Covid : il faut vacciner, massivement et rapidement !

Publié le 31 May 2022 à 13:41

 

La pandémie COVID entre dans une seconde phase : celle de la vaccination. Or, il semble bien que la France ait quelque peu raté son entrée dans cette phase cruciale, ajoutant une part de ridicule à l’inefficacité.

Dr Jérôme FRENKIEL
Rapporteur des questions de

santé publique pour l’INPH

Rappelons-en, s’il en était besoin, les enjeux sanitaires. C’est d’ailleurs simple : à ce jour, 87 millions de contaminations répertoriées et 1,88 millions de décès, sans parler des séquelles. Des conséquences sanitaires indirectes (prises en charge retardées ou minorées, conséquences psychologiques, conséquences sanitaires de la précarisation économique, etc.) que l’on mesurera dans la durée. Des conséquences préoccupantes sur les libertés, la vie sociale et la culture. Et, bien entendu, les conséquences économiques et sociales que l’on sait. Cela pour dire que toute décision de santé publique sur le sujet du COVID doit être rapportée à cette situation que l’on peut qualifier d’historique. En rappelant aussi que le sujet doit être systématiquement abordé sur ses trois axes : santé, économie et démocratie. Car la liberté ne doit pas être le facteur d’ajustement systématique d’un débat restreint au sanitaire et à l’économique, comme on l’observe trop souvent depuis le début de la pandémie.

L’année 2020, en l’absence de vaccin, aura été celle des mesures empiriques, face à un virus dont les modes de transmission restent imparfaitement connus. On peut distinguer trois types de mesure : celles dites des « gestes barrière », celles entrant dans la catégorie générale dite « de confinement », et enfin celles relatives au dépistage. Les gestes barrière (masques, lavage des mains, distance de sécurité physique notamment) sont d’une efficacité hautement plausible et pour partie démontrée (témoin : le faible taux de contamination dans les transports en commun), peu coûteux économiquement, mais aussi, notons-le bien, peu coûteux au regard des libertés publiques. Pour leur part les mesures de type « confinement » ont une efficacité également plausible mais d’autant plus difficile à quantifier qu’elles sont peu ciblées. Et par ailleurs, elles ont un impact économique et social majeur, tout comme sur les libertés publiques. Le dépistage, enfin, a un coût mesuré, mais une efficacité difficile à évaluer, en l’absence d’une doctrine claire qui, par exemple, distinguerait le diagnostic, en présence de symptômes, du dépistage proprement dit.

On peut à ce stade formuler deux remarques : en premier lieu, si l’on définit le coût d’une stratégie au sens large, associant à la fois des critères économiques (directs et indirects), sociaux, médicaux et démocratiques (libertés), alors ces trois stratégies, les gestes barrières, le confinement et le dépistage n’ont très probablement pas le même coût-efficacité. Plus précisément, on prendrait peu de risques à postuler que les gestes barrière sont très coût-efficaces, et le confinement très peu. En second lieu, la théorie n’interdit pas, en l’état de nos connaissances, que les gestes barrière soient suffisants pour maîtriser l’épidémie, dès lors qu’ils seraient rigoureusement et universellement respectés. C’est d’ailleurs un aspect du problème : il est possible que l’on paie fort cher, par le confinement et ses effets délétères, l’incivisme d’une minorité. Enfin, il est difficile d’évaluer si le dépistage est coût-efficace car il est bien difficile d’évaluer dans quelle mesure il est efficace.

Quoi qu’il en soit, l’année 2021 voit apparaître un quatrième type de mesure : la vaccination. Elle apparaît – certainement à juste titre – comme la solution de fond à cette crise sanitaire, à tout le moins comme un élément majeur de la maîtrise de l’épidémie. Cependant, le sujet est loin d’être aussi simple que l’on pourrait l’imaginer. Pour différentes raisons.

En premier lieu, il faut distinguer deux sous-sujets, s’agissant du bénéfice attendu de la vaccination. Ce qui a fait principalement l’objet des essais cliniques, avec les résultats que l’on sait, est sa capacité à diminuer l’incidence des formes symptomatiques ou à minorer la gravité de celles-ci. Mais on connaît peu de choses sur la capacité de la vaccination à diminuer la contagiosité. Or, il s’agit là d’un sujet essentiel, car c’est cet effet-là qui est susceptible de faire diminuer la circulation du virus, et donc d’agir sur l’épidémie elle-même autant que sur ses effets. Ce sujet est également essentiel car il modifie substantiellement la cible, qui inclurait alors les personnes présumées contaminantes, telles que les étudiants par exemple.

En second lieu, on comprend bien que les bénéficiaires de la vaccination soient priorisés en fonction de leur risque propre, même si l’un des autres objectifs est, trivialement mais légitimement, d’éviter la surcharge des hôpitaux. Mais deux points restent moins clairs. D’une part, il n’est pas démontré que le gouvernement ait créé les conditions logistiques et réglementaires optimales dans l’objectif d’une vaccination massive. Et d’autre part, priorité donnée aux personnes les plus à risque n’est pas synonyme d’exclusivité. En d’autres termes, la priorité des priorités est que les stocks de vaccins soient administrés au fur et à mesure, en respectant les priorités dans la mesure du possible, et nonobstant une réserve raisonnable donc modeste.

