Ischemic colitis caused by Lenalidomide : an etiology to know
a Service de Gastro-entérologie et hépatologie, CHU de Rouen, 37 Boulevard Gambetta, 76000 Rouen, France
b Service d’hématologie, Centre Henri Becquerel, 1 Rue d’Amiens, 76038 Rouen, France
c Service d’hématologie, Hôpital Jacques Monod, 29 Avenue Pierre Mendès France, 76290 Montivilliers, France
d Service d’imagerie, Hôpital Jacques Monod, 29 Avenue Pierre Mendès France, 76290 Montivilliers, France
e Service de Gastro-entérologie et hépatologie, Hôpital Jacques Monod, 29 Avenue Pierre Mendès France, 76290 Montivilliers, France * Auteur correspondant : [email protected]
Mots-clés : Lénalidomide, Colite ischémique, Myélome multiple, Iatrogénie
Keywords : Lenalidomide, Ischemic colitis, Multiple Myeloma, Iatrogenic
Résumé
Le Lénalidomide est un traitement immunomodulateur utilisé en hématologie et particulièrement dans le cadre du myélome multiple. L’avènement de ce traitement a permis une augmentation de la survie sans progression mais n’est cependant pas dénué d’effets indésirables notamment thromboemboliques, recomandant la prescription d’une thromboprophylaxie.
Nous décrivons le cas d’une femme de 63 ans, suivie pour un myélome multiple sous Lénalidomide en traitement d’entretien après autogreffe de cellules souches hématopoïétiques, ayant présenté une colite ischémique, un an après introduction. Le diagnostic positif a été posé après réalisation d’un scanner abdomino-pelvien et de biopsies coliques. L’évolution a été favorable après arrêt du traitement.
Le diagnostic de colite ischémique sous traitement doit être évoqué en cas de symptômes suggestifs et doit faire discuter une alternative thérapeutique.
Abstract
Lenalidomide is an immunomodulatory treatment used in hematology, particularly in multiple myeloma. The use of this treatment has improved the progression-free survival rate, but is associated with adverse eff ects especially thromboembolic, hence recommending prescription of a thromboprophylaxis.
We describe a case of a 63-year-old women, under Lenalidomide as maintenance treatment of a multiple myeloma relapse after autologous cell transplantation, who developed an ischemic colitis one year after his introduction. Diagnosis was made by abdominal computed tomography and colonic biopsies. The outcome was favorable after discontinuing treatment.
Ischemic colitis should be considered in patients treated by Lenalidomide in case of suggestive symptoms, and a therapeutic alternative must be discussed.
Introduction - Introduction
Le myélome multiple correspond à une prolifération d’un clone plasmocytaire tumoral envahissant la moelle osseuse hématopoïétique, à l’origine de la sécrétion d’une immunoglobuline monoclonale dans le sang et/ou les urines, éventuellement associée à une anémie, une hypercalcémie ou une atteinte osseuse voire rénale. Les facteurs favorisants sont d’ordres génétiques ou environnementaux. Il est responsable à lui seul d’une augmentation du risque thrombotique en raison d’une hyperviscosité, d’une résistance acquise à la protéine C activée, d’un défi cit en protéine S, d’une inhibition de l’activateur tissulaire du plasminogène, de l’apparition d’un anticoagulant lupique, ou encore de l’augmentation de la production de cytokines pro-infl ammatoires.
Le Lénalidomide est une molécule immunomodulatrice dérivée du Thalidomide, aux propriétés anti-néoplasiques, pro-apoptotiques, anti-angiogéniques et pro-érythropoïétiques. Il est indiqué dans la prise en charge du myélome multiple, des syndromes myélo-dysplasiques et du lymphome à cellules du manteau. Dans le cadre du myélome multiple, il a été démontré une augmentation de la survie sans progression en traitement d’entretien après greffe de cellules souches hématopoïétiques [1, 2]. Ses principaux effets indésirables décrits sont la myélosuppression, représentant la première cause d’arrêt de traitement, les infections, les neuropathies, et sur le plan digestif les troubles du transit. Le Lénalidomide expose également à des risques accrus d’événements thromboemboliques veineux et artériels (essentiellement thrombose veineuse profonde, embolie pulmonaire et accident vas-
culaire cérébral). Ce risque est majoré au cours des premiers mois de traitement ou en cas d’association avec la Dexaméthasone, une autre chimiothérapie ou l’érythropoïétine, motivant une prescription médicamenteuse antithrombotique systématique.
