Cardiomyopathies avec présentation cardiaque - Expressions phénotypiques cardiaques des laminopathies

Publié le 31 Oct 2023 à 11:48

 

Introduction

Les laminopathies représentent un groupe très hétérogène de pathologies, liées génétiquement par définition à des mutations touchant le gène LMNA, mais dont l’expression phénotypique est extrêmement variