La dysphorie de genre est définie comme une franche discordance entre le sexe assigné à la naissance et le genre dans lequel cette personne s’identifie et s’exprime. Elle s’associe à une intense détresse physique et émotionnelle.
Les premières études sur les transgenres ont commencé dans la deuxième partie du 19e siècle par des médecins européens. D’ailleurs, jusqu’en 1950, la littérature scientifique médicale sur les transgenres était confiné uniquement à l’Europe occidentale. Un des premiers medecins à contester la psychopathologie et la stigmatisation de cette comunauté est un sexologue allemand Hirschfield qui écrit « Transvestites » en 1910, le premier livre entièrement dédié à la population transgenre. Fondé en 1919 à Berlin, le Hirschfield’s Institute for Sexual Science présente les archives des premières chirurgies de réassignation au niveau mondial (dans les années 20 à 30). En 1931, dans cet institut, Dorchen Richter est le premier individu dont la chirurgie de réassignation de genre est documentée : après une castration en 1922, elle bénéficie d’une vaginoplastie en 1931.
Peu de temps après cette chirurgie (1933), l’institut a été détruit par le régime Nazi. Dans les années qui ont suivi, très peu de chirurgies de réassignation ont été réalisées.
Ce n’est que 22 ans plus tard en 1953 que l’on parle publiquement pour la premiere fois d’une chirurgie de réassignation. La transformation (FTM) de Christine Jorgensen citoyenne américaine et vétéran de la deuxième guerre mondiale fait les grand titres internationaux après sa vaginoplastie réalisée au Danemark.
La publicité massive concernant le succès de la chirurgie de Jorgensen entraîne une augmentation des demandes de chirurgie de réassignation sans augmenter l’accès à ce type de chirurgie. En réponse à l’augmentation massive de demandes envers les chirurgiens Danois, le gouvernement danois interdit les chirurgies de réassignation pour les non citoyens. Aux USA, très peu de chirurgiens sont alors à l’aise ou compétent pour ce type de chirurgie. Beaucoup ont peur d’être poursuivis en justice par des patients insatisfaits, surtout au vu de la loi « Mayhem » qui interdit la dégradation d’un tissu sain.
Dans les années 50 et 60s, seules les chirurgies MTF (vaginoplasties) sont réalisées et médiatisées. Les phalloplasties sont extrêmement rares car la (re)construction d’un pénis fonctionnel n’est pas encore une réalité chirurgicale. De plus, les médecins voient le « transexualisme » comme étant une condition masculine, les MTF étant plus nombreux que les FTM.
En 1966, Le Dr Harry Benjamin publie « The transexual phenomenon » le premier livre avec un œil sympathique sur le transexualisme qui exprime clairement la définition d’identité de genre, et qui discrédite les tentatives de « conversion » ou de « traitement » de patients transexuels par la psychothérapie. Il préconise clairement une modification corporelle « pour ajuster le corps à l’esprit ».
Rapidement après la publication de « The transexual phenomenon », l’université Johns Hopkins à Baltimore annonce l’ouverture de la première « Gender Identity Clinic » aux USA qui propose des chirurgies de réassignation. Dans ses 2/3 premières années, la clinique a reçu presque 2000 demandes d’intervention. Inondés de demandes désespérées, le personnel de la clinique a décidé de préférer les dossiers de patients qui avaient le plus de chance de « passer » pour le sexe opposé et qui se comportaient en accord avec les normes traditionnelles du genre. Et finalement, ils ont refusé presque toutes les demandes et n’ont réalisé que 24 chirurgies de réassignation. A la fin des années 60, d’autres centres aux USA ont commencé à réaliser des chirurgies de réassignation mais avec les mêmes types de critères de sélection. Bien que la clinique John Hopkins ait fermé en 1979 en plein milieu de la controverse, environ un millier d’américains avaient pu être opéré dans diverses hôpitaux sur la décennie.
Dans les années 80, progressivement le nombre de médecins acceptant de réaliser ce type d’intervention – notamment dans les cabinets privés – augmente.
Les techniques de vaginoplastie
A la différence de la phalloplastie, la vaginoplastie a été réalisée au début du 19e siècle pour les femmes cisgenre avec des pathologies congénitales, traumatiques ou oncologiques.
Avant les années 50, la plupart des vaginoplasties sont réalisées à partir de greffes de peaux issues du dos, des fesses ou des cuisses. Plus rarement, les chirurgiens utilisent des greffes de muqueuses intestinales, technique plus invasive et morbide. Sir Gillies et D. Millard ont réalisé les premières descriptions de l’inversion pénienne pour les vaginoplasties des transgenres dans The Principles and Art of Plastic Surgery, dans les années 1950. Cette technique a rapidement été adoptée internationalement comme un standard. Les lambeaux cutanés non génitaux, typiquement dérivés de la cuisse, ont été décrit en 1980 par Cairns et De Villiers.
