De Jadis à Naguère : Palmer Au Centre De La Cœlioscopie

Publié le 17 May 2022 à 22:10


Raoul Palmer n’a pas inventé l’endoscopie pourtant il est une figure incontournable de son développement en gynécologie et en chirurgie. Confronté à la détresse des patientes atteintes d’infertilité et aux limites de la médecine de son époque, le Dr Palmer introduit, développe et enseigne une technique qui sera à l’origine d’une véritable révolution chirurgicale en France et dans le monde. Médecin engagé, il n’hésite pas à prendre part aux grands débats sociaux que connaît la France au XXème siècle. Cet artisan des progrès techniques et sociaux dans lesquels nous pratiquons aujourd’hui mérite d’être mieux connu par ses successeurs.

L’endoscope nait en 1806 à Francfort (1) : il s’agit d’un dispositif destiné à l’exploration des cavités internes : gorge, trachée, bronches, vessie, œsophage, estomac… inventé par Philipp Bozzini. Le Dr Désormeaux (médecin français) le nomme endoscope en 1853. Au départ, il s’agit d’un appareil simple mais ingénieux se basant sur des lentilles, des miroirs et un éclairage… à la bougie !

La première exploration intra-abdominale par scopie a lieu en 1901, en Allemagne par Kelling, qui effectue la première laparoscopie sur un chien après création d’un pneumopéritoine. Il baptise la technique : Kœlioscopie. En 1912, Jacobeus ose la première laparoscopie sur l’homme à Stockholm. Pourtant ces noms et ces techniques restent méprisés à une époque où le talent des chirurgiens est considéré comme proportionnel à la taille des cicatrices faites aux patientes !
A Paris, un jeune gynécologue de l’hôpital Broca croit pourtant en cette technique révolutionnaire dans la prise en charge des patientes : c’est Raoul Palmer.

Fils d’immigrés suédois installés à Paris (2), Signe et Fritjof Palmer, Raoul Fri Palmer nait à Paris en 1904. Il effectue d’abord une licence de Botanique et de Zoologie puis fait sa médecine en orientant son internat vers la « chirurgie expérimentale ». Sa thèse portera sur « La physico-pathologie du foie et des vaisseaux hépatiques » en 1934. Recommandé par son patron de l’époque, le Pr Noel Fiessinger, il est engagé comme « Chef des travaux de gynécologie à la faculté de Médecine de Paris » à l’hôpital Broca en 1934. Il y soignera les femmes pendant près d’un demi-siècle. Fraichement installé dans son nouveau service rue de la Glacière, où il y fera toute sa carrière assisté par sa femme Elisabeth, le Dr Palmer se spécialise dans la prise en charge des stérilités féminines où les besoins sont grands à l’époque.
Pour rappel, les interruptions de grossesses étaient alors interdites en France. Afin de combattre la dépopulation induite par la grande guerre de 1914, le médecin et sénateur Odile Lannon obtient l’application de la loi du 27 juillet 1920 au code pénal français qui réprimait à la fois « la provocation à l’avortement » mais aussi « la propagande anticonceptionnelle », soit toute méthode de contraception (3).

En 1942, sous le régime de Vichy, l'avortement est déclaré crime contre la Sûreté de l'État, et passible de la peine de mort. En 1943, Marie Louise Giraud est condamnée à mort pour avoir pratiqué des avortements (4). Pourtant, n’ayant pas accès à une contraception efficace, les femmes ont souvent recours aux « faiseuses d’anges » ou aux « tricoteuses » et à des avortements clandestins, dont les complications sont fréquentes et graves allant de la mort à la stérilité. Nombreuses sont celles qui une fois mariées sont touchées par des atteintes tubaires sévères et consultent le Dr Palmer à cet effet. La prise en charge de l’époque consistait à une hystérosalpingographie, qui identifiait l’obstruction tubaire. Puis, une laparotomie exploratrice évaluait l’opérabilité de la patiente pour si possible la traiter. Seulement, nombreuses étaient les patientes qui se voyaient infliger cette laparotomie exploratrice ; et à qui le chirurgien annonçait au réveil que leurs atteintes tubaires étaient incurables.

Confronté à la détresse de ces femmes, Palmer eut l’idée d’introduire les techniques d’endoscopies abdominale dans la prise en charge des patientes atteintes d’infertilité. Malgré des premières expériences décevantes, il ne se détourna pas de cette voie opératoire et améliora la technique de façon remarquable (5).

Privilégiant la voie abdominale plutôt que le passage par le cul de sac de Douglas, il introduit l’utilisation d’un mobilisateur utérin pour ramener l’utérus et les trompes en avant en utilisant les sondes de radiologie. L’utérus est enfin visible avec un optique en ombilical !

