Dans l'œil du profane

Publié le 26 May 2022 à 16:11

 

Nous vous proposons dans ce numéro deux articles, écrits par de jeunes auteurs, extérieurs au milieu de la psychiatrie. Ils nous font part ici de témoignages, sans retouches, sans artifices, mettant en avant leur vision propre des troubles psychiques ou celle de leur entourage, avec leurs mots. Deux écrits qui pourront vous interpeller, vous frapper, vous exaspérer, ou vous laisser de marbre, mais qui viennent, très justement, nous rappeler la réalité de la psychiatrie et des troubles psychiques pour une grande partie de la population. Sans plus de commentaires, nous vous les livrons.

Témoignage : “mon cousin schizophrène”
Larziz, 25 ans.
« La maladie de mon cousin est en train de déchirer ma famille ».

Mon cousin s’appelle Jacob et il est schizophrène. Il a été diagnostiqué il y a un peu moins d’un an maintenant, alors qu’il venait tout juste d’avoir 26 ans. Pour la famille ça a été un grand choc, pour les grands-parents, les tantes, les oncles, les cousins, les parents, les frères et sœurs...

Il faut dire que dans la famille, on a un peu pour tradition de nier les maladies. Un mal de dos, de gorge, de la fièvre, des nausées ? Une aspirine et c’est reparti ! Il y a quelques temps, mon grand-père est resté alité une semaine, incapable de se lever, avant d’accepter d’aller voir un médecin : il avait une bactérie logée sur sa colonne vertébrale qu’il a fallu opérer. Alors imaginez comment le diagnostic de mon cousin a été accueilli ! Certains nient que sa maladie existe, d’autres le tiennent carrément pour responsable de ses accès délirants et refusent désormais de le voir.

Dans tous les cas, personne ne comprend, et personne ne l’accepte. De plus en plus, l’incompréhension laisse place à la rancœur, et sa famille se coupe de plus en plus de Jacob. Au lieu de l’épauler dans son immense difficulté, ils se détournent et se ferment lorsqu’on évoque sa condition : par peur, incompréhension, frustration, énervement… La sœur de Jacob est la seule qui essaye de l’aider à se faire soigner. Tout ce qu’elle y gagne est la rancœur de son frère qui pense qu’elle lui veut du mal, et celle du reste de la famille qui ne comprend pas qu’elle l’aime et a raison de le pousser vers les psychiatres. Elle doit même s’opposer à sa mère, la plus démunie de la famille, qui réduit les doses de médicaments de Jacob car elle a l’impression de lui faire du mal !

La maladie de mon cousin est en train de déchirer ma famille, et je n’ose pas imaginer l’impact qu’elle aurait eu si nous étions moins soudés. Car toute notre vie, notre éducation a été fondée sur notre famille, sa bienveillance, et le fait qu’elle serait toujours là pour nous, même lorsque le monde entier nous aurait tourné le dos. Mes grands-parents ont toujours insisté sur l’importance de la famille, et nous avons grandi dans ce cocon protecteur.

Je n’ai pas écrit cet article dans le but de raconter la vie de ma famille. Mon but est plutôt de vous illustrer par mon expérience le choc que représente une maladie psychiatrique dans une famille, aussi soudée soit elle, et un exemple de cadre dans lequel les patients vivent lorsqu’ils rentrent de consultation. En 2020, mon cousin rentre de consultation, et personne ne croit vraiment qu’il est malade, dans sa propre famille.

Psychiatrie & adolescence
Johanna, 19 ans.
La perception des troubles psychiques chez les jeunes…

Les troubles psychiques sont un sujet « sensible » pour l’opinion publique. C’est principalement dû à la présence de préjugés dans la doxa collective qui troublent la perception que nous en avons, notamment les jeunes. On relève parmi ces préjugés par exemple, que « toutes les personnes atteintes de troubles mentaux seraient folles, dangereuses », ou encore qu’elles ne seraient «  pas des personnes normales  ». De fait, ces idées reçues transcendent les générations. Les jeunes d’aujourd’hui sont sensibles face à ce sujet, mais la plupart d’entre eux n’en ont une connaissance que très sommaire. La liste des maladies qu’ils connaissent est d’ailleurs assez réduite. J’en ai interrogé un certain nombre, et cette connaissance est d’en moyenne 5 pathologies. Celles qui reviennent le plus sont la schizophrénie, la bipolarité, la dépression et la paranoïa. En ce qui concerne la définition du terme même de "troubles mentaux ou psychiques", la majorité se cantonne à donner celle de "maladie cérébrale".

Le quotidien de ceux qui en sont porteurs est perçu tantôt comme quelque chose de très répétitif et réglé au millimètre près, tantôt comme un quotidien très négatif, rythmé par la souffrance et la colère. Les jeunes que j’ai interrogés sont pour beaucoup assez intéressés par ces troubles, mais en ont peur.

"Oui ça peut faire peur quand on n’est pas habitué, et ça peut être aussi dangereux.", me dit Philomène, 19 ans. Que ce soit la peur de la maladie, ou de la personne qui en est victime, ce sentiment est présent et occupe une place importante. Une minorité seulement les considèrent comme des "personnes normales" et peuvent même penser que "les hôpitaux psychiatriques les rendent encore plus malade" (d’après Morgan, 20 ans). Pourtant, malgré cette réticence, c’est à l’unisson qu’ils se disent prêt à les aider. "Il faut rentrer dans leur jeu et ne pas leur mettre la pression en leur disant qu’ils sont fous, ils se sentiront mieux" raconte Lou, 17 ans, tandis qu’Anouk 18 ans ajoute : "il faut les encourager, même si c’est pesant pour nous ». Les plus altruistes d’entre eux soutiennent même qu’il est « très important d’aider ces gens et de les supporter parce qu’ils peuvent aussi ne plus avoir envie de se battre".

Malgré la peur, je crois que les jeunes se sentent donc capables d’essayer de leur venir en aide, à leur échelle. Il parait évident que si les réalités de ce monde étaient perçues de la manière la plus réelle possible, le sentiment de peur s’effacerait peu à peu et les malades pourraient être plus aisément compris.

            Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°26

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