L’injonction paradoxale de la double contrainte
21 avril 2018
Le Syndicat des Psychiatres des Hôpitaux (SPH) s’alarme de voir que la proposition d’étendre au domaine de la prison les soins ambulatoires sans consentement en psychiatrie, a été exposée à l’Assemblée Nationale dans le récent rapport du député Mazars, membre d’un groupe de travail sur la détention.
Cette suggestion soulève des questions de Droit, des problèmes de déontologie médicale, ainsi que des obstacles liés à la simple faisabilité.
En termes de Droit, la complexité d’application des lois de 2011 et de 2013 sur les soins sans consentement en psychiatrie, alimente en continu une jurisprudence qui en 2012, a dissocié la notion de soins contraints de celle de privation de liberté : par décision du Conseil Constitutionnel du 20 avril 2012, la contrainte aux soins ne peut s’entendre que par hospitalisation complète, et le juge des libertés n’a pas de compétence de contrôle sur les soins ambulatoires sans consentement. Pour le Droit constitutionnel, la privation de liberté que constitue par définition la détention est donc parfaitement en contradiction avec le cadre légal des soins ambulatoires sans consentement.
Pour ce qui est des conditions de leur réalisation, les soins ambulatoires sans consentement sont selon le code de la santé publique, placés sous la responsabilité des établissements auxquels sont attribuées les missions de psychiatrie de secteur. Cette responsabilité s’exerce en particulier par la rédaction par les psychiatres de ces établissements, des pièces juridiques obligatoires que sont les certificats légaux et les programmes de soins ambulatoires sans consentement. Etendre cette modalité à la prison reviendrait à faire glisser sur les psychiatres de secteurs, la responsabilité de rédaction de ces certificats, pour une décision initiale prise par d’autres praticiens. Puisque que sur le territoire national, l’organisation des soins aux détenus ne concerne les UHSA que de manière partielle, cette proposition engage à devoir modifier plusieurs articles des codes de la santé publique et du code de procédure pénale, mais surtout à revoir les organisations des établissements de santé et donc de la psychiatrie dans son ensemble.
Sur le plan déontologique et de l’efficacité des soins, la profession doit, pour pouvoir assurer ses missions, réaffirmer sans cesse la nécessaire indépendance médicale au service des droits des patients : cette proposition qui associe condamnation pénale, privation de liberté de circuler, et contrainte aux soins en psychiatrie, ouvre encore une fois la voie à une confusion inquiétante entre peine et psychiatrie.
Le SPH alerte sur les risques de mener des réflexions fragmentaires sur les soins psychiatriques : les principes de continuité des soins et la réalité des demandes d’interventions adressées à la psychiatrie publique, font que les suivis ne se limitent plus aux hôpitaux psychiatriques et les professionnels interviennent dans de nombreux lieux.
S’il s’agit de favoriser la continuité des soins quel que soit le lieu, et rendre cohérents des parcours sans rupture pour le patient, fut-il détenu, cette proposition n’apporte rien en termes d’efficacité : pour améliorer la cohérence des dispositifs de soins, le SPH invite les députés à réfléchir à une loi globale pour la psychiatrie plutôt qu’à des mesures partielles, sources de désorganisation de l’ensemble.
La Ministre de la Santé s’est-elle (déjà ?) trop écartée de la psychiatrie ?
2 mai 2018
Madame la Ministre de la Santé invitée par France Culture à faire le bilan de sa première année d’exercice, a cité en réponse à la question qui lui était posée sur la souffrance de la psychiatrie, le refus des établissements de santé mentale de s’inclure aujourd’hui dans les GHT, à l’appui d’une explication selon laquelle cette discipline s’était « écartée progressivement de la médecine ».
