Congrès : CNIPSY 2014 - notes de congrès partie 2

Publié le 25 May 2022 à 13:20


Un an déjà. Un an que le CNIPSY 2014 est passé, après nous avoir passionnés autour du thème de Resistance, pendant 2 jours de septembre.
Depuis, nous sommes allés à Toulouse, pour parler Dysharmonies. Et nous avons hâte de découvrir Rennes, et ses Interactions.
Mais alors que le temps nous rattrape et avance plus vite que la musique, nous n’avons pas fini de vous raconter ce CNIPSY lyonnais à travers nos Notes de congrès. Voici donc la deuxième partie de cette histoire…

La deuxième journée du congrès débute sur l’intervention du Dr Revol, chef de service en pédopsychiatre, à notre propos « Mutants ou résistants  ? Les internes d’aujourd’hui dans la psychiatrie de demain ». Le Dr Revol a fait de sa vision de l’interne, entre changement et continuité, une approche générationnelle  :

  • 1945 – 59  : les baby-boomers ancrés dans le devoir, sur les valeurs du travail, du couple et de la famille ; T 1960 – 80  : la génération X, ancrée dans l’avoir, sur les valeurs du job, du statut et de la famille ;
  • 1980 – 95  : la génération Y, ancrée dans le vivre, centrant leurs valeur sur l’équilibre entre la vie privée et la vie professionnelle ;
  • et enfin 1996 – 2010 : la génération Z, ancrée dans le «  socialiser  ».

Cette vision est ponctuée de son expérience selon 3 repères : en 1994, la légitimité des chefs de service était innée, du fait aussi d’un accès à la littérature scientifique somme toute différente  ; puis dès 2004, les internes commençaient déjà à vérifier ce qu’on leur apportait à partir des données de la littératures  ; et maintenant, en 2014, le rapport aux générations a changé, l’interne a accès quasi-instantanément à l’information et ne se gênerait pas pour remettre en cause l’autorité de son patron. Il s’agirait ainsi de comprendre les codes pour mieux comprendre les résistances.
La génération Y représente la 2ème génération la plus importante en volume, confrontée à un paradoxe entre l’ultralibéralisme et l’écologie, génération qui se fait remarquer par ses « why », qualifiée de « net generation » et centrée sur le « you ». Génération marquée également par une modification des transmetteurs de valeurs  ; ainsi, l’influence des pairs est augmentée, la pertinence d’une «  occu-passion  » et d’une formation davantage personnalisée. La mutation a été plurimodale  : au niveau éducatif, enfants surinvestis, qualifiés d’enfantsroi, stimulés (la «  trophy generation  »), non habitués à l’échec et donc en plus grande détresse face aux difficultés. Des «  parents drones  », où les hommes seraient plus dépendants, recherchant une guidance autour d’eux, demandant des retours positifs ; au niveau sociologique, marquée par l’accélération du temps (cf. Hartmut Rosa, philosophe allemand) et la prédominance des NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication), de Google, la dictature de l’urgence, l’importance du «  tout et tout de suite  », mais aussi du travail collaboratif. Ainsi, on pourrait qualifier la génération Y de révélateurs !

Les « moins » de cette génération : le travail n’est plus la liberté, moins de fidélité dans la culture de l’entreprise. Les « plus » : plus efficaces s’ils sont passionnés, peu enclins aux luttes de pouvoir. Avec cette génération, il faut éviter la flatterie, la langue de bois et le paternalisme  ; il ne faut pas non plus parler uniquement d’avenir et de pouvoir. Il s’agirait plus de convaincre plutôt que de contraindre.
Pour la toute jeune génération Z, le Dr Revol brosse rapidement quelques traits : « ils sont nés et tout était en place » ; ils seraient plus idéalistes, lucides et optimistes, moins individualistes, beaucoup plus sensibles. Une génération que l’on pourrait qualifier, conclura le Dr Revol, de « C » comme communication, collaboration, créativité, conciliation et qui répéterait le leitmotiv « ça ne se fait pas ».

