Évaluation Hémodynamique Et Apport De L’imagerie Multimodale
Contexte
En routine clinique, différencier cardiomyopathie restrictive (CMR) et péricardite constrictive chronique (PCC) reste souvent difficile pour les cardiologues.
En effet, ces deux pathologies possèdent des caractéristiques communes : un tableau clinique d’insuffisance cardiaque droite habituellement sans dysfonction systolique ventriculaire gauche (VG) ni valvulopathie significative, mais qui s’accompagne d’une dysfonction diastolique constante avec un trouble de la compliance du VG.
Cette distinction est néanmoins primordiale d’un point de vue thérapeutique, car si les options thérapeutiques sont limitées concernant la CMR, ce n’est pas le cas pour la PCC avec possibilité d’un traitement chirurgical.
Physiopathologie et étiologies
La péricardite constrictive chronique (PCC)
La PCC est caractérisée par un péricarde rigide, fibreux, parfois calcifié et inconstamment épaissi, entraînant des anomalies du remplissage. Il n’existe pas d’atteinte de la contraction/relaxation ventriculaire, mais une véritable constriction, à l’origine d’une baisse de la compliance.
Les principales étiologies sont les causes idiopathiques (probablement virales), l’antécédent de chirurgie cardiaque, la radiothérapie dans les pays développés, et la tuberculose dans les pays en voie de développement (1).
La péricardectomie permet souvent une franche amélioration symptomatique (2).
La cardiomyopathie restrictive (CMR)
La CMR est la plus rare des cardiomyopathies, caractérisée par une rigidification progressive du myocarde. Elle est à l’origine d’une baisse de la compliance et d’une élévation des pressions de remplissage du VG, constituant une restriction myocardique.
Malgré une dysfonction diastolique sévère, la FEVG est la plupart du temps préservée.
Son origine est le plus souvent idiopathique, même si des formes familiales ont été décrites (3). Il existe de multiples causes secondaires notamment d’origine infiltrative, dont l’amylose puis l’hémochromatose sont les plus fréquentes.
Il existe également des formes mixtes, associant PCC et CMR chez 12.7 % des patients, en particulier en cas de radiothérapie ou d’antécédent de chirurgie cardiaque (4). Ces formes semblent avoir un plus mauvais pronostic.
Évaluation par imagerie
Échocardiographie
L’échocardiographie est l’examen de première intention pour évaluer une PCC ou une CMR.
Signes communs
- Dilatation de la VCI et des VSH.
- Profil mitral typique restrictif (de type 3), avec une grande onde E et un temps de décélération rapide, reflétant la prédominance du remplissage ventriculaire précoce rapide. Cependant, cet aspect peut manquer dans la PCC et la CMR dans les formes moins évoluées (fréquemment profil de type 2).
- Flux veineux pulmonaire montrant une onde S inférieure à l’onde D, avec une onde A augmentée.
- Aspect de « dip-plateau » retrouvé au niveau du flux d’IP, suggérant une élévation de la pression diastolique du VD. Cet aspect peut être démasqué par une épreuve de remplissage, et peut présenter des morphologies différentes au cours du cycle respiratoire.
Aspects variables du flux d’IP avec aspect intermittent de « dip-plateau » (5).
- Présence d’une insuffisance mitrale ou tricuspide après la proto-diastole.
PCC
- Augmentation de l’épaisseur péricardique (seuil de 3 mm en ETO) (6), difficile à mettre en évidence en ETT (l’utilisation du mode TM permet d’améliorer la résolution spatiale).
- Calcifications péricardiques inconstantes, mais suggérant fortement une PCC (7). Elles sont suspectées par l’existence de cônes vides d’écho.
- Épanchement péricardique pouvant également être retrouvé.