La colite ischémique est la pathologie vasculaire du tube digestif la plus fréquente et la deuxième cause d’hémorragie digestive basse (après l’origine diverticulaire) par atteinte des petites artérioles. Son incidence est en augmentation et est responsable d’une morbi-mortalité non négligeable. Elle atteint préférentiellement les femmes et les sujets âgés de plus de 60 ans. La colite ischémique épargne le rectum dans la plupart des cas, en raison de sa riche vascularisation dépendant du réseau mésentérique et iliaque. En eff et, le haut rectum est vascularisé par l’artère rectale supérieure (branche de l’artère mésentérique inférieure), les deux tiers inférieurs par l’artère rectale moyenne (branche de l’artère iliaque interne), tandis que l’anus et la marge anale sont vascularisés par l’artère rectale inférieure (branche de l’artère iliaque interne et non de l’artère mésentérique inférieure). Elle se manifeste sous la forme d’une triade associant douleurs abdominales, diarrhée et rectorragies.
Les colites ischémiques affectent la microcirculation par hypoxie tissulaire ou par ischémie-reperfusion, à la diff érence d’une ischémie mésentérique résultant d’une atteinte de la macrocirculation. En cas de mécanisme hypoxique, l’atteinte est plus fréquemment d’origine non occlusive (bas débit, iatrogénie, effort
physique prolongé, cocaïne) avec généralement pour seul signe une colite scannographique. Plus rarement, l’atteinte est d’origine occlusive en conséquence d’une embolie ou thrombose (traumatismes abdominaux, thromboses et embolies mésentériques associées aux pathologies cardio-vasculaires, vascularites, obstruction colique, maladies hématologiques notamment amyloïdes). En cas d’ischémie-reperfusion, le rétablissement de la perfusion peut induire une aggravation des lésions tissulaires liées à l’ischémie.
Le diagnostic positif repose actuellement exclusivement sur des explorations morphologiques et notamment sur la coloscopie avec biopsies coliques et l’examen tomodensitométrique avec injection de produit de contraste. L’examen anatomopathologique d’une biopsie colique retrouve de manière segmentaire une desquamation, une nécrose muqueuse, une atrophie épithéliale, des hémorragies de la lamina propria, des macrophages chargés d’hémosidérine, ou des thrombi fi brineux. La tomodensitométrie permet théoriquement de diff érencier une origine macro ou microcirculatoire artérielle ou veineuse, d’orienter vers le mécanisme séquellaire, et d’identifier les segments atteints ainsi que les éventuelles lésions associées pouvant faire évoquer d’autres diagnostics. Elle met en évidence un épaississement pariétal, une infi ltration de la graisse péri-colique, la visualisation d’une éventuelle thrombose, et en cas d’atteinte sévère une pneumatose pariétale, un épanchement liquidien intra-péritonéal ou l’absence de rehaussement après injection de produit de contraste.
Le diagnostic de colite ischémique doit faire réaliser un bilan cardiologique à la recherche d’une cardiopathie emboligène voire une exploration des vaisseaux mésentériques, ainsi qu’un bilan de thrombophilie chez le sujet jeune. La prise en charge initiale demeure symptomatique en cas de forme non sévère avec éventuellement l’adjonction d’une antibiothérapie probabiliste à visée digestive, ou chirurgicale en cas de nécrose colique étendue ou de sténose secondaire. Le traitement dépend ensuite de la cause sous-jacente, par l’arrêt d’une thérapeutique en cas d’origine iatrogène, ou l’instauration d’un traitement anti-arythmique ou anticoagulant en cas de cardiopathie emboligène ou de thrombophilie [3].
Résultats/Observation(s) Results/Case report(s)
Nous rapportons le cas d’une femme de 63 ans suivie pour un myélome multiple à IgA ayant bénéfi cié d’une auto-greff e de cellules souches hématopoïétiques en juin 2019, consolidée par Lénalidomide-Bortézomib-Dexaméthasone, puis d’un traitement d’entretien par Lénalidomide seul à la dose de 15mg/j, associé à un traitement thromboembolique préventif par acide acétyl-salicylique (100mg/jour). Le Bortézomib avait dû être arrêté en août 2019 devant l’apparition d’une neuropathie périphérique sévère malgré une bonne réponse thérapeutique marquée par la disparition du pic monoclonal, la normalisation des chaînes légères et l’absence de protéinurie de Bence-Jones.
En septembre 2020, la patiente est hospitalisée dans notre centre pour bilan de douleurs abdominales associées à de la diarrhée avec hématochézies. Le bilan biologique revient non spécifique avec un discret syndrome infl ammatoire (protéine C réactive à 9 mg/L) et une discrète élévation des lactates déshydrogénases. Le scanner abdomino-pelvien injecté révèle une colite étendue aspécifique avec épaississement postérieur du côlon droit, un épanchement péritonéal, un important météorisme du côlon droit et transverse, des axes vasculaires perméables (fi gures 1, 2, 3). La rectosigmoïdoscopie est en faveur d’une colite ischémique sévère (stade 2-3) avec une muqueuse colique fragile, érythémateuse, framboisée, d’allure noirâtre par endroits, associée à un suintement hémorragique de faible abondance. L’examen anatomopathologique d’une biopsie colique confi rme le diagnostic de colite ischémique chronique. Les prélèvements bactériologiques, viraux et parasitologiques reviennent négatifs. L’utilisation d’une antibiothérapie probabiliste n’a pas été nécessaire dans le contexte.
