De Jadis à Naguère : Histoire de l’épisiotomie

Publié le 17 May 2022 à 01:41

Il nous semblait utile de faire un petit point sur ce geste médical, compte tenu des récentes est insoutenables accusations jetées par notre très chère secrétaire d'État à l'Égalité entre les femmes et les hommes.

Du grec ancien ἐπίσιον, e̍písion (« pubis ») et -τομία, -tomía (« coupure »), c’est en 1742, au Rotunda Hospital de Dublin, que la première épisiotomie est réalisée par Fielding OULD, obstétricien avangardiste et auteur de l’ouvrage “ A treatise of midwifry”. Longtemps reliée à la naissance de Dionysos, fils de Zeus, sorti d’une section pratiquée dans sa cuisse par le « père des Dieux et des Hommes », cette incision chirurgicale de la vulve a connu un illustre destin jusqu’à la fin du XXème siècle, jusqu’à devenir aujourd’hui une pratique lourdement critiquée

Rappelons tout d’abord l’évolution fulgurante de notre spécialité au cours du XXe siècle, appuyé par l'essor de l’industrialisation. Dans une médecine baignée de paternalisme, c’est au médecin, le plus souvent homme, que revient alors la responsabilité de l’accouchement, se substituant progressivement à l’accompagnement féminin qui prédominait très largement jusqu’à lors. Un siècle après la GrandeBretagne, les accoucheurs français, principalement sous l’impulsion de Stéphane TARNIER, vont défendre et diffuser la pratique des différentes périnéotomies.

“À l’époque, la femme payait très cher le privilège de donner la vie. La mort planait constamment audessus de l’accouchée et de son enfant. Aux risques hémorragiques et infectieux, s’ajoutaient chez la mère de graves et souvent définitifs délabrements anatomiques et chez le nouveau-né des traumatismes parfois causes de redoutables séquelles.” (extrait du livre : De la nécessité de couper les femmes lors de la mise au monde des enfants ; Paul Cesbron).

Partant de cette effroyable constatation, la société médicale, élargit la pratique de l’épisiotomie, dans le but de réduire considérablement le danger. On enseignait alors aux jeunes obstétriciens français deux techniques : l’épisiotomie latérale et l’épisiotomie médio-latérale, cette dernière finissant par s’imposer. À ce type d’incision s’est opposée, jusqu’à la fin du XXème siècle, la périnéotomie médiane, défendue par certains en France, mais dominant largement en Grande-Bretagne et en Amérique du Nord. À ces divergences s’ajoutent les multiples techniques de sutures proposées et d’anesthésie conseillées.

La pratique de l’épisiotomie s’est ensuite développée et les indications initialement limitées à la mère (retentissement périnéal), se sont étendues aux paramètres fœtaux (asphyxie fœtale aiguë), véhiculant l’idée populiste d’une tolérance zéro.

Faut-il aujourd’hui remettre en cause ce qui nous est apparu longtemps comme de solides, sinon irréfutables acquis médicaux ?

Depuis les années 1980, la tendance est plutôt à la réduction du geste. La société porte un œil nouveau sur le corps de la femme, longtemps négligé. La sexologie se développe. Les femmes osent enfin parler de leurs expériences parfois traumatisantes. Alors que la médecine fondée sur les preuves (Evidence based médecine), fait son apparition et guide de plus en plus les pratiques médicales, l’épisiotomie systématisée est alors largement remise en question

Le Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français s’est rigoureusement attelé relecture de la totalité des études internationales. Les conclusions sont simples et sans appel : aucune indication précise de l’épisiotomie n’a fait la preuve de son caractère préventif (RIETHMULLER D, COURTOIS L. MAILLET R. : Existe-t’il des indications obstétricales spécifiques ? Recommandations pour la pratique clinique : épisiotomies. RPC 2005 -Texte 3. CNGOF). L’épisiotomie devient alors un geste réalisé uniquement en cas d'absolue nécessité, comme elle nous est d’ailleurs actuellement enseignée.

D’où vient alors le malaise actuel qui plane autour de l’épisiotomie, déversant avec lui un flot d’encre ?

La fin du XXe siècle a vu progressivement le paternalisme s’éteindre, au profit d’une réelle médecine consumériste à l’instar des modèles anglo-saxons. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé entérine la place du patient en tant qu’acteur actif de ses propres soins.

Mais cette nouvelle approche de la santé, qui se voulait bienfaisante, a ses côtés pervers. Et l’on assiste de plus en plus au XXIe siècle, à une médecine justifiable, où toute démarche s'inscrit de plus en plus dans le médico-légal, et où le savoir médical est opposable à la “e-information”. La toile participe lourdement à cette déstabilisation de la relation médecin/malade : le malade voit d’abord le Dr Google avant de voir le professionnel, les blogs alimentent le partage des mauvaises expériences (bien plus que des bonnes), et la confiance s’effrite peu à peu à chacune des videos buzz mettant sous les projecteurs un accident regrettable ou la conduite alarmante et crapuleuse d’un quelconque “médecin” opportuniste.

Notre expérience révèle in fine, que la plainte est souvent la conséquence d’une communication imparfaite. Une épisiotomie chez une patiente informée de sa possible survenue, du pourquoi et du comment, ne pose généralement pas de problème.
Parcourez patiemment les forums qui jettent l'opprobre sur cette pratique et vous vous apercevrez que la souffrance est générée par la mésinformation. A nous alors de jouer, d’expliquer calmement (même en situation d’urgence) pourquoi il nous faut inciser, de poursuivre le dialogue tout en réparant, de rassurer...

La difficulté de nos jours reste la perte de confiance pour une minorité de patientes, et la volonté de démédicaliser l’accouchement. Ce serait tellement plus rentable pour l’État de supprimer encore davantage de salle de naissance ! Non la grossesse n’est pas une maladie. Mais nous ne pouvons pas ignorer toutes ses femmes pour qui donner la vie fut des plus complexes. Nous ne pouvons pas tirer un trait sur ce jours où le deuil malheureusement s’est engouffré violemment dans la salle de naissance. Nous ne cesserons pas d’exercer auprès des femmes, le bien, parce que d’autres n’en veulent pas. Nous sommes obstétriciens, et continuerons de l’être tant que les ventres ronds existeront.

Florie PIROT
Interne GO Paris
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°14

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