- Contrainte péricardique responsable d’une adiastolie, imposant un volume intra-cardiaque fixe tout au long du cycle cardiaque et respiratoire, à l’origine d’une interdépendance ventriculaire. Celle-ci peut être observée en mode TM ou en 2D, avec un mouvement de drapeau du septum interventriculaire, et constitue un signe échographique clé du diagnostic. C’est l’équivalent anatomique du « dip-plateau », où le septum est animé d’un ressaut protodiastolique généré par la remontée brutale des pressions ventriculaires droites. La paroi postérieure présente, au contraire, un aplatissement de sa courbure diastolique.
- Variation significative du flux mitral (≥ 25 %) ou du flux tricuspide (≥ 30 %) avec la respiration très en faveur d’une PCC, bien que ce signe soit inconstant (absent chez 1/3 des patients porteurs d’une PCC (8)). A l’inspiration, le flux mitral diminue tandis que le flux tricuspide augmente. En effet, à l’inspiration, l’accroissement du remplissage du ventricule droit entraîne une inversion de la courbure septale vers le ventricule gauche du fait de l’interdépendance ventriculaire dans un sac péricardique rigide.
Cette variation respiratoire peut être également évaluée au niveau du flux veineux pulmonaire (reflux diastolique expiratoire), ou du flux sus-hépatique.
Variation respiratoire du flux transmitral (5).
- La vitesse e’ en doppler tissulaire à l’anneau mitral, est normale voire anormalement élevée (on parle d’« annulus paradoxus »), car l’élévation des pressions de remplissage n’est pas en lien avec des anomalies de relaxation myocardique, mais à une constriction péricardique. La vitesse e’ mesurée en septal est souvent anormalement supérieure à la vitesse e’ mesurée en latéral (le mouvement latéral étant empêché par la constriction péricardique). On parle d’« annulus reversus ».
- Les oreillettes ne sont en général pas ou peu dilatées car contenues par le péricarde.
- L’analyse des déformations par speckle tracking (strain) montre que les déformations longitudinales ne sont pas perturbées, contrairement à ce qui est observé dans la CMR. En revanche, la déformation circonférentielle est diminuée.
Figure 1 : Résultats dopplers dans la PCC (9)
CMR
- Les ventricules sont habituellement d’épaisseur normale, sauf en cas d’origine infiltrative où l’épaisseur pariétale est augmentée.
- Il existe en revanche souvent une dilatation atriale sévère, contrastant avec des ventricules de taille normale ou diminuée.
- Il n’existe pas de variation respiratoire significative du flux mitral ou du flux tricuspide dans la CMR.
- Il existe une dysfonction diastolique sévère. Le doppler tissulaire à l’anneau mitral montre une diminution de l’onde e’.
- On retrouve souvent une hypertension pulmonaire.
- L’analyse en strain montre une perturbation des déformations longitudinales et peut mettre en évidence des patterns de pathologies infiltratives notamment (amylose).
- On peut retrouver un aspect granité, brillant du myocarde en faveur d’une amylose.
En pratique, en échocardiographie :
Scanner cardiaque
Grâce à son excellente résolution spatiale, le scanner cardiaque permet d’identifier les calcifications péricardiques non vues en radiographie thoracique.
Alors qu’un péricarde sain mesure moins de 2 mm, un épaississement péricardique supérieur à 4 mm est très évocateur d’une PCC, bien que 20 % des patients porteurs d’une PCC ont un péricarde d’épaisseur normale (10).
Le scanner permet également de mesurer un épanchement péricardique, la déformation du contour cardiaque retrouvée dans les PCC, ainsi qu’une dilatation de la VCI.
En pratique, au scanner cardiaque :
IRM cardiaque
Le meilleur critère en faveur d’une constriction est le ressaut proto-diastolique septal, prédominant sur le septum basal. L’interdépendance ventriculaire est mise en évidence par le « septal shift » (horizontalisation et déplacement du septum vers le VG en inspiration, déplacement du septum vers le VD en expiration).
L’excursion du septum ventriculaire (définie comme la différence maximale entre la position du septum en inspiration et en expiration) permet une bonne discrimination de la PCC et de la CMR avec une valeur seuil à 11,8 % (12).
