Que doit-on retenir en tant que jeune et que répondre aux patients en pratique ?
Comme beaucoup d’entre vous le savent, le cholestérol est à la fois l’un des sujets les moins connus des médecins et un des plus célèbres parmi les patients. En effet, qui ne s’est pas déjà fait rétorquer par ses patients : « non, je ne veux pas de statine ! Ce médicament ne sert à rien et est dangereux ».
Beaucoup de confusions sont associées aux différents discours concernant cet épineux sujet, nées essentiellement de la méconnaissance des termes employés ainsi que des données scientifiques relatives à la fois aux maladies cardiovasculaires ainsi qu’aux différents types de transporteurs du cholestérol et leur rôle soit athérogène, soit de marqueur de risque. Voici quelques explications pour y voir plus clair ainsi que pour avoir des arguments à répondre à vos patients.
L’argument principal des détracteurs des statines est que le cholestérol n’est pas mauvais pour la santé, notamment parce qu’il rentre dans la composition des membranes plasmiques de toutes les cellules (et donc également de celles du cerveau, qu’ils citent sans cesse). C’est une des preuves évidentes qu’ils n’ont pas bien compris de quoi l’on parlait. En effet, le rôle athérogène a été attribué à des transporteurs du cholestérol et non-pas à la molécule elle-même.
Ainsi, comme vous le savez, le principal transporteur athérogène du cholestérol a été identifié comme le LDL cholestérol. On l’appelle communément le « mauvais cholestérol ». Celui-ci est oxydé dans la paroi (intima) des artères de moyen et gros calibre et donne naissance à une réaction inflammatoire chronique, partiellement connue et comprise, menant à une accumulation de LDLc oxydé, de cellules immunitaires et de nécrose dans la paroi des vaisseaux. Ce noyau lipido-nécrotique sera entouré de collagène sécrété par les fibroblastes venus de la média ce qui aboutira à une chape fibreuse protectrice, qui sera elle-même calcifiée par la suite.
Une célèbre étude du New England (Cohen et al, NEJM 2006) a montré que chez des patients ayant un LDLc génétiquement bas, entre 0.70 et 1.0 g/L en moyenne, à cause d’une mutation de la protéine PCSK9, le taux d’événements cardiovasculaires était vertigineusement bas, en comparaison à une population de référence ayant un taux de LDLc autour de 1.30 g/L (comparable à la moyenne gaussienne française).
Si toutes les études des 15 dernières années ont démontré une baisse des événements cardiovasculaires lorsque l’on baisse le LDLc (Cannon et al, NEJM 2015), la phrase « lower is better » ne doit pas pour autant dire qu’on vise un LDLc à 0.0 g/L. Il ne faut pas aller non-plus dans l’exagération absurde. Dire qu’il faut limiter une vitesse maximale sur autoroute ne veut pas dire qu’il faut viser la vitesse maximale à 0 km/h. Or, aussi absurde que cette comparaison puisse paraître, c’est un des arguments principaux des détracteurs des statines et autres molécules hypolipémiantes. En effet, ils disent qu’en baissant le cholestérol (ils ne savent pas de quel cholestérol ils parlent), on va détruire leurs cellules et leur cerveau…
Il faut savoir qu’un nourrisson a généralement un LDLc entre 0.30 et 0.40 g/L alors qu’il est en pleine phase de développement et que certaines populations isolées sur le plan génétique et comportemental ont été retrouvées avec des taux de LDL beaucoup plus bas que ceux connus en Occident.
Un taux de 0.30 g/L n’a jamais montré d’effet secondaire notable dans les études, ni même un taux à 0.20 g/L. En comparaison, imaginez limiter à 100 km/h la vitesse sur une autoroute allemande où des gens roulaient jusqu’à 240 Km/h : ce n’est pas ça qui va vous créer des bouchons monstrueux ou davantage d’accidents. La vitesse résiduelle suffit largement pour se déplacer. De même, un taux de LDLc bas, inférieur à 0.50 g/L apparaît suffisant pour les fonctions de l’organisme.
