Ciel, mon mari !

Publié le 18 May 2022 à 14:34


Vous faites l’admission en médecine d’une patiente de 75 ans, Madame J. pour altération de l’état général.
Il s’agit d’une patiente qui souffre depuis 6 ans d’une maladie d’Alzheimer avec une part vasculaire.
Cette pharmacienne à la retraite vit avec son mari à domicile et bénéficie d’un plan aide adapté

Son mari rapporte que depuis quelques mois, sa femme s’est repliée sur elle-même et refuse régulièrement de s’alimenter. Il a le sentiment qu’elle se méfie de lui (« parfois elle sursaute quand je rentre dans la pièce », « son regard a changé, j’ai l’impression qu’elle me surveille »). Il la trouve aussi anxieuse et rapporte une insomnie. Il semble assez en difficulté face à cette situation, « je ne sais plus quoi faire ».

Le premier entretien est peu contributif, la patiente refusant de répondre aux questions concernant ses comportements inhabituels. Elle accepte néanmoins l’examen clinique, le bilan biologique et l’ECG qui sont sans particularités.

Quelques jours après son admission, Madame J. présente un état d’agitation hétéro-agressive. En effet, elle repousse avec vigueur puis porte un coup à l’aide-soignante venue lui apporter son petit déjeuner, avant de faire une tentative de fugue. Elle est inaccessible à une approche relationnelle et s’agite de plus en plus.

Face à cette agitation mettant en danger la patiente et le personnel soignant, un traitement par LOXAPINE à la posologie de 25mg est administré en injection intramusculaire, devant le refus réitéré de la patiente de le prendre per os.

Quelques heures après cet épisode, la patiente est plus calme et confie qu’elle ne se sent pas en sécurité dans l’hôpital. Elle explique à propos de l’épisode que la soignante a été remplacée « par une tueuse ». Elle déclare ensuite spontanément : « ils ont tué mon mari et l’ont aussi remplacé par un autre ». Puis elle ajoute : « on veut m’empoisonner ». Elle reste floue concernant ses persécuteurs, évoquant « des gens mauvais » et expliquant qu’elle ne comprend pas pourquoi on lui en veut.

Devant la présence d’éléments délirants de persécution avec retentissement affectif (anxiété), comportemental (hétéro-agressivité) et somatique (état de dénutrition), il est décidé d’introduire un traitement par antipsychotique. Après avoir vérifié l’absence d’argument en faveur d’une maladie de Parkinson ou d’une démence à corps de Lewy, de la RISPERIDONE est introduite à la posologie de 0.5mg par jour puis majorée à la posologie de 1mg par jour. Cela a permis une amélioration partielle de la symptomatologie avec une amélioration du contact (moins de méfiance) et une diminution du retentissement des idées délirantes.

Voici l’occasion de faire le point sur un trouble de l’identification particulier : le syndrome de Capgras ou syndrome d’illusion des sosies.

Origine et description
Le syndrome de Capgras est caractérisé par la conviction délirante qu’un ou des proches (souvent le conjoint ou les enfants) ont été substitués par des sosies, généralement perçus comme malveillants.

La première description du syndrome d’illusion des sosies a été faite par le psychiatre français Joseph Capgras et son interne Jean Reboul-Lachaux en 1923 chez une patiente souffrant d’un délire systématisé chronique. Dans ce cas princeps, les auteurs rapportent que « Madame M. va dénoncer au Commissariat de son quartier, la séquestration d’un grand nombre de personnes […] dans le soussol de sa maison et de tout Paris ». La patiente leur explique que certains de ses enfants ont été l’objet de substitutions et sont enfermés dans des caves. Elle leur confie que son mari a lui été assassiné et remplacé par au moins quatre-vingt « sosies ».

Au cours de son hospitalisation, elle rapporte aussi que la plupart des soignants sont enfermés dans les caves de l’hôpital et ont été remplacés par des « sosies » (1).

Dans ce syndrome, bien que le patient soit en mesure d’identifier la physionomie des visages, il est convaincu qu’une ou des personnes de son entourage ont été remplacées par des sosies, des doubles ou des imposteurs qui leur ressemblent. Le syndrome de Capgras regroupe donc paradoxalement un sentiment de familiarité et un sentiment d’étrangeté. Car si le patient perçoit une ressemblance avec la personne concernée, il ne reconnait pas son identité pour autant (1, 2).