Face à ce double diagnostic porté alors que l’EPSM de la Sarthe paraît bien seul, engagé dans un bras de fer avec l’ARS pour défendre des spécificités d’exercice face à l’hôpital général, il est nécessaire de rappeler à Madame la Ministre que les décisions ministérielles qui ont été appliquées à la psychiatrie depuis plus de 30 ans, ont pour point commun de vouloir l’amener vers une conception conjointe à la médecine : inclusion de la psychiatrie dans les diplôme d’études spécialisées de médecine dans la réforme de l’internat de 1982, disparition du diplôme spécifique d’infirmier en psychiatrie en 1992, fin du volet psychiatrie dans les schémas régionaux d’organisation sanitaire selon la circulaire de simplification de 2003, fin des spécificités pour les psychiatres hospitaliers dans le statut de praticiens selon la loi HPST en 2009.
A voir la succession des rapports parlementaires de ces dernières années sur la situation de la psychiatrie, les effets d’amélioration pour les besoins de santé mentale de ces choix tardent à se faire connaître. Et à voir l’état de crise exprimé dans les services de soins somatiques au sein de GHT constitués, on peut se demander en quoi le sort de la psychiatrie sera plus enviable une fois rejoint celui de la « médecine » hospitalière réformée. Les services de psychiatrie existant au sein des hôpitaux généraux pourraient même témoigner du contraire lorsque leurs DAF servent à corriger les défauts de la T2A appliquée aux services de soins somatiques.
Les secteurs de psychiatrie publique, qui envoient tous du personnel dans les hôpitaux généraux et les services d’urgence au titre de la psychiatrie de liaison, pourraient même oser avancer que ce n’est pas la psychiatrie qui s’est écartée de la médecine, mais que c’est la médecine qui par son évolution et celle de ses moyens, s’est détournée de la psyché.
Le virage ambulatoire, cher aux ministres successifs, et le travail de réseau nécessaire à la prévention prônée dans la « stratégie de transformation du système de santé » du gouvernement actuel, avaient été initiés par la psychiatrie de secteur dans les années 60 : comme la naissance aujourd’hui des conseils locaux de santé mentale, ou l’exercice infirmier en psychiatrie de secteur qui ressemble aux pratiques avancées qu’un décret projette pour les maladies somatiques, la création de CMP, celle des alternatives ambulatoires à l’hospitalisation, les conventions d’interventions psychiatriques dans le médico-social, avaient dû leur déploiement aux initiatives de terrain plutôt qu’à des politiques sanitaires volontaristes pour la santé mentale. Ce qui aurait pu servir d’exemple pour les modèles maintenant recommandés d’organisation de la médecine, risque en fait de disparaître face à l’hospitalocentrisme mutualisé qui a inspiré la création des GHT.
Si quelques établissements de santé mentale ont obtenu des dérogations à être partie d’un GHT, c’est a priori parce qu’ils ont eu des arguments valables sur leurs réponses aux besoins territoriaux, qui peuvent parfaitement inclure le développement de conventions avec les établissements de MCO, et, faut-il le rappeler, parce que selon la loi, des projets médicaux partagés sont les préalables obligés aux conventions constitutives de GHT : en appelant les établissements de psychiatrie à rentrer dans le rang des GHT, Madame la Ministre de la santé ne désavoue-t-elle pas un peu rapidement les diagnostics territoriaux examinés par les acteurs de terrain ?
La santé mentale de la population française répond à des déterminismes multiples et plus complexes qu’une séparation entre corps et esprit à résoudre par des filières de soins ordonnées par les GHT. L’augmentation du recours à la psychiatrie, et avec elle celle du nombre des hospitalisations sans consentement, variable selon les régions, ou l’emprise sociétale de l’ordre public sur les soins psychiatriques, le montre. Conscient de cette complexité, le SPH ne s’est pas replié sur une vision nostalgique de l’organisation des soins psychiatriques, et s’est engagé dans des propositions d’adaptation du système sanitaire, comme aurait pu l’être l’expérimentation audacieuse de groupements de coopération sanitaire établissements de santé mentale, et doit l’être aujourd’hui la création dans les régions de communautés psychiatriques de territoires.