Les options pour les constructions de néovagin sont donc la greffe de peau, les lambeaux, l’inversion pénienne et la greffe intestinale. En première intention, l’inversion pénienne est considérée idéale pour les non circoncis et le lambeau penoscrotal pour les circoncis. La greffe cutanée ou intestinale sont des techniques de deuxième intention. Les désavantages de la greffe cutanée et des lambeaux sont la rétraction du néovagin, la nécessité de dilatation vaginale quotidienne et indéfinie, l’absence de lubrification, et la cicatrice sur le site donneur. Un des avantages de la peau pénoscrotale est la conservation de la vascularisation et sensation du tissue et la diminution de rétractilité du tissu ; néanmoins elle nécessite tout de même des dilatations à vie pour éviter la sténose et la lubrification est souvent insuffisante. L’avantage de la greffe intestinale est l’obtention d’un long néovagin avec capacité de lubrification avec moins de risque de rétractilité ou sténose. Néanmoins les désavantages sont l’excès de pertes de mucus et l’augmentation de la morbidité liée à la chirurgie intra-abdominale.
De nos jours, avec l’avancée des techniques, l’objectif est de créer un vagin fonctionnel avec un néoclitoris ainsi que des petites et grandes lèvres constituées de tissu périnéal et de lambeaux.
Les techniques de phalloplastie
Les premières descriptions de phalloplastie émergent pendant la première guerre mondiale quand les soldat blessés souhaitent une reconstruction pénienne. Donc la plupart des techniques ont d’abord été décrites chez des cisgenres. Le premier cas documenté dans les années 40s de chirurgie FTM est celle de Michael Dillon, un médecin britannique. La chirurgie est réalisée par le Dr Harold Gillies qui dans les dossiers officiels diagnostique Dillon avec un hypospade pour cacher les vraies raisons de sa chirurgie. De 1946 à 1949, Gillies réalise une série de 13 chirurgies sur Dillon. Sa technique reste un standard pendant 40 ans et consiste en deux lambeaux en tubes : le premier pour le néo-urètre et le deuxième autour pour la peau. Dans les années 70, les lambeaux pédiculés sont introduits ainsi que des modifications de techniques comme l’incorporation d’un « appareil gonflable érectile ». En 1982, Song décrit le premier lambeau libre d’avant-bras radial popularisé deux ans plus tard par Chang et Hwang qui y incorporent une technique d’urétroplastie en un temps. Cette technique populaire reste le gold standard.
Plusieurs alternatives ont été décrites dans les années suivantes dont l’ajout d’un implant osseux pour la rigidité érectile (Dr Biemer 1981), le lambeaux latéral de bras (Upton, 1987), le lambeau ostéocutané de fibula (Sadove, 1993) et le lambeau scapulaire (Yang, 2003).
En 1993, Hage et De Graaf ont émis des critères pour le néo-phallus idéal : une intervention en une étape, esthétique, tactile et érogène avec un néo-urètre fonctionnel et un minimum de complications notamment du site du donneur. On entre donc dans une ère de raffinement technique, même si aucune n’est capable d’offrir simultanément tous les objectifs de Hage et De Graaf.
De nos jours, il existe trois types de techniques : la phalloplastie par lambeau pédiculé ou par lambeau libre et la métaidioplastie.
La metaiodioplastie est la création d’un néophallus à partir d’un clitoris hypertrophié à l’aide d’hormonothérapie. L’avantage est que la glande est tactile, érogène et érectile sans prothèse et avec peu de cicatrice, une durée opératoire et d’hospitalisation courte. Néanmoins le pénis est beaucoup plus petit (5-7 cm), avec une fonction sexuelle diminuée et une difficulté pour uriner debout. Une phalloplastie est possible après réalisation d’une metaiodoplastie.
Les phalloplasties par lambeau pédiculé (de cuisse, épigastrique ou de l’aine) ont l’avantage d’avoir un bon réseau vasculaire avec une possibilité de réinnervation et peu de cicatrices mais les résultats esthétiques sont parfois limités avec un plus haut taux de complication.
La phalloplastie par lambeau libre (le plus souvent radial) est considérée comme acceptable au niveau de l’esthétisme, des sensations érogènes et tactile, et de la fonctionnalité mais les complications urinaires sont importantes avec de grosses cicatrices au niveau du site donneur.
Alexane TOURNIER
Vice-présidente AGOF
Référence
J. Frey et al. : A Historical Review of Gender-Affirming Medicine: Focus on Genital Reconstruction Surger, J Sex Med 2017.
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°21