Cas clinique d’une prise en charge de strabisme divergent intermittent chez l’enfant (rétrospective sur 7 ans)

Publié le 19 Jun 2024 à 13:27
Article paru dans la revue « FFEO / La revue ORTHO NEWS » / FFEO OrthoNews N°3
#Orthoptiste


Enfant de 5 mois adressé par son pédiatre pour un avis sur une exophorie tropie.
Né à 38SA avec un poids de naissance de 2,85kgs, bon déroulement de la grossesse, accouchement sans problématique particulière.
Il présente une plagiocéphalie, aucun cas de strabisme n’est rapporté dans la famille, sa mère est myope + astigmate et son père est myope.

Résumé des différentes consultations 

  • Lors du premier bilan à 5 mois, une XXt OD fixateur est bien observée, il n’y a pas de limitation oculomotrice, les milieux sont clairs, et le pôle postérieur est normal à droite comme à gauche (fond d’œil dilaté). Une examen sous atropine est donc programmé étant donné l’âge du patient.
  • Revient à 8 mois pour le contrôle sous atropine. Ce dernier n’a pas pu être réalisé car mauvaise tolérance du collyre, un examen sous skiacol est donc programmé à ses 12 mois.
  • L’examen sous skiacol est réalisé à 14 mois, l’XXt est toujours observée de manière intermittente en consultation. Au Rétinomax nous obtenons  : +0.25 (-1.25) 19° / +0.25 (-1) 2°. Il n’y a pas de prescription réalisée, un examen sous skiacol est programmé 6 mois plus tard.
  • Revient à 23 mois sous skiacol, l’XXt est observée de manière moins fréquente par les parents, aucune XXt n’est observée en consultation. Au Rétinomax nous obtenons  : +0.50 (-1.50) 25° / +0.75 (-1.75) 175°.

Étant donné l’amétropie, une première prescription est réalisée et un contrôle sous 4 mois est programmé.

  • Lors du contrôle à 2,2 ans, une première acuité visuelle est réalisée avec sa correction (OD 4/10 et OG 3/10), et une XXt OD fixateur est de nouveau observée en consultation. Une occlusion partielle de l’OD 1h/j est prescrite et un examen sous skiacol est programmé dans 4 mois.
  • Revient sous skiacol à 2,6 ans, une acuité visuelle est réalisée (8/10 OD et OG avec sa correction). L’XXt est moins observée par les parents, au RA nous obtenons  : +1.50 (-2) 20° / +1.25 (-2) 170°. La COT est remise à jour et un examen sans skiacol est organisé dans 4 mois.
  • Lors du bilan à 2,9 ans, une AV à 8/10 OD et OG est retrouvée avec la COT, les parents ont pris l’initiative de passer à une occlusion OD 4h/j. Une XXt est retrouvée, la motilité est normale, le PPC aussi, le Lang I est montré mais sans réponse. L’occlusion 1h par jour OD est poursuivie et un examen sans skiacol est de nouveau programmé dans 4 mois.
  • Revient à 3,1 ans, l’AV obtenue avec correction à 10/10 OD et OG. Une XXt est à nouveau observée et le Lang I est positif ce jour (3/3). Poursuite du même schéma d’occlusion et un examen sous skiacol est organisé dans 4/5 mois.
  • Lors du contrôle sous skiacol à 3,5 ans, au RA nous obtenons : +1.75 (-2) 20° / +1.5 (-1.75) 170°. L’acuité visuelle retrouvée est à 10/10 OD et 8/10 OG. L’occlusion est maintenue à 1h par jour OD et un contrôle est programmé sans skiacol dans 3 mois pour surveiller l’acuité de l’OG.
  • Revient donc à 3,8 ans sans skiacol, l’AV avec correction est retrouvée à 10/10 OD et OG. Une XXt est toujours observée, le Lang I est toujours positif.

À l’examen sous écran on obtient  : XXt30 / XX’t16, l’OD est fixateur quand tropique.

Une première déviométrie est réalisée  :

  XXt25-30  
Xt25 + HD8   Xt16
  Xt30  

À la manœuvre de Bielschowsky on obtient  :

Tête sur épaule droite  : XXt25 + HD8.
Tête sur épaule gauche  : XXt25 + HG2.

Un examen sous skiacol de nouveau programmé dans 6 mois et l’occlusion est stoppée.

  • Lors du contrôle sous skiacol à 4,2 ans, on retrouve au RA : +1.75 (-2.50) 10° / +1.25 (-1.75) 170°. Une isoacuité à 10/10 est obtenue et une Xt30 est observée mais est sous skiacol. Un premier avis chirurgical est demandé.
  • L’enfant est revu à 4,6 ans par le chirurgien strabologue. Le strabisme est observé par les parents surtout à la fatigue, en fin de journée ou quand il est malade. C’est toujours l’OD qui est fixateur en phase tropique.