Cet examen permet une excellente évaluation du péricarde et des cavités cardiaques. L’IRM permet une très bonne détection de l’épaississement péricardique au-delà de 4 mm, sa localisation, ainsi qu’un éventuel oedème ou inflammation péricardique.
Un réhaussement myocardique tardif au Gadolinium, traduisant la présence de fibrose, est retrouvé dans 1/3 des CMR (13). Certains patterns de réhaussement permettent d’identifier des cardiopathies infiltratives donnant lieu à une CMR comme l’amylose cardiaque par exemple.
Sans risque d’irradiation, l’évaluation de l’interdépendance ventriculaire et du mouvement du septum ventriculaire avec la respiration est facilitée.
En pratique, à l’IRM cardiaque :
Évaluation hémodynamique (14)
Il existe entre la PCC et la CMR des points communs au cathétérisme cardiaque mais également quelques différences, expliquées par la physiopathologie :
Signes communs
Aspect de Dip Plateau
Pendant la proto-diastole, la paroi ventriculaire se distend rapidement mais le mouvement est brusquement limité et suivi d’une immobilité complète en méso- et télé-systole à l’origine de l’aspect en « dip plateau » s’expliquant par le trouble de la compliance retrouvé dans ces 2 pathologies.
Les courbes de pression ventriculaires (VD et VG) montrent une dépression proto-diastolique profonde courte durée suivie d’une remontée brusque et d’un plateau horizontal correspondant à la distension maximale du ventricule, avec arrêt du remplissage après la proto-diastole.
Le remplissage en proto-diastole est rapide à cause de l’augmentation de la pression dans les oreillettes.
Courbe atriale : Le creux « y » est proéminent par rapport au creux « x »
Sur la courbe d’enregistrement de la pression atriale, le creux « y » correspond au remplissage rapide du VG juste après l’ouverture de la valve mitrale. Il correspond au miroir du « dip plateau » des courbes ventriculaires.
Le creux « y » est proéminant par rapport au creux « x » puisque l’ensemble du remplissage se fait lors de la proto-diastole, et est nul après cette dernière.
Élévation POD
La POD est supérieure à 10 mmHg dans les deux pathologies.
Spécificité PCC
L’atteinte intéresse habituellement les 2 ventricules et prédomine sur le VD.
3 concepts physiopathologiques :
Dissociation des pressions intra thoracique et intra-cardiaque
La constriction péricardique dans la PCC rend le coeur relativement indépendant de la pression régnant dans le reste du thorax.
En particulier lors de l’inspiration, il n’y a pas de transmission de la diminution de la pression intra thoracique aux cavités cardiaques alors qu’il existe une diminution de pression au niveau des veines pulmonaires.
Chez le sujet sain, la diminution à l’inspiration de la pression intra thoracique et donc au sein des veines pulmonaires est transmise également aux cavités cardiaques permettant un gradient de pression VP-OG conservé avec absence de modification du flux de remplissage trans-mitral.
En cas de constriction péricardique, cette baisse inspiratoire n’est pas transmise aux cavités cardiaques, la conséquence est une diminution de pression au niveau des VP sans diminution des pressions au niveau de l’OG conduisant à une diminution du gradient de pression VP-OG et donc une gêne au remplissage du VG.
Interdépendance ventriculaire
Chaque ventricule se remplit au détriment de l’autre.
Cela est à l’origine d’un mouvement paradoxal du SIV lors de l’inspiration.
En effet lors de l’inspiration, l’augmentation du retour veineux entraîne une augmentation de la PTDVD et DTDVD au dépend du VG avec une diminution du DTDVG, à l’origine d’une diminution du débit cardiaque systémique appelé « pouls de Kussmaul ».
L’adiastolie
L’adiastolie correspond à l’égalisation des pressions dans les 4 cavités en diastole :
PTDVG=PTDVD=P°APd= POGd = PODd
Environ égal à 20 mmHg
Il n’y a donc pratiquement plus de gradient de pression entre le VD, l’OD, l’AP, le VG et l’OG en diastole.
