Coopération interprofessionnelle

Publié le 16 May 2022 à 07:53

La coopération interprofessionnelle : épineux sujet au centre des questions de transfert de compétence médicale. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit essentiellement de déléguer aux manipulateurs spécialement formés la réalisation d’actes d’échographie diagnostique ou plus précisément l’acquisition des images et la formulation d’un « relevé d’information » dans le cadre d’un protocole officiel de coopération.

Mais qui sont ces mystérieux manipulateurs d’échographie ? Comment travaillent-ils en pratique ? Quels bénéfices pour eux et les médecins ? C’est pour répondre à ces questions que je suis allé à la rencontre de Mme Claire Hinterholz, manipulatrice d’échographie, et du Dr Laurent Hennequin du service d’imagerie médicale de l’hôpital de Mercy à Metz.

Bref historique de la coopération interprofessionnelle

  • Non réglementée initialement, l’acquisition des images ultrasonore est officiellement exclue du champ de compétence des manipulateurs d’éléctroradiographie en 1997 (art. R4351-2 du CSP).
  • 1997-2006 : Nombreuses réflexions entre professionnels médicaux et paramédicaux devant les limites de la démographie médicale, notamment en imagerie. Rapport Berland (2003) encourageant la coopération entre professionnels de santé.
  • À partir de 2006 : expérimentation conduite par la HAS (arrêté du 30/03/2006), formalisation de protocoles. Trois centres : CHU de Rouen, Clinique Pasteur de Toulouse, CH de Metz.
  • Nouveau cadre juridique : Loi HPST (art. 51) autorisant les initiatives de coopération. Protocole s’appuyant sur l’article L. 4011-1 du CSP, prévoyant à titre dérogatoire les transferts d’activité de soin.

Mme Claire Hinterholz

Sortie de l’école de manipulateurs d’Electroradiologie Médicale en 2011 pour exercer au centre hospitalier de Mercy : l’un des trois premiers centres expérimentant la coopération interprofessionnelle en échographie. Claire rencontre une équipe de manipulateurs habitués à l’échographie. Elle passe le DIU-E dès qu’elle en a la possibilité et pratique quotidiennement depuis maintenant 7 ans le rôle spécialisé de manipulatrice d’échographie.

Dr Laurent Hennequin

A 58 ans, le Dr Laurent Hennequin a derrière lui un parcours atypique : s’étant orienté vers la radiologie après un internat de cardiologie, il a été PH au CHU de Nancy jusqu’en 1994, année où il a alors rejoint un groupe de radiologues libéraux. Après 20 ans d’exercice centré sur l’imagerie cardiovasculaire et thoracique il retourne dans le secteur public en prenant la chefferie de service à l’hôpital de Mercy, où il découvre l’échographie en coopération avec les manipulateurs.

Quelle formation pour les manipulateurs ?

Si Claire m’explique que pour elle les choses étaient différentes, désormais le cursus suit le modèle LMD. La formation commune à tous les manipulateurs est une licence en 3 ans dans un Institut de Formation de Manipulateur d’Electroradiologie Médicale sanctionnée par un diplôme d’Etat permettant l’exercice. Il s’agit d’une formation en alternance dès la première année. Son volet théorique concerne la physique des différentes modalités d’examen d’imagerie médicale. La partie pratique à l’hôpital forme à

la réalisation optimale de l'examen afin de permettre l'interprétation par le radiologue : préparation en amont puis installation du patient et acquisition des images. Ce tronc commun prépare également à la pratique de manipulateur en médecine nucléaire.

Au terme de cette licence, il n’existe pas de possibilité de passerelle vers la filière médicale, mais celle-ci peut servir de socle à un master voire à un doctorat de physique.

L’échographie fait partie de la formation commune, mais il n’est pas possible de l’exercer à la sortie de l’école. Il faut, après un minimum de deux ans d’exercice, s’inscrire au DIU d’Echographie : une année qui comprend une formation théorique approfondie aux bases physiques de l’échographie suivie d’une évaluation nationale à la faculté Paris Descartes, celle-là même que nous passons en début d’internat ! Au programme ensuite un enchaînement dense de cours théoriques dispensés à Paris et de formation pratique à l’hôpital. Le programme est vaste : en quelques semaines sont couverts les sujets d’échographie abdomino-pelvienne, thyroïdienne, ostéo-articulaire, superficielle, doppler… seuls sont exclus l’échographie cardiaque et obstétricale ! Une fois le DIU mené à terme, le manipulateur peut officiellement pratiquer en coopération avec des radiologues dans le cadre d’un protocole nominatif établi avec l’ARS.

En pratique ?

« Nous faisons l'acquisition de toutes les images et réalisons un relevé d'information permettant au radiologue de réaliser son compte-rendu. En cas de difficulté le radiologue reprend la sonde ». La demande d’examen est validée en amont par un radiologue, et le manipulateur réalise l’échographie après avoir accueilli le patient et s’être présenté à lui. Le relevé d’information sert de base au compte-rendu du radiologue. Enfin, que ce soit en cas de difficulté perçue par le manipulateur, de doute lors de la relecture des images ou à la demande du patient, le radiologue, tenu d’être présent dans le service, se déplace et complète l’examen. Pour les radiologues comme les manipulateurs, les intérêts de cette pratique sont multiples : « Le gain de temps, bien entendu ! » est cité en premier par le Dr Hennequin. Evoquant son expérience en exercice libéral « On voyait en moyenne douze patients en quatre heures », il souligne que dans le cadre de la coopération interprofessionnelle, un seul radiologue peut superviser plusieurs manipulateurs tout en assurant l’interprétation d’examens radiographiques. Sur le même plan, il évoque le bénéfice du travail d’équipe : en cas de difficulté, c’est deux paires d’yeux qui se penchent sur le problème. Nous sommes tous exposés au risque d’erreur, combien seront évitées grâce à cette collaboration ? En sommes : un gain de temps médical, oui, mais sans perte de qualité diagnostique, bien au contraire !

On note qu’à l’hôpital public l’activité d’échographie des manipulateurs n’est généralement pas valorisée financièrement ; et Claire évoque pour sa part le côté intellectuellement stimulant et gratifiant de ce mode d’exercice, qui permet de se plonger au coeur de la démarche diagnostique, tout en ayant un contact privilégié avec le patient.

« Et ben bien sûr, c’est une question de confiance ! [Quand je suis arrivé] je me déplaçais systématiquement » relate le Dr Hennequin, évoquant ses débuts à Mercy.

Sur le sujet de la relation particulière qu’entretiennent manipulateurs et radiologues dans cette pratique, je cite le Dr Hennequin : « On est là pour le bien du patient, pour arriver à un diagnostic rapide, fiable, sécurisé ; et pour ça on s’appuie les uns sur les autres [...] c’est vraiment une collaboration pour arriver au meilleur diagnostic. Ils [les manipulateurs] sont investis, veulent nous aider et apporter un diagnostic fiable ». Du point de vue de Claire, c’est à nouveau le côté intellectuel qui brille, elle évoque une relation « Riche en échanges et discussions concernant la pathologie, les examens complémentaires, la prise en charge... J’en apprend tous les jours » et exhorte ses collègues à tenter l’expérience « Si vous avez soif de connaissances, cette formation est faite pour vous ! ».

Quel avenir pour cette pratique de plus en plus répandue ?

Sur le thème de l’optimisation de l’utilisation des ressources médicale, la coopération interprofessionnelle apporte une réponse concrète, mais limitée aujourd’hui par l’obligation de présence physique du radiologue. Le CHR de Mercy a en cours un protocole de recherche en télé-échographie visant à démontrer la non-infériorité d’échographies réalisées par des manipulateurs avec un radiologue à distance versus un radiologue présent. Concrètement, si cette pratique démontre sa sécurité et sa fiabilité diagnostique, on pourrait envisager une nette évolution des pratiques : échographies sans déplacement systématique du radiologue lors d’astreintes, télé-échographie en zone sous-dotées médicalement ; bref une amélioration de l’accès à cette modalité d’examen de plus en plus considérée comme l’extension naturelle de l’examen clinique.

En conclusion, le Dr Hennequin nous laisse avec un message personnel : en tant qu’interne nous sommes parfois mis en compétition avec les manipulateurs pour notre formation pratique à l’échographie. Il faut se former et profiter aussi bien de l’expérience de nos chefs que de celle des manipulateurs. Mais surtout il faut pratiquer à chaque occasion sans craindre d’avoir perdu la main car : « L’échographie, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas ! ».

Article paru dans la revue “Union Nationale des Internes et Jeunes Radiologues” / UNIR N°34

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