Coliques : le nourrisson est aussi en crise ?

Publié le 09 May 2022 à 14:20


Questions à se poser en consultation

1 - Urgence organique ou pleurs non spécifiques ?
Les pleurs du nourrisson sont un des signes les moins spécifiques de l’ensemble de la séméiologie pédiatrique. Les signes d’alerte doivent être recherchés lors d’un examen systématique de la tête au pied chez un nourrisson dénudé. Une maladie sous-jacente pourra ainsi être détectée : It Cries : acronyme de l’anglais : « il pleure »

I - Infection : Infection (otite, méningite, pyélonéphrite)
T - Trauma : Traumatisme (hématome sous dural, fracture)
C - Chest : Coeur (tachycardie supra ventriculaire, insuffisance cardiaque)
R - Reaction : Réaction (médicaments, alimentation)
I - Immunization : Immunisation (vaccin), Intoxication (Co)
E - Eyes : OEil (glaucome, brulures oculaires)
S - Surgery : Soins chirurgicaux (volvulus, hernie, torsion, invagination, syndrome du tourniquet)

2 - Pleurs excessifs ou coliques du nourrisson ?
Rythme et horaires des pleurs
Les cris et pleurs surviennent de manière paroxystique, inconsolables, à horaire vespéral uniquement (à l’heure où les lions vont boire dans les contes africains !). Ce sont des pleurs d’adaptation nycthémérale qu’il convient de ne pas contrarier. Le nourrisson s’endort en sommeil agité.

Durée des pleurs
Les pleurs et/ou cris prolongés surviennent au moins 3 heures par jour pendant plus de 3 jours par semaine pendant au moins 1 semaine.
C’est la définition normative des experts publiée dans les critères de ROME III.

Incidence L’incidence des coliques est estimée entre 10 et 45 % dans les pays industrialisés. Ces coliques altèrent la sensation de bien-être (du nourrisson et de la famille...), ce qui en fait une maladie selon les critères de l’OMS.Parmi les 4 problèmes les plus importants repérés par les mères pendant les premiers mois de vie, on note que les coliques occupent la deuxième place dans leurs préoccupations derrière les difficultés alimentaires (régurgitations, mauvaise prise des repas) et devant les troubles du transit et l’ictère. C’est donc un problème de santé publique.

Symptômes associés
Les pleurs sont associés à une agitation avec hypertonie et faciès érythrosique, distension abdominale et émission de gaz. L’examen clinique est normal chez un enfant eutrophe, souvent pléthorique. Les diagnostics différentiels sont donc facilement éliminés en pratique et le diagnostic de coliques ne requière aucun examen complémentaire. C’est un diagnostic clinique.

Chronopathologie
Les symptômes ont leur acmé vers 6-8 semaines de vie, indépendamment du terme et du poids de naissance de l’enfant (pic de fréquence des pleurs identique). S’ils varient au cours du temps, ils sont constants au cours de l’année sans variation saisonnière !

3 - Mais alors, qu’est-ce qu’on fait ?
Examens complémentaires

Aucun examen n’est utile, et sûrement pas une fibroscopie, une fois le diagnostic établi.

Rassurer avec empathie
Il est nécessaire de réduire le hiatus entre un symptôme « bruyant » qui déséquilibre le fonctionnement du couple au quotidien (pas toujours stable à ce moment de la vie) et l’attitude de banalisation désinvolte vis-à-vis d’une pathologie bénigne prise par certains professionnels de santé. Cette sensation est acutisée par l’entourage qui assiste à un épisode de pleurs inconsolables. « Mais comment, vous ne faites rien ! Vous ne voyez pas qu’il souffre ? Il a peutêtre quelque chose ? ». Il est indispensable de précéder et de commenter cette scène qui va sûrement avoir lieu, sous peine de voir les parents changer de médecin (en faveur de quelqu’un qui trouvera un remède adéquat, pensent-ils...).

Restaurer la notion d’inconfort ressenti comme une douleur
Le partage du vécu douloureux familial est une des principales demandes des parents. Le mot colique fait partie des terminologies de la douleur comme « la colique hépatique » ou la « colique néphrétique ». Or, les « coliques » du nourrisson correspondent probablement à un inconfort et non à une douleur. D’ailleurs, aucun traitement antalgique n’a été démontré comme efficace dans les coliques du nourrisson.