Madame la Ministre de la santé a annoncé en janvier qu’elle prendrait la tête d’un futur comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale. Si tel est son choix, le SPH en appelle donc à sa qualité d’universitaire pour ne pas céder aux conclusions rapides, et attend d’elle qu’elle ne se contente pas d’attribuer à la psychiatrie la responsabilité de ses propres difficultés, qui serait celle de refuser la modernité hypothétique des réformes.
Casier psychiatrique et pressurisations sécuritaires
6 juin 2018
Pour minimiser la portée sur les patients du décret du 23 mai relatif au fichier HOPSYWEB, qui n’est rien moins qu’un casier psychiatrique pour toute personne qui aurait la malchance d’avoir besoin de soins psychiatrique sans consentement, les ministères de l’Intérieur et de la Santé ont développé pour calmer les réactions des associations, un argumentaire qui s’inscrit dans une banalisation de l’étau sécuritaire appliqué ces derniers temps à la psychiatrie publique.
En le présentant comme une simple actualisation du fichier préexistant depuis 1994, les auteurs du décret semblent vouloir faire oublier que ce qui l’a motivé est la 39e mesure du plan national de prévention de la radicalisation, exposé quelques semaines plus tôt par le Premier Ministre. Manière de dissimuler l’amalgame fait entre psychiatrie et terrorisme.
Les problèmes très concrets posés par ce décret tiennent à l’augmentation du nombre de personnes ayant accès à l’identité et aux données de patients en soins psychiatriques, au flou sur les mesures de sécurisation de ces données, à la collecte (sans avoir besoin de leur autorisation) de données sur l’identité des avocats de défense du patient et les coordonnées des psychiatres rédacteurs des certificats médicaux, à l’allongement du délai de conservation des données au-delà de la durée des soins, et à l’interdiction faites aux patients de s’opposer à la collecte de ces informations : que reste-t-il dans ces conditions du secret médical ? Que reste-t-il des droits de la défense et de l’indépendance professionnelle des médecins ? Le patient psychiatrique n’est-il pas, aux yeux du Premier Ministre et de la Ministre de la santé signataires du décret, un citoyen à part entière ?
Encouragés par les arguties et les interprétations interminables que permettent jusqu’à l’absurde les défauts de la loi sur les soins sans consentement, les administrations préfectorales sont d’ores et déjà nanties du pouvoir de recourir à la notion de trouble à l’ordre public pour faire obstacle aux sorties en permission, qui sont pourtant des aménagements de soins, ou refuser les sorties définitives demandées par le médecin.
En collaborant avec les ARS, les préfectures disposent de toujours plus d’informations sur les patients en soins sans consentement, sans faire de distinction entre les modes (demandes de tiers ou décision du préfet) et les motifs des soins : tout un chacun peut ainsi se retrouver fiché s’il subit un événement de vie susceptible de justifier une mesure de soins psychiatriques sans consentement.
Des campagnes nationales de déstigmatisation de la maladie mentale ont été engagées, et dans le même temps est publié ce décret qui méprise l’impact que peuvent avoir les antécédents psychiatriques sur la vie privée des personnes, en créant les conditions de divulgation d’informations confidentielles et de stigmatisation des personnes : les patients et leurs proches peuvent alors y réfléchir à deux fois avant d’accepter des soins nécessaires.
Le décret ne respecte pas plusieurs articles du Règlement Général de Protection des Données qui s’impose aux états membres de l’Union européenne : défauts de respect des droits et libertés individuelles au regard des finalités du traitement des données, négligence du « droit à l’oubli » ou insuffisance de garanties de confidentialité. Et il soulève en Droit plusieurs points contestables par l’usage qui est fait d’un décret pour ordonner des décisions sur des domaines qui relèvent de la loi.
Le SPH dénonce donc les dispositions du décret du 23 mai 2018 et forme un recours gracieux devant le Premier Ministre pour son retrait. En l’absence d’annulation, les conditions de recours auprès du Conseil d’Etat sont déjà réunies.
Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°15