Chronobiologie et mort subite : en direct du congrès HRS 2018 de boston BOSTON

Publié le 24 May 2022 à 11:26

Synthèse scientifique de la session dédiée à la chronobiologie et au rythme cardiaque, en direct du congrès de la Heart Rhythm Society (HRS) 2018 à Boston

Comprendre le concept de « chronobiologie »

La compréhension des mécanismes conduisant à la mort subite cardiaque est un enjeu majeur afin de développer les méthodes et les approches pouvant la prévenir. Des études épidémiologiques publiées dans le milieu des années 1980 nous ont ouvert la piste de la chronobiologie avec l’observation d’une prévalence plus élevée d’infarctus du myocarde et d’angor en fin de matinée (1, 2). Puis les années 1990 ont vu des études sur de plus grandes cohortes, sur d’autres arythmies cardiaques et notamment chez des patients présentant des tachycardies ventriculaires et appareillés d’un défibrillateur confirmant ainsi la prévalence de ces évènements rythmiques à certaines périodes de la journée (3–5). En effet, tandis que les épisodes de fibrillation atriale paroxystique voient leur plus faible fréquence en fin de matinée (3), cette période apparait critique dans un contexte d’infarctus du myocarde, de tachycardies ventriculaires et lors de la survenue de morts subites cardiaques (6, 7). Cependant ce rythme circadien n’est pas observé chez les patients avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche < 30 % (4, 8).
Aujourd’hui, peu d’études se sont intéressées aux mécanismes liant la chronobiologie et la survenue d’arythmies. Les rythmes circadiens peuvent être les conséquences d’oscillation d’expression de gènes régulés par les périodes de jour et de nuit, ainsi que par les repas (apport de nutriments). Cette dernière hypothèse suggère qu’un organe peut avoir sa propre horloge biologique, mais pourrait être aussi modulé par les autres organes. Chez les patients, une source de périodicité d’événement rythmique peut coïncider avec la fin de la délivrance du principe actif d’un médicament et ainsi l’apparition d’une période de vulnérabilité avant la prise d’une prochaine dose.
On estime à environ 10 % les gènes présentant une rythmicité d’expression dans le coeur. Plusieurs facteurs de transcription ont été identifiés comme clés dans la régulation du rythme circadien dont les gènes BMAL1, CLOCK et KLF15.

Impact du rythme circadien sur la repolarisation cardiaque
Le premier orateur, le Dr Morten (Copenhague, DK) s’intéresse à l’impact du rythme circadien sur la repolarisation cardiaque. Ses travaux s’appuient sur un modèle de souris invalidée pour le gène BMAL1 (BMAL1-/-) pour lequel une précédente étude avait montré que l’absence du gène BMAL1 entraînait des cardiomyopathies avec une fraction d’éjection ventriculaire gauche diminuant fortement avec l’âge et conduisant au décès des souris (9). Sur le plan de la repolarisation ventriculaire, le Dr Morten et son groupe ont montré que chez les souris pour lesquelles le gène BMAL1 avait été invalidé sélectivement dans les cardiomyocytes, L’ECG des souris montrait une onde J négative alors que chez les souris WT elle restait positive. De plus les souris BMAL1-/- présentent une bradycardie associée à un allongement de l’intervalle QT. Ainsi le RR et le QT continuent à suivre un rythme circadien (significativement plus élevés le jour que la nuit) chez les BMAL1-/- et les WT mais avec un des intervalles plus élevé chez les BMAL1-/-. Cependant si l’on stimule les souris à fréquence fixe, le rythme circadien et la différence d’intervalle QT entre BMAL1-/- et WT sont conservés démontrant l’indépendance entre la bradycardie et l’intervalle QT. De plus l’allongement de l’intervalle QT est plus important le jour que la nuit.

En conclusion, la durée de repolarisation varie sur 24h et suit un rythme circadien indépendamment du rythme cardiaque et ceci pourrait avoir un impact sur la survenue d’arythmies plus fréquemment observées le matin et sur le résultat de tests diagnostiques en fonction de l’heure où ils sont pratiqués.