Déculpabiliser
Il faut convaincre les parents de s’octroyer des moments de répits pour mieux faire face sans se culpabiliser ni voir le sentiment d’abandonner son enfant devant la difficulté. L’aide d’une tierce personne, voire une hospitalisation dans de rares cas s’avèrent nécessaires.

Prise en charge comportementale
Prendre le nourrisson dans les bras en le berçant, le mettre sur le ventre en lui massant l’abdomen peut améliorer les symptômes et nécessite une démonstration pendant la consultation. D’autres types de manipulations ont été proposés comme un couchage sur des berceaux à vibrations ou des véritables séances de kinésithérapie ou d’ostéopathie, sans efficacité cliniquement démontrée.

Prise en charge médicamenteuse
La diméthicone (Polysilane ®) a été largement utilisée en raison de son action sur la production des gaz. Son effet sur les coliques n’est pas supérieur à celui obtenu avec un placebo. La trimébutine (Débridat ®) n’a jamais démontré un rôle thérapeutique.
Aucun médicament d’ailleurs, à notre connaissance n’a fait la preuve d’une quelconque efficacité.

Prise en charge hygiéno-diététique
Quelques conseils sur l’alimentation semblent de bon aloi : petits repas fréquents en vérifiant l’absence d’erreurs diététiques, maintien en position verticale lors des tétées, prise du repas dans un cadre apaisant, essai d’autres tétines ou de biberons conçus pour diminuer l’aérophagie, recommander à la mère qui allaite de ne pas consommer trop de légumes secs ni de choux, en la rassurant sur la qualité de son lait.
Le pic de fréquence des coliques est plus précoce en cas d’allaitement artificiel. Plusieurs études ont identifié une flore différente chez les enfants avec ou sans coliques. Les derniers travaux de Savino proposant un traitement par Lactobacillus Reuteri sont très convaincants sur l’amélioration du temps de pleurs chez les nourrissons. Ils ont été depuis confirmés par l’équipe de Szajewska.
S’il existe des antécédents familiaux d’atopie, il devient licite d’évoquer le diagnostic d’APLV (Allergie aux Protéines de Lait de Vache) et de tenter un régime d’éviction. Si un régime d’exclusion des PLV (Protéines de Lait de Vache) est mis en place, il ne doit pas être poursuivi en cas d’échec. En cas d’efficacité, il semble légitime de proposer une épreuve de réintroduction quelques semaines plus tard pour authentifier l’imputabilité des PLV.

Prise en charge globale
À la fin de l’entretien, une figure triangulaire est proposée avec comme trois angles
: le bébé, l’environnement et les troubles fonctionnels intestinaux. On propose aux parents de situer leur enfant dans ce triangle. Ce schéma a l’avantage de faire reprendre la main aux parents, d’avoir un dessin de l’évolution au fil des consultations (on refait le schéma à chaque consultation) et de mieux comprendre le phénomène, donc de maîtriser la situation qui de fait est moins anxiogène. Les bébés pleurent parfois tout autant, mais ces pleurs sont mieux tolérés…

Six messages salutaires (SMS)

  • Examen de la tête aux pieds (du PC jusqu’au syndrome du tourniquet !)
  • Écouter, déculpabiliser, rassurer et guider (tâche difficile pour un diagnostic facile !)
  • Pas d’endoscopie aux nourrissons qui pleurent sans hypotrophie
  • Médicaments inefficaces : prescription inutile
  • Modifier la flore avec du Lactobacillus Reuteri
  • Proposer un hydrolysat poussé de protéines si terrain atopique
  • Article rédigé par le
    Dr Marc Bellaïche
    Gastro-pédiatre, hôpital Robert Debré, Paris
    en partenariat avec les
    Laboratoires GUIGOZ

    Références
    Hyman P et al. Childhood Functional Gastrointestinal Disorders: Neonate/Toddler. Gastroenterology 2006;130:1519-1526.
    Savino F et al. Lactobacillus reuteri DSM 17938 in Infantile Colic: A Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial. Pediatrics. 2010 Sep;126(3):e526-33.
    Szajewska H et al. Lactobacillus reuteri DSM 17938 for the Management of Infantile Colic in Breastfed Infants: A Randomized, Double-Blind, Placebo-Controlled Trial. J Pediatr 2012;162(2):257-62. 11 10.

    Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°10

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