À l’examen sous écran on retrouve une XXt30 et une XX’t4 avec un OD fixateur.
Le strabisme divergent intermittent est mal compensé en vision de loin mais reste peu symptomatique au quotidien, il n’y a donc pas d’urgence à programmer une chirurgie d’autant qu’il n’y a pas de diplopie décrite par le patient.
Les parents sont plutôt demandeurs d’une prise en charge.

Un contrôle sous skiacol est organisé dans 6 mois.

  • Lors du contrôle sous skiacol à 4,2 ans, on retrouve au RA : +1.75 (-2.50) 10° / +1.25 (-1.75) 170°. Une isoacuité à 10/10 est obtenue et une Xt30 est observée mais est sous skiacol. Un premier avis chirurgical est demandé.
  • L’enfant est revu à 4,6 ans par le chirurgien strabologue. Le strabisme est observé par les parents surtout à la fatigue, en fin de journée ou quand il est malade. C’est toujours l’OD qui est fixateur en phase tropique. À l’examen sous écran on retrouve une XXt30 et une XX’t4 avec un OD fixateur. Le strabisme divergent intermittent est mal compensé en vision de loin mais reste peu symptomatique au quotidien, il n’y a donc pas d’urgence à programmer une chirurgie d’autant qu’il n’y a pas de diplopie décrite par le patient. Les parents sont plutôt demandeurs d’une prise en charge. Un contrôle sous skiacol est organisé dans 6 mois.
  • L’examen sous skiacol est réalisé à 5,3 ans, au RA on retrouve +2 (-2.50) 10° / +1.50 (-1.75) 170°. Une isoacuité à 10/10 est retrouvée. Le strabisme divergent intermittent est mal compensé en vision de loin avec des épisodes de décompensation spontanée, mais reste tout de même toujours assez peu symptomatique au quotidien. La COT est renouvelée. Un nouvel examen avec le chirurgien strabologue est programmé.
  • L’enfant est revu à 5,4 ans par le chirurgien strabologue, lors du BO, une XXt de 30D est mise en évidence, la décompensation est très rapidement observée au cover test alterné. Au Rétinophoto une excylcotorsion de l’OG est visible. L’indication chirurgicale est posée et un prochain bilan est programmé sous 4 mois.
  • Il revient à ses 5,8 ans, le tableau est identique si ce n’est que le patient sent son OG partir surtout le soir. Lui et ses parents signalent qu’il y a parfois une décompensation spontanée dès le matin. Le bilan préopératoire ainsi que la date de chirurgie sont posés.
  • Le bilan préopératoire est réalisé à ses 6 ans. L’XXt retrouvée est toujours de 30D avec un OD fixateur en phase tropique, la décompensation spontanée est toujours identique. Le Lang I est toujours obtenu et le TNO est à 120‘’, la motilité est normale.
  • La chirurgie est réalisée 1 mois plus tard. Sous anesthésie générale, la divergence est estimée à 10/15D pour l’OD et à 10D pour l’OG. La chirurgie est donc faite sur l’OD. Au test d’élongation musculaire le droit latéral est à -2 et le droit médial à +2. Un recul de 6mm du droit latéral ainsi qu’une plicature de 7 mm du droit médial sont donc effectués.
  • Le patient est revu 1 mois après la chirurgie, il n’y a pas de diplopie décrite et les parents sont satisfaits du résultat. À l’examen sous écran, on retrouve en vision de loin une orthophorie puis une hypertropie droite de 5D à la décompensation. De près, une orthophorie aussi puis à la décompensation, une exophorie de 4D ainsi qu’une hypertropie droite de 4D. Le Lang est montré (au départ de la consultation), les dessins sont montrés mais pas nommés. Le patient souhaite refaire ses lunettes, un examen sous skiacol est donc programmé d’ici 1 mois.
  • L’examen sous cycloplégique est réalisé, la correction optique totale est remise à jour : +2.25 (-3) 15° / +2.25 (-2.75) 170°. Un bilan est programmé dans un mois.
  • Lors du bilan post-opératoire à 3 mois, il n’y a pas de diplopie et les parents n’observent pas de strabisme au quotidien. À l’examen sous écran on retrouve en vison de loin : X10 + HD10 et en vision de près  : X6 + HD6. Une élévation en adduction de l’OD est aussi observée.

Une déviométrie est tentée mais la coopération n’est pas suffisante.
Le résultat sur la divergence est bon.
Un bilan dans 4 mois est donc programmé.
Le patient a lors du bilan 6,7 ans, il a été opéré il y a maintenant 6 mois,

L’acuité visuelle avec correction est à 10/10 OD et OG. À l’examen sous écran on retrouve en vision de loin  : HD6 + X12 et en vision de près  : H’D4 + X10.