Le HDL cholestérol, communément appelé « bon cholestérol » a été associé dans la cohorte Framingham (Wilson et al, Am. J. Cardiol. 1987) à un meilleur pronostic lorsqu’il était autour de 0.60 g/L que lorsqu’il était autour de 0.40 g/L. On en a naïvement déduit que plus on en avait, mieux c’était. Ces observations suffisent-elles à le classer comme bon ? Probablement pas car les données récentes de la littérature semblent le classer plutôt comme ayant une courbe en U, c’est-à-dire qu’à partir d’un certain taux (plutôt vers 1 g/L) la mortalité augmente (suivi de cohorte canadienne). Quoi qu’il en soit, toutes les études visant à faire monter le HDLc n’ont jamais réussi à démontrer un bénéfice, sauf si elles abaissaient significativement le LDLc. Le HDL est donc un marqueur de risque mais pas un facteur de risque et sa modification n’a donc aucune utilité prouvée jusque là.
Il existe d’autres molécules athérogènes dosées dans le cholestérol total sanguin, que l’on dose très rarement, mais qui ont amené également à parler de « non-HDL cholestérol » c’est-à-dire tout simplement la soustraction : Non-HDLc = Cholestérol total – HDLc. Retenez juste le nom car vous le retrouverez dans les études et dans les recommandations.
Ce que vous pouvez donc expliquer à vos patients est que 50 ans de données scientifiques ont largement prouvé par A + B que le LDLc oxydé était athérogène et associé à la survenue d’événements cardiovasculaires. Vous pouvez également leur préciser que l’oxydation dépend des différents facteurs de risque notamment le tabac et le diabète. Chez les patients très peu oxydants, des taux de LDLc élevés n’ont pas été associés à des événements cardiovasculaires plus élevés. Donc « oui », le LDLc a un rôle majeur et « oui » il n’y a pas que ça, il y a aussi l’oxydation, l’inflammation, et beaucoup de mécanismes, encore inconnus et à l’étude, d’une très grande complexité.
L’autre controverse autour des statines concerne leurs effets secondaires. On a l’impression, en écoutant les détracteurs de ces médicaments, qu’ils détruisent le corps, les muscles, qu’ils provoquent la maladie d’Alzheimer ou qu’on devient diabétique si on les prend. Il faut savoir que, comme tous médicaments, des effets secondaires existent. Cependant, pour ce qui est des effets secondaires musculaires, qui sont les plus décriés, ils concernent dans les études environ 6 % des patients. Les groupes placebo comportent eux aussi autour de 4 % de douleurs musculaires. Autrement dit 94 % des patients sous statines ne présentent pas d’effet secondaire musculaire, ce qui est tout de même un peu rassurant.
En ce qui concerne le risque de survenue de diabète, il a été constaté comme plus important chez les patients sous statines notamment avec une des molécules sur le marché sans que l’on puisse clairement conclure sur le rôle de classe médicamenteuse chez des patients qui sont généralement porteurs de beaucoup de facteurs de risque cardiovasculaires par ailleurs et qui sont de base très exposés au risque de survenue d’un diabète. Enfin, pour le risque d’Alzheimer, il n’y a rien de prouvé ni même de suspecté à ce sujet parmi la communauté scientifique.
Dernier point, des études ont porté sur l’incidence de l’arrêt des traitements par statine sur la survenue d’événements cardiovasculaires. Ces études ont toujours donné le même résultat : l’arrêt du traitement augmente les récidives d’accidents cardiovasculaires en prévention secondaire…
Références
Sequence variations in PCSK9, low LDL, and protection against coronary heart disease. Cohen JC1, Boerwinkle E, Mosley TH Jr, Hobbs HH. N Engl J Med. 2006 Mar 23;354(12):1264-72.
Cannon CP, Blazing MA, Giugliano RP. Ezetimibe Added to Statin Therapy after Acute Coronary Syndromes. N Engl J Med. 2015 Jun 18;372(25):2387-97. doi: 10.1056/NEJMoa1410489. Epub 2015 Jun 3.
Wilson PW, Castelli WP, Kannel WB Coronary risk prediction in adults (the Framingham Heart Study) Am J Cardiol. 1987 May 29;59(14):91G-94G.
Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°3