Le virus est là, pour longtemps. Des mois, des années probablement. Sa propension à se diffuser sur l’ensemble de la planète n’est plus à démontrer, vague après vague, variant après variant.

Ces deux problèmes sont tout sauf neutres politiquement parlant. Pour le premier, s’il se confirmait que la vaccination diminuait la contagiosité, le sujet serait d’étudier sérieusement l’obligation de vaccination ou à tout le moins les conditions d’accès à l’espace public selon le statut vaccinal. Or le gouvernement s’est enfermé dans une posture de principe, excluant l’obligation, alors que la concession en termes de liberté serait totalement anecdotique face à un vaccin qui permettrait (enfin !) de lutter directement contre la contagion. Le débat est d’ailleurs encore plus simple : que pèserait l’obligation vaccinale face au coût actuel de l’épidémie, entre le régime de semi-liberté du confinement, les conséquences économiques et les conséquences sociales ? Rationnellement, il n’y a pas de sujet. Et pourtant, le gouvernement se refuse à envisager cette option. Certes, il semblerait qu’une proportion anormalement élevée de concitoyens expriment une grande réserve vis-à-vis de la vaccination. Cette réserve se décline d’ailleurs sur plusieurs registres : des doutes sur le rapport bénéfice / risque de la vaccination, une opposition quant à une mesure potentiellement liberticide, allant jusqu’à comparer ce type de mesure à la politique menée dans les pays autoritaires, et diverses postures complotistes. Ces registres ont cependant un point commun : l’irrationnel. Est irrationnel d’ignorer l’avis très clair d’une autorité aussi indépendante que compétente que la Haute autorité de santé. Est irrationnel également d’assimiler le principe même de la Santé publique, qui a le devoir d’imposer l’intérêt général lorsque les circonstances l’imposent, aux politiques des régimes autoritaires en général. Et il est du devoir du gouvernement, face à ces irrationnels, non de les alimenter mais bien au contraire de leur opposer le principe de Raison.

Concernant le second sujet, la posture du gouvernement est également difficile à comprendre. Certes, la Haute autorité de santé a préconisé une priorisation et fait des propositions en ce sens. Des propositions raisonnables au demeurant, mais qui ne résument pas le sujet. Et le gouvernement décide et communique sur la base de ces recommandations d’experts et de quelques autres. Mais il oublie qu’il se trouvera toujours un expert pour dire une chose et un autre pour affirmer son contraire. Et que les experts ne sont pas là pour appréhender tous les aspects d’un problème, notamment politiques : cela revient à l’exécutif. Faire des choix, ses choix, et les assumer, dans une vision la plus globale possible.

Le virus est là, pour longtemps. Des mois, des années probablement. Sa propension à se diffuser sur l’ensemble de la planète n’est plus à démontrer, vague après vague, variant après variant. Ses mutations sont à considérer comme la règle et non l’exception, d’autant qu’il est fort possible que la vaccination implique une pression de sélection qui les amplifient. Cette représentation du problème implique que nous ne sommes pas à proprement parler dans une crise, mais dans une situation posant des problèmes structuraux et dans la durée. Ainsi, des mesures telles que le confinement dans sa doctrine actuelle, d’une efficacité insuffisante en regard de leur coût démocratique, économique et social, ne pourront se justifier indéfiniment. Sachant qu’elles ne seront tout simplement plus supportées dans un avenir proche : envisagerait-on pendant plusieurs années la fermeture des musées, des cinémas, des restaurants, des cafés et j’en passe, enfin bref la censure de la moitié de la vie sociale, pendant que l’autre moitié le sera par le confinement ? Bien évidemment non, et le gouvernement serait bien inspiré d’y réfléchir. Car cela veut dire qu’il va falloir vivre avec le virus et de nouvelles formes de fonctionnement économique et social, permettant à tous de travailler, et de vivre tout simplement.

Seule la vaccination nous permettra de sortir de ce confinement mortifère, à condition d’en prendre la bonne mesure. Il faut vacciner rapidement et massivement. Et se préparer à des campagnes de vaccination successives en réponse à des vagues de contamination également successives, avec tout ce que cela implique sur le plan réglementaire et logistique. Mais aussi avec tout ce que cela implique politiquement parlant. Gouverner c’est prévoir, paraît-il : il serait hautement souhaitable que ce gouvernement commence à envisager quelques changements de posture, plus pragmatiques mais aussi plus volontaristes, sans s’interdire aucune option. L’avenir de notre société est peut-être à ce prix

"Seule la vaccination nous permettra de sortir de ce confinement mortifère, à condition d’en prendre la bonne mesure."

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°20

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