Impact du rythme circadien sur l’activité des canaux ioniques
Le Dr Delisle (Lexington, US) s’intéresse à l’impact du rythme circadien sur l’activité des canaux ioniques cardiaques. Pour cela il s’appuie sur un modèle murin de QT long de type 3 présentant une mutation gain de fonction du canal sodique cardiaque NaV1.5. En effet, la mutation humaine delta-KPQ a été introduite chez la souris et récapitule le courant sodique persistant responsable de l’allongement du potentiel d’action et ainsi du syndrome du QT long. Sur ce modèle de souris deux modifications de l’horloge biologique ont été testées : l’une au niveau des horloges périphériques situées dans chaque organe et médiées par les hormones, neurotransmetteurs ou l’apport de nutriments et au niveau de l’horloge centrale (cerveau) par le décalage des cycles jour/nuit de 6 heures tous les 4 jours (jetlag). La restriction de l’apport alimentaire durant le jour chez les souris augmente modérément les intervalles RR et QT chez les WT et fortement chez les souris delta-KPQ, ces dernières montrent également des troubles de la conduction. Le dérèglement de l’horloge centrale va exacerber l’allongement de l’intervalle QT chez les souris delta-KPQ et induire des arythmies plus fréquentes. Les souris delta-KPQ ayant suivi ces jetlags présentent une mortalité de 100 % à 2 mois contre 0 % pour les delta-KPQ n’ayant pas subi de déréglage de l’horloge centrale. Ceci s’explique par une bradycardie importante durant les 24h précédent la mort des souris et une augmentation de la fibrose dans les ventricules. Ces travaux soulignent le rôle des rythmes circadiens dans la régulation de l’activité électrique cardiaque.

Modèle de tachycardie ventriculaire catécholaminergique chez l’enfant
Le Dr Wehrens (Houston, US) a présenté ses travaux portant sur des enfants atteints de tachycardie ventriculaire polymorphe catécholaminergique. Ces observations démontrent une fréquence d’événements rythmiques plus élevée en soirée (18h00-24h00) alors que ces enfants ont une fréquence cardiaque peu élevée et voient leur activité physique la plus importante dans l’après-midi. Ces données sont reproductibles le week-end et lors des vacances.

Ces données suggèrent que le test d’effort utilisé pour démasquer la pathologie pourrait s’avérer moins sensible en fonction de la période de la journée. Une des hypothèses serait que ces enfants traités par bétabloquant avec une prise quotidienne avant leur coucher pourrait voir son efficacité diminuer en fin de prise. Cependant des expériences menées sur un modèle de souris démontrent que le décalage (horaire) de 4 heures, décale également la survenue des arythmies suggérant l’implication d’un mécanisme biologique circadien. Des résultats préliminaires proposent que la phosphorylation circadienne du récepteur RYR2 par la CAMKII serait corrélée avec la survenue d’arythmie.

Le gène KLF15 : pilier de la régulation de la repolarisation cardiaque
Le Dr Zhang (Houston, US) nous a présenté le rôle connu du gène KLF15 dans la régulation de la repolarisation cardiaque à travers notamment la régulation de l’expression de KChIP2 (sous-unité du canal potassique responsable du courant repolarisant Ito) (10). Ses travaux ont permis de mettre en évidence l’impact de KLF15 sur la régulation circadienne des voies de signalisation métaboliques. En effet, l’absence d’expression de KLF15 entraîne la dérégulation circadienne de plus de 300 gènes. De plus, des travaux supplémentaires ont montré que dans le contexte de l’infarctus du myocarde chez la souris invalidée pour le gène KLF15, la taille de la cicatrice de l’infarctus était corrélée au moment de la journée où celui-ci était induit. Enfin, des résultats préliminaires montrent que ces différences de taille de cicatrice observées seraient associées au niveau d’activité des voies de signalisation du stress oxydant au moment de l’induction de l’infarctus.

            Références

  • J. E. Muller et al., N. Engl. J. Med. 313, 1315–22 (1985).
  • G. Mattioli, G. Cioni, C. Andreoli, Clin Cardiol 9, 165–9 (1986).
  • T. Yamashita et al., Circulation 96, 1537–41 (1997).
  • G. H. Tofler et al., Circulation 92, 1203–8 (1995).
  • T. Kono et al., J. Am. Coll. Cardiol. 27, 774–8 (1996).
  • M. H. Ruwald et al., J. Cardiovasc. Electrophysiol. 26, 291–9 (2015).
  • J. E. Muller et al., Circulation 75, 131–8 (1987).
  • P. A. Carson et al., J. Am. Coll. Cardiol. 36, 541–6 (2000).
  • M. E. Young et al., J. Biol. Rhythms 29, 257–76 (2014).
  • D. Jeyaraj et al., Nature 483, 96–9 (2012).
  • Article paru dans la revue “Collèges des Cardiologues en Formation” / CCF N°4

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