Il a l’idée d’utiliser comme insufflateur une aiguille inventée par un pneumologue hongrois pour créer un pneumothorax chez le tuberculeux : c’est l’aiguille de Verres ou de Palmer qui sert à effectuer le pneumopéritoine.

Il améliore ses optiques et commence à utiliser l’éclairage par tige de quartz en 1952. En 1956, il adapte une caméra à son optique et filme en intra-péritonéal pour la première fois. En 1958, il effectue l’électrocoagulation des trompes par voie cœlioscopiques : premier pas vers la stérilisation définitive. En 1961, il prélève des ovocytes par voie cœlioscopique (6).

Avide de transmettre ses techniques opératoires et de les enseigner au plus grand nombre, Palmer publie massivement et reçoit des chirurgiens des quatre coins du monde dans son bloc opératoire. N’ayant pas d’écran de transmission à l’époque, il opérait d’une main et dessinait de l’autre en simultané !!

Les progrès de la cœlioscopie sont alors techniques, anatomiques et surtout internationaux. L’introduction des fibres optiques à partir de 1972 apporte une légèreté et une visibilité sans pareil. Le développement d’instruments dédiés à la cœlioscopie et l’idée de les introduire par des trocarts avec des axes différents de celui de l’optique est décisif. En 1972, le gynécologue vichyssois Hubert Manhes procède au premier traitement d’une grossesse extra-utérine par cœlioscopie.

Un gynécologue allemand, le Dr Semm, développe notamment les techniques de nœuds intra et extra-corporelles et les techniques de sutures laparoscopiques. Il ose en 1980 la première appendicectomie cœlioscopique (7). En 1987, le Dr Philippe Mouret, chirurgien lyonnais, procède à la première cholécystectomie cœlioscopique (8).

Acteur historique des avancées majeures de la chirurgie au 20ème siècle, le Dr Palmer prendra part aux débats de son époque et aux grands bouleversements sociaux que connaîtra la France d’après-guerre. En 1961, il participe à une campagne de presse dans Le Monde en faveur de la contraception et défend ses positions dans un colloque en 1963. Cela lui vaudra deux blâmes par le Conseil de l’Ordre des médecins. En 1968, la loi Neuwirth, portée par le député gaulliste éponyme, abroge la loi de 1920 qui pénalisait jusque-là la contraception en France. En 1972, Raoul Palmer témoigne en faveur de la jeune Marie-Claire Chevalier lors du Procès de Bobigny ; jeune femme violée et dénoncée aux forces de l’ordre par son agresseur pour avoir subie une IVG. Sa prise de position lui vaudra un troisième blâme par le Conseil National de l’Ordre des médecins. En 1975, la promulgation de la loi Veil, portée par Simone Veil, ministre de la Santé et gynécologue de profession, dépénalise l’avortement en France sous conditions.

Le Dr Palmer décède en 1985 et ne connaîtra pas l’introduction de la vidéoscopie au début des années 1990. Il reste dans nos mémoires comme un grand gynécologue ayant contribué à mettre la Science et la Technique au service des patientes d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Maryame EL GANI
Interne de GO à Tours

1. Spaner SJ, Warnock GL. A brief history of endoscopy, laparoscopy, and laparoscopic surgery. J Laparoendosc Adv Surg Tech A. 1997 Dec;7(6):369-73.
2. Schlogel G. Raoul Palmer et l'aventure cœlio-chirurgicale de 1940 à 1995. Hist Sci Med.1996;30(2):281-7.
3. Anne Cova, Maternité et droits des femmes en France : XIXe -XXe siècles, Economica, 1997.
4. Mireille Le Maguet, Une "faiseuse d'anges" sous Vichy : le cas Marie-Louise Giraud, Institut d'études politiques de Grenoble, Saint-Martin-d'Hères, 1996, 128 p.
5. Palmer R. Instrumentation et technique de la cœlioscopie gynécologique. Gynecol Obstet (Paris) 1947;46:420–431.
6. Litynski GS. Raoul Palmer, World War II, and transabdominal coelioscopy. Laparoscopy extends into gynecology. JSLS. 1997;1(3):289-292.
7. Semm K. Pelviskopie und Hysteroskopie. Stuttgart: F.K. Schattauer Verlag; 1976.
8. Polychronidis A, et al. Twenty years of laparoscopic cholecystectomy: Philippe Mouret--March 17, 1987. JSLS. 2008 Jan-Mar;12(1):109-11.

Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°20

Publié le 1652818249000