Le Pr Jeammet, professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, présente ensuite, avec les talents de conteur qu’on lui connait, « Les maladies mentales : une pathologie de la liberté. De quelle liberté s’agit-il ? ». Mêlant ses 40 ans d’expérience auprès des adolescents aux portraits de 4 patients psychotiques rencontrés en 1968 qu’il a vu grandir et avec lesquels il a gardé un lien de loin en loin, il centre son intervention sur l’idée que la résistance des patients se fait par rapport au danger, résister pour ne pas s’enfermer. Les troubles psychiatriques de l’adolescent seraient le miroir grossissant de ce que nous sommes, entre confiance et peur, des comportements et croyances qui enferment jusqu’à la mort, malgré la volonté de vivre. Tout ceci étant marqué par des émotions (se situant entre le continuum de la créativité à la destructivité et celui de l’ouverture à la fermeture) … et des rencontres. Il y a aussi des fondamentaux audelà des modes d’expression, entre la peur et la confiance. Or, malgré l’importance de la reconstruction des classifications, le DSM met en évidence cette diversité de réponses émotionnelles contraignantes alors que la forme varie d’une culture à l’autre. Les maladies mentales n’existeraient pas en tant que telles dans le sens où c’est une réponse appauvrie chez un sujet riche, «  une maladie mentale, c’est une maladie de la liberté. On n’arrive pas à fabriquer une maladie mentale, car ce sont des émotions ».
En réalisant un détour par les travaux de Damasio, le Pr Jeammet insiste sur les capacités réflexives des hommes, cette capacité de jouer avec les représentations, mais aussi de virtualiser les choses. L’homme est conscient d’être conscient de soi, l’homme est un être d’addiction («  La première addiction est la recherche  »), un être de paradoxe («  Pour être nous, nous avons besoin des autres  »), les paradoxes étant des fausses contradictions, il est capable de déréguler ses instincts (se priver de nourriture, de sexualité) et aussi de générer des valeurs (on décide en fait très peu de choses, rythmés par les habitudes que nous avons, mais on a tout de même la capacité de choix, induite par la charge émotionnelle). On n’a pas accès au symbolique dès qu’on a une charge émotionnelle importante, la peur l’emportant sur la confiance. Or le territoire humain est devenu exponentiel. Fait valeur ce à quoi on donne de la valeur. Les maladies mentales seraient donc des réponses émotionnelles à un sentiment de menace. Nous serions aussi des êtres de réflexivité : l’image qui nous est renvoyée de nous-même est porteuse de sens, l’importance du sentiment généré par le potentiel qui est vu quand on regarde à l’intérieur de nous, le regard porté au patient. Nous ne sommes pas dans la liberté, mais dans des contraintes émotionnelles. L’adolescent en difficulté doit redevenir acteur de l’échange, dans la vie (et donc dans la dépendance à l’autre puisqu’on est dépendant de l’autre). Or on perd ce qui est bon… ce qui n’est pas grave si on a confiance. Il s’agit aussi de redécouvrir le sentiment d’être acteur  ; tous les suicides sont des actes de vie, la pulsion de mort n’existe pas. Il s’agirait donc, même dans la rencontre, de profiter des bons moments ensemble, sur le même bateau, et arriver à en faire un bon partage. Enfin, il rappelle la préface qu’il a rédigée pour le livre de Polo Tonka Dialogue avec moi-même et en profite pour promouvoir la lecture de cet ouvrage qu’il estime et défend particulièrement.

La suite est prise par le Dr Huerre, psychiatre et psychanalyste, qui effectue sa présentation dans une certaine continuité de celle du Pr Jeammet, « A l’adolescence, résister, mais à quoi ? ». L’adolescence est marquée selon lui par une autre manière de penser et de voir le monde, une période où les réponses interviennent avant les questions, en somme une période de simplification et d’élaboration de réponses avant tout questionnement. Il nous faut aussi résister à certaines représentations, car on ne peut pas être adolescent tranquillement de nos jours. L’adolescence est une période investie d’espoir… mais aussi de concurrence. Au travers de l’histoire, les représentations de la jeunesse se sont modifiées : la jeunesse inspirant la peur, générant des réponses intellectuelles théoriques et institutionnelles pratiques (les sciences sociales naitront de ce mouvement)  ; puis la jeunesse étant considérée comme une maladie dans les années 1950, maladie curable si l’on vieillit (!) ; enfin, la jeunesse étant perçue comme une étrangeté, les «  jeunes  » comme des mutants. Cette variabilité de représentations fluctuant au gré des contextes  : des représentations négatives en période de relative tranquillité sociale aux éloges en période de combat ; à qui profitent ces représentations ? Le voyage en adolescence confronte à des situations habituelles : une résistance naturelle à ce qui se passe en eux, une inhibition de la pensée, des fantasmes, un désinvestissement scolaire, une autoprotection par rapport à des menaces de débordement, des passages à l’acte et des angoisses débordantes menant à renforcer les verrous et les blindages. C’est donc toute la dynamique de l’affirmation d’un soi en recherche par l’expression d’une symptomatologie forte, soutenir l’existence par l’expression symptomatique. Et parfois, il ne faut pas se laisser piéger par les énoncés des ados par l’inverse  : certains refus d’aide sont un appel catégorique, qu’il ne faut pas initialement prendre au pied de la lettre.

Le Dr Mangin Lazarus clôture cette matinée par le portrait de Maurice Dide, psychiatre qui a « rencontré » la guerre et qui succombera en 1944 à Buchenwald. Auteur d’un livre Les idéalistes passionnés, ouvrage mêlant observation clinique et réflexions aux biographies d’hommes célèbres, cette figure toulousaine de la psychiatrie est le pont entre deux siècles, entre plusieurs transformations, entre plusieurs Histoires.

Enfin, la dernière demi-journée du congrès donne la parole à certains acteurs pratiquant une forme de résistance à la psychiatrie «  normale  » via le soin.

Jacques Lesage de la Haye, psychologue, psychanalyste, animateur de l’émission « Ras les murs » sur Radio Libertaire, partage de manière informelle son expérience d’une pratique de «  L’antipsychiatrie aux structures intermédiaires  » à l’hospitalisation. Un des fondements de sa pratique est «  si je vais bien, je ne peux pas être un bon soignant  », la psychiatrie étant le lieu de l’enfermement, ayant généré chez lui le besoin de résister, mais comment  ? «  Celui qui va le moins mal, repère le symptômes de celui qui va le plus mal  ». Résister passait (et passe  ?) aussi par la pratique de thérapies psychocorporelles en institution psychiatrique : les engrammes s’inscrivant dans le corps. Dans le flot engagé de paroles, on retiendra l’invitation à résister sous forme collective, par la constitution de réseaux. A l’image de l’antipsychiatrie française qui prônait une déconstruction de l’asile pour un système alternatif, le réseau doit dépasser les institutions, l’antipsychiatrie n’appartenant plus qu’à l’Histoire. Elargir le champ de la psychiatrie serait une façon d’«  entrer en résistance  ».

Puis le Dr Hervé Bokobza, psychiatre et membre fondateur du Collectif des 39, partage son expérience avec son exposé « Résistance, quand tu nous tiens », introduisant d’emblée la figure tutélaire de Jean Oury. Être psychiatre, c’est être militant car n’importe quel système mettra de côté la folie. Militer autour de la question des moyens (comme par exemple le nombre d’infirmiers), et sur la question de la formation (la disparition du statut d’ISP / Infirmier en Soins Psychiatriques). Résister à l’inondation de théories pseudo-scientifiques. C’est un changement de la conception de la folie, qui conçoit la BDA comme une tentative ratée de guérison. En 2008, le Collectif des 39 réunissait des psychiatres en réaction au poncif «  tous les patients sont potentiellement dangereux  »  ; aujourd’hui le Collectif a été rejoint par les patients, leurs parents, d’autres soignants, avec une éthique commune, celle du risque, du doute et de l’engagement.

La suite est brillamment prise par Claude-Olivier Doron, maître de conférence en histoire et philosophie des sciences, qui se définit comme un philosophe, historien, qui a contribué auprès de Médecins du Monde (MdM) au développement de dispositifs alternatifs à l’incarcération des SDF en grande précarité psychique. Son intervention « Résister, envers et contre soi » avait pour but d’être un exercice de déprise de soi, un jeu de stratégies provisoires, une critique de ses propres idoles, avec la mise à jour de leurs propres limites, sans pour autant les rejeter. La dissymétrie dans les relations des sujets fonde le pouvoir, pouvoir qui n’est pas réductible à ses formes massives ou visibles. Ainsi, le projet de MdM d’alternatives à l’incarcération constituait une confrontation des rapports de pouvoir, dans l’inclusion et l’exclusion de l’autre.
Chapitre 1 - La stratégie et les ennemis  : il s’agissait de retourner les armes de l’adversaire en jouant les contradictions en épousant la langue de l’adversaire. MdM a fait le constat d’une surreprésentation des patients psychiatriques en prison, et partant de ce constat, a retourné le langage afin d’aboutir son projet. Le langage économique tout d’abord, en montrant le coût inférieur des alternatives, avec un rapport coût/bénéfice plus élevé, ceci appuyé par des évaluations. La prévention de la récidive ensuite, en montrant le bénéfice qu’il y avait contre cette notion de récidive, notion qui maintient que «  la prison contribue à la prison  ». Il n’existe pas de bonne solution (au sens d’un partage simplifié entre le bien et le mal), l’enfer étant pavé de bonnes intentions, d’idéaux humanistes. On assiste à une pathologisation des troubles des conduites, un renforcement de la théorie de la dégénérescence, ainsi qu’à la psychiatrisation de la criminalité. De l’opposition à la proposition, il s’agit tout d’abord de passer au crible ses propres propositions. Le développement de ces dispositifs visait à lutter contre le syndrome d’auto-exclusion ou déni dont souffrent certains SDF.
Chapitre 2 – La désignation des ennemis (idéologies, pratiques et évolutions) : le néolibéralisme et l’évaluation de la dangerosité de manière actuarielle. Il ne s’agit pas d’opposer l’attention au patient à la singularité à inclure (approche humaniste), ces oppositions n’étant que construites, comme des contraintes binaires, représentants les deux faces d’une même médaille, difficiles à séparer. Ces notions théoriques se manifestent pleinement chez les intervenants auprès d’auteurs d’agressions sexuelles.
Chapitre 3 – La résistance. Elle suppose un rapport de stratégies, l’existence d’ennemis … et d’armes. Or le savoir est une arme : la singularité clinique pour justifier la très faible fiabilité interjuge entre praticiens ; selon la rencontre et les praticiens, l’orientation des libertés individuelles. Ainsi, la prise en charge des auteurs de violences sexuelles pose problème : il n’y a pas de demande, pas de souffrance, pouvant faire penser à de la «  flicatrie  ». Il s’agirait donc d’une idéologie thérapeutique en les recodant en termes d’opérations soignantes  : une demande implicite, une souffrance cachée, la justice ayant pour fonction thérapeutique de structurer les sujets, la surveillance étant l’élément essentiel du soin.