Le syndrome de Capgras est classiquement reconnu comme rare, mais certaines données récentes tendent à remettre en question cette notion (3)

Diagnostics différentiels
Le syndrome de Capgras doit être distingué de l’hallucination qui est une perception sans objet à percevoir car le proche impliqué est réellement présent.

Il doit aussi être distingué de la fausse reconnaissance qui est la reconnaissance d’une personne inconnue car il s’agit au contraire d’une méconnaissance d’une personne connue.

Enfin, il doit être distingué du trouble mnésique car le patient n’a pas de difficulté à se remémorer l’image du proche impliqué (3).

Pathologies associées
Le syndrome de Capgras peut être associé à de nombreuses affections. On distingue les pathologies psychiatriques des pathologies organiques, qui représentent un quart à un tiers des cas. Parmi celles-ci, les affections neurologiques et neurodégénératives sont au premier plan. Il convient néanmoins de rechercher de manière systématique des pathologies métaboliques, infectieuses et des intoxications à des toxiques ou des médicaments (Tableau 1) (3-5).

 

Pathologies psychiatriques Schizophrénie
Troubles thymiques (dépression, manie)
Trouble schizoaffectif
Trouble délirant persistant Pathologies neurodégénératives Maladie d’Alzheimer
Démence à corps de Lewy
Démence vasculaire
Démence fronto-temporale Pathologies neurologiques Maladie de Parkinson
Traumatisme crânien
Epilepsie
Accident vasculaire cérébral
Tumeur cérébrale Pathologies métaboliques Dysthyroïdie
Malnutrition
Carences en vitamine B9 et B12 Pathologies infectieuses Encéphalite
Tuberculose
Syphilis
SIDA

Prise en charge
Le traitement du syndrome de Capgras dépend avant tout de la pathologie associée. En plus de ce traitement étiologique, si le retentissement affectif et comportemental est significatif, un traitement antipsychotique peut être introduit. Dans le cas des troubles neurocognitifs majeurs, on privilégiera la RISPERIDONE en cas de maladie d’Alzheimer et la CLOZAPINE en cas de démence parkinsonienne ou de maladie à corps de Lewy

Que prescrire en cas d’agitation aiguë ?
Si la personne agitée présente un danger pour elle-même ou pour autrui (risque auto ou hétéroagressif en particulier), il convient de lui donner un traitement médicamenteux.

En l’absence de contre-indication, les neuroleptiques sont la référence pour une agitation importante. Dans le cadre de l’urgence, il est pertinent de prescrire un neuroleptique qui peut se prendre per os en goutte ou en comprimé orodispersible (afin de s’assurer de la bonne observance) et en IM en cas de refus. Les neuroleptiques typiques comme la LOXAPINE et le TIAPRIDE ainsi que l’antipsychotique atypique OLANZAPINE sont fréquemment prescrits dans cette indication.

Candice MULLER
Praticien Hospitalier contractuel en Gériatrie

Hôpitaux Universitaires de Strasbourg

Alexandre COURBON
Assistant spécialiste en Psychiatrie

Hôpitaux Universitaires de Strasbourg
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

Bibliographie

  • Capgras, J, Reboul-Lachaux, J. Illusions des sosies dans un délire systématisé chronique. Bull Soc Clin Méd Ment 1923;11:6–16.
  • Caroline Gault, Edwige Catrin, Caroline Leduc, Charles Gheorghiev, Délire de jalousie et syndrome de Capgras : à propos d’un cas de paranoïa, Volume 4422, Issue 10, 12/2014, Pages 795-898, ISSN 0003-4487.
  • L’illusion des sosies de Capgras : une interprétation délirante d’un trouble spécifique de la reconnaissance affective des visages. Revue de la littérature et proposition d’un modèle séquentiel, Ann Med Psychol, 166 (2008), pp. 147-156.
  • Josephs KA. Capgras syndrome and its relationship to neurodegenerative disease. Arch Neurol 2007;64:1762–6.
  • Debruille JB, Stip E. Syndrome de Capgras : évolution des hypothèses. Rev Can psychiatr 1996;41:181–7.
  • Christodoulou GN. Course and Outcome of the Delusional Misidentification Syndromes. Bibliotheca psychiat 1986;164:143–8.
  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°29

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