Spécificité CMR
L’atteinte prédomine sur le VG.
La dysfonction diastolique avec la baisse de la compliance est due à un ventricule gauche rigide, entraînant un remplissage diastolique altéré et une pression de remplissage élevée.
La pression est habituellement plus élevée dans le VG que dans le VD (>5mmHg).
Dans la CMR il n’y a pas d’adiastolie donc pas d’égalisation diastolique des pressions dans les 4 cavités.
Il n’y a pas non plus de variations exagérées respiratoires des flux trans-mitral et trans-tricuspide.
Lors de l’inspiration, il y a une diminution très modérée et concordante de l’aire sous la courbe des pressions VD et VG. Par contre il existe souvent une hypertension pulmonaire post-capillaire importante (PAPS > 60mmHg).
Superposition des courbes de pression du VG et du VD (gauche)
Superposition des courbes de pression du VG et de l’OG (droite) (14)
A gauche : égalisation des pressions entre VD et VG en diastole avec morphologie de « Dip plateau ». A noter en proto diastole la pression dans le VD est légèrement supérieure à la pression dans le VG à l’origine du faseillement septal visible à l’ETT.
A droite : égalisation des pressions entre OD et VD en diastole. A noter le creux « y » proéminent par rapport eu creux « x ».
Courbes de P° enregistrées de manière simultanée dans le VD et le VG dans le cadre d’une constriction et d’une restriction (14) A noter dans les 2 cas l’aspect typique du Dip plateau
Haut : Correspondant à une constriction, pendant l’inspiration, augmentation de l’aire de la courbe de P° du VD par rapport à l’expiration associée à une diminution de l’aire sous la courbe du VG.
Bas : Correspondant à une restriction, pendant l’inspiration, il y a une diminution parallèle des aires sous les courbes VD et VG.
Au total, différences au cathétérisme cardiaque :
Conclusion
Le diagnostic de PCC ou de CMR nécessite une approche multimodale avec une place centrale de l’imagerie cardiaque. La différenciation de ces deux entités repose sur l’anamnèse et l’imagerie voire l’évaluation hémodynamique.
Dans les rares cas où le doute persiste entre les deux pathologies, la biopsie endo-myocardique peut permettre de trancher. Elle sera normale en cas de PCC, mais en cas de CMR, elle pourra montrer par exemple des protéines anormales (ex : amylose…)
Il existe dans la littérature différents algorithmes permettant de faire la différence entre la CMR et la PCC ; voici celui proposé par Miranda et al. en 2017.
PCC CMR Adiastolie : PTDVD et PTDVG équivalentes (<5mmHg)= égalisation P° cavités droites et gauche en diastole
PAPS < 50mmHG
Variations respiratoires significativement augmentées
Pouls paradoxal de Kussmaul
PTDVD > 1/3 PTSVD Absence d’adiastolie avec souvent PTDVG > PTDVD
(5mmHG)
PAP > 60mmHg
Variations respiratoires physiologiques des P° (concordance
respiratoire)
PTDVD < 1/3 PTSVD
Conclusion
Le diagnostic de PCC ou de CMR nécessite une approche multimodale avec une place centrale de l’imagerie
cardiaque.
La différenciation de ces deux entités repose sur l’anamnèse et l’imagerie voire l’évaluation hémodynamique.
Dans les rares cas où le doute persiste entre les deux pathologies, la biopsie endo-myocardique peut permettre
de trancher. Elle sera normale en cas de PCC, mais en cas de CMR, elle pourra montrer par exemple des protéines
anormales (ex : amylose…)
Il existe dans la littérature différents algorithmes permettant de faire la différence entre la CMR et la PCC ; voici
celui proposé par Miranda et al. en 2017.
Références
Article parue dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°12
L'accès à cet article est GRATUIT, mais il est restreint aux membres RESEAU PRO SANTE
Déjà abonné ? Se connecter