Enfin, le Pr Douki, professeur émérite de psychiatrie, clôture les présentations par son exposé « La psychiatrie et la religion : les liaisons dangereuses  » enrichi de sa pratique personnelle et d’exemples pratiques dans un exposé tambour-battant (empêchant malheureusement tout prise de note) narré comme un conte.

Le privilège de la clôture du congrès est donné au Pr Terra, professeur de psychiatrie, chef du Centre de prévention du suicide / Psymobile. Avec humour, provocation, séduction et humanisme, il nous brosse le portrait du psychiatre qu’il aimerait consulter en cas de problème, dans les décennies à venir.
 Parmi quelques-unes des exigences notées, il viendrait nous consulter avec ses attentes, ses préférences, ses souhaits. Il voudrait avoir à disposition la psychiatrie planétaire, le meilleur de ce qui se fait, sans que nous hésitions à demander un avis à un confrère.
Il accepterait nos doutes plus que nos certitudes. Il ne voudrait pas qu’on lui fournisse de solutions trop tôt, préférerait être compris avant d’être aidé. Il aurait besoin de notre résistance psychologique, de notre endurance pour arriver à le suivre. Il voudrait notre équilibre, au-delà de la consolidation superficielle, des interprétations sauvages et des «  bon courage  ».
Il ne souhaiterait être réassuré qu’après avoir été compris. Il aimerait qu’on ait lu son dossier la veille de la consultation, que l’on connaisse le prénom de ses êtres chers, permettant leurs présences flottantes en consultation.
Il aimerait pouvoir appeler entre deux consultations, qu’on puisse venir le chercher chez lui s’il résiste trop, car l’isolement ne protège ni du suicide, ni de l’embolie pulmonaire, ni de la rhabdomyolyse.
Il ne voudrait pas de leçons de vie, voudrait être le premier sur la liste de nos préoccupations (avant nos peurs, les problèmes de société, de loi, du politiquement correct). S’il se plaint, ce serait l’équivalent d’un cri d’amour. Il aimerait que l’on démine ses mauvaises rencontres, ses mauvaises pensées.
Que l’on soit une agence d’avenir et non pas une agence du passé, fixée dans le rétroviseur. Il aimerait qu’on lui énumère les différents plans, A, B, C… avec des dates précises à atteindre pour savoir quand s’engager dans le suivant. Enfin, il ne désirerait pas nous voir aphone quand il nous demandera ce qu’il va devenir.

Difficile de passer après cette belle allocution de fermeture  ! Pour conclure rapidement, il nous apparait difficile de vous transmettre de manière complète tous les enseignements de ces deux journées de congrès, mais les internes en psychiatrie, hautement représentés à Lyon, ont fait preuve de curiosité, de motivations, de volonté de progression et d’érudition !

Sylvain Leignier
Interne en 4ème année, Grenoble
 courriel : [email protected]

Camille Queneau
Interne en 2ème année
Responsable Communication de l’AFFEP

Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°15

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