productivité. Il est étonnant quand l’on est administrateur de l’INRS de voir l’immense succès des webinaires, des publications et du site internet et en regard voir l’approche malthusienne des responsables de BERCY lors de la COG. C’est pourquoi cette inadéquation représente une véritable aberration. Il est démontré par de nombreuses études qu’un euro investi dans la prévention économise plusieurs euros.

Enfin, certaines mesures ne coûtent rien. Il suffit de dire « je le veux » pour que cela advienne. Décider de l’interopérabilité des systèmes informatiques permettrait d’avoir une vision complète de l’ensemble de la situation de santé de l’ensemble des salariés de France : il suffit de sortir un texte et de le faire appliquer, encore faut-il la volonté politique !

Si l’on ne tient pas compte des difficultés actuelles, nous risquons d’avoir une prochaine réforme des services de santé au travail qui sera du même acabit que celle des Anact et des Aract.

Or, je suis pour ma part davantage favorable à la subsidiarité et au régime réellement paritaire comme à l’INRS.

« Les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens pourraient être davantage employés afin d’œuvrer à la coordination des différentes institutions. »

Dr Bernard SALENGRO
Expert confédéral santé au travail

Président d’honneur CFE-CGC santé au travail
Président de l’INRS

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°66

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