De jadis à naguère : Le déni de grossesse

Publié le 17 May 2022 à 02:25


Le déni de grossesse est un phénomène encore mal compris qui anime régulièrement l’actualité et les forums.
Au fond, comment peut-on expliquer que certaines femmes désirent un enfant à tout prix, tandis que d’autres le refusent au point de totalement nier son existence ?

Un peu d’histoire
Le fait de ne pas reconnaître un état gravide est pressenti, voire connu par les cliniciens depuis longtemps. En 1681, le Dr MAURICEAU prétend que des saignements menstruels peuvent persister pendant la grossesse et conduire à la méconnaissance d’un état gravide.

En 1898, le Dr GOULD évoque la « grossesse inconsciente » en s’appuyant sur une petite étude de 12 patientes.

En 1900, le Dr BROUARDEL, médecin légiste, développe dans un de ses livres un chapitre intitulé : « Une femme peut-elle être enceinte à son insu ? » dans ce chapitre l’auteur reconnait que l’ignorance d’une grossesse est admissible.

Néanmoins le concept est apparu et s’est démocratisé dans les années 1990.

Le déni de grossesse se définit de la façon suivante : comportement de négation inconsciente de la grossesse. L’évolution se faisant à l’insu de la femme, les bouleversements biologiques générés par la gestité, sont réduits ou incorrectement perçus.

On distingue deux types de déni : le déni partiel où la mère prend conscience de la maternité avant l’accouchement, et le déni totale qui perdure jusqu’à la naissance de l’enfant.

Quelques chiffres
Le déni de grossesse n’est pas une rareté. On estime qu’il concerne 1 à 3 naissances pour 1000, soit 1600 femmes par an en France. Il touche toutes les tranches d’âge, ainsi que tous les niveaux socioéconomiques (il existe même des cas répertoriés chez des médecins !). Jusque 1 % de ces femmes accouchent à domicile. Enfin, contrairement aux idées reçues, près de la moitié des femmes concernées sont déjà mamans. De quoi balayer les clichés d’adolescente dissimulant volontairement la grossesse à ses parents, ou celui de la femme marginale ignorante de son anatomie ou souffrant d’une pathologie psychiatrique.
Comment ?
La somatisation de la grossesse en temps normal est telle, que la pauci-symptomatologie des patientes avec déni de grossesse a longtemps été considérée comme une dissimulation volontaire des informations. Mais se contenter de cette explication, c’est en réalité faire l’amalgame entre le déni et la grossesse cachée voire l’infanticide.

Pour le Dr M. LIBERT, psychiatre et spécialiste du phénomène, c’est le cerveau qui est responsable. Le déni de grossesse est pour lui, l’illustration même de la complexe intrication entre le corps et le psychisme. Pour certains, le déni est un mécanisme de défense visant à protéger l’enfant. Pour d’autre, l’expression inconsciente d’un passé douloureux chez sa propre mère.

En réalité, on ne sait pas encore expliquer pourquoi la bascule de l’utérus ne se fait pas, laissant ainsi le ventre parfaitement plat, ni comment les menstruations anniversaires peuvent se maintenir régulièrement sans mise en danger de la nidation. Il semblerait même que dans certaines situations, ce soit la reconnaissance de la grossesse par autrui qui génère les modifications du corps.

Que faire ?
La complexité du déni de grossesse rend la prise en charge difficilement orchestrable.

Le déni total est plus complexe encore car il bouleverse en quelques heures la vie d’une femme. La levée du déni s’accompagne alors d’une phase de déconcertation intense, de dissociation. La femme souffre, s’ajuste de son mieux à la naissance, mais gardera un sentiment d’étrangeté face à l’arrivée de cet enfant, là, chargée de non-dit, d’un sentiment indicible d’être “à côté” de ce qu’elle vit au lieu de le ressentir pleinement.

L’équipe médicale occupe alors une place primordiale dès le début. Notre rôle est de ne pas laisser ces femmes désemparées, seules, dépassées.

En l’absence de facteurs de risques et d’étiologie claire, les recommandations et la prévention à faire concernant ce problème de santé publique consistent surtout à en parler et à faire connaître ce phénomène.

Florie PIROT
Paris
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°15

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