Figure 1 (images A, B, C) Tomodensitométries, coupes frontales, injectées au temps portal :
colite gauche (fl èches vertes : œdème sous muqueux, prise de contraste intense de la muqueuse)
Excepté l’âge, aucun facteur de risque cardio-vasculaire n’a été retrouvé. Le bilan cardiologique réalisé avec Holter-ECG, échographie cardiaque et échographie-doppler des artères digestives nous apermis d’exclure une origine cardio-vasculaire. L’acide acétyl-salicylique a été poursuivi à doses habituelles, sans relai par héparine. Devant l’imputabilité intrinsèque et extrinsèque, il a été décidé collégialement d’interrompre le traitement par Lénalidomide, permettant une évolution clinico-biologique, une normalisation de la coloscopie de contrôle un mois plus tard, et la persistance d’une rémission complète en janvier 2021 sous surveillance simple.
Figure 2 Tomodensitométrie, coupe sagittale, injectée au temps artériel : absence d’occlusion du tronc cœliaque (TC),
de l’artère mésentérique supérieure (AMS) et de l’artère mésentérique inférieure (AMI)
Figure 3 Tomodensitométrie avec reconstruction des vaisseaux artériels : absence d’occlusion
Conclusion - Conclusion
Deux précédents cas de colite ischémique sous Lénalidomide ont été décrits dans la littérature, en 2015 puis plus récemment en septembre 2020. Il s’agissait de sujets d’une cinquantaine d’années traités par Lénalidomide pour une rechute dans les suites d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques. À propos du premier cas, le diagnostic positif était confi rmé sur le scanner abdomino-pelvien et l’IRM pelvienne, sans avoir nécessité le recours à la coloscopie. L’évolution était favorable après anticoagulation par héparines non fractionnées en continu et antibiothérapie probabiliste par Métronidazole et Méropénem [4]. Pour le deuxième cas, le diagnostic était posé grâce au scanner abdomi-
no-pelvien et à la coloscopie. L’évolution était également favorable après l’arrêt de l’association Lénalidomide-Dexaméthasone [5].
Cependant, l’incidence des colites ischémiques est probablement sous-estimée devant la fréquence des formes pauci-symptomatiques ne donnant pas lieu à une hospitalisation.
Concernant le diagnostic positif, il paraît pertinent de discuter la réalisation systématique d’une coloscopie compte tenu du risque de perforation et d’hypoperfusion pouvant aggraver les lésions. En pratique, il est suggéré de réaliser en première intention un scanner abdomino-pelvien injecté aux temps veineux et artériels afi n d’éliminer une ischémie
mésentérique (d’origine veineuse ou artérielle par atteinte des gros troncs) et une perforation digestive, puis une coloscopie afi n de confi rmer le diagnostic de colite ischémique [6, 7]. L’IRM pelvienne pourrait paraître prometteuse selon certaines études, en substitution d’évaluations invasives pour le diagnostic et la stratification, mais se révèle actuellement peu disponible en pratique [8, 9].
Une prophylaxie anti-thrombotique est préconisée sous traitement par Lénalidomide et particulièrement en cas d’association avec la Dexaméthasone. Il est recommandé de prescrire de l’acide acétyl-salicylique à faible dose aux patients à bas risque thrombotique et des héparines de bas poids moléculaire ou des anti-vitamines K aux patients à haut risque thrombotique [10]. L’utilisation des anticoagulants oraux directs pourrait s’avérer bénéfique après stratification du risque thromboembolique par des marqueurs clinico-biologiques, mais des études complémentaires s’avèrent requises.
L’imputabilité du Lénalidomide dans les colites ischémiques doit néanmoins être considérée uniquement après en avoir éliminé les causes les plus fréquentes. Les autres causes de colites du sujet immunodéprimé doivent également être évoquées et recherchées dans ce contexte.
Il est essentiel de connaître cette entité de pathologie en tant que gastro-entérologue comme en tant qu’hématologue.
Des études doivent être réalisées afi n de préciser la place de l’IRM pelvienne et le risque associé à la poursuite du Lénalidomide au décours d’une colite ischémique.
Déclaration de liens d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
Références
Ylang SPAES
Article paru dans la revue “Association Française des Internes d’Hépato-Gastro-Entérologie” / AFIHGE N°01