Une déviométrie est réalisée  :

      HD5 + X10  
HD 10 + X8      HD6 + X10
    HD5 + X10  

À la manœuvre de Bielschowsky on obtient  :

Sur l’épaule droite  : HD16 + X8.
Sur l’épaule gauche  : HD2 + X2.

Au Rétinophoto on observe une excyclotorsion de l’OG.

Discussion
Premièrement, l’occlusion de l’OD

A-t-elle été pertinente et utile ? Au départ de la prise en charge la décompensation était peu présente, au moment de la décision de sa mise en place, l’acuité retrouvée n’était pas réellement fi able et aucun élément flagrant d’une potentielle amblyopie de l’OG n’était présent.

Lors des autres acuités visuelles réalisées, une isoacuité était obtenue à chaque fois.
Une simple surveillance régulière de l’acuité visuelle n’aurait-elle pas été suffisante  ?

Deuxièmement,

En relisant les comptes-rendus de consultations depuis le départ de la prise en charge, on se rend bien compte que le strabisme divergent intermittent a été observé depuis le début.

Le premier avis chirurgical est demandé à environ 4  ans et demi.
L’élément ayant motivé cette demande était principalement la présence d’épisodes de décompensations spontanées.
L’angle retrouvé a été quasiment le même (X30) de cet instant jusqu’à la prise en charge chirurgicale.

Le paramètre, qui par contre a évolué, a été l’augmentation en fréquence et du temps des épisodes de décompensation spontanés. Par ailleurs, le patient a aussi décrit l’impression de «  sentir partir son œil  » (en épisode tropique, l’OD a toujours été l’oeil fixateur).

Troisièmement, la chirurgie

L’œil opéré a été l’OD (décision prise lors de l’examen de la déviation sous AG). L’angle observé sous AG en combinant la déviation de l’OD et de l’OG était d’environ 20/25D. Un recul de 6mm du droit latéral et une plicature de 7mm du droit médial ont été réalisés.

En post-opératoire à 1 mois, l’angle retrouvé est en vision de loin  : X4 + HD5 et en vision de près  : X4 + HD4. Au Lang I, les dessins sont montrés mais pas nommés (montré dès le début de la consultation pour éviter une potentielle dégradation de la stéréoscopie en décompensant l’angle).

Les parents sont satisfaits du résultat, l’angle n’est pas perçu au quotidien et aucune diplopie n’est décrite par le patient.

Concernant l’hypertropie droite, l’hypothèse pour l’instant retenue est qu’elle est possiblement induite par la modification des droits horizontaux.

Au rendez-vous post-opératoire à 3 mois, le résultat est toujours aussi probant pour les parents, le strabisme n’est pas observé au quotidien, aucune diplopie non plus.

On retrouve comme déviation en vision de loin : X10 + HD8 et de près  : X6 + HD6.

Une déviométrie a été tentée mais pas de coopération de la part du patient. Aucune modification franche de la déviation sur l’épaule gauche et droite n’est observée.

Une élévation en adduction de l’OD est par contre bien observée.
L’hypertropie droite reste non symptomatique, la déviométrie n’étant pas réalisable, on ne peut pas conclure à une parésie du IV.
Au post-opératoire à 6 mois, la déviation retrouvée en vision de loin est   : HD6 + X12 et en vision de près  : H’D4 + X10.

Les résultats de la déviométrie ainsi que de la manœuvre de Bielschowsky nous orientent donc vers une très probable parésie de l’oblique supérieur droit révélée suite à la diminution de la composante horizontale du strabisme.

Une IRM de principe est prescrite. Une consultation est programmée dans 6 mois (en juin 2024).
Le résultat au quotidien reste très bon car il n’y a plus de strabisme intermittent observé par les parents ni par l’enfant.
Il est intéressant de noter que l’hypertropie droite avait déjà été observée lors d’un bilan orthoptique fait aux 3,8 ans de l’enfant.

La déviation horizontale étant clairement au premier plan, la prise en charge n’aurait donc, dans tous les cas, pas été modifiée.

Conclusion

La décision de la prise en charge chirurgicale d’un strabisme divergent intermittent relève d’une certaine subjectivité. Comme dit par Mme Trinquet dans un précédent numéro, la limite à partir de laquelle la question de la chirurgie doit être évoquée est de 15D (angle décompensé) même si au final nous ne sommes jamais certains de l’avoir atteint. Au-delà de la valeur de l’angle décompensé retrouvée chez ce patient (qui était pour le coup bien supérieure), le facteur majeur a été ici l’augmentation de la fréquence des épisodes de décompensations spontanés qui l’invalidaient fréquemment. Ce paramètre est difficilement quantifiable et son appréciation se fait plutôt grâce aux retours des parents et du patient. Il est donc très important de bien écouter les informations que nous rapportent les parents et patients sur le «  comportement  » du strabisme divergent intermittent au quotidien.

Valentin VOINEAU
Orthoptiste
Vannes

 

 

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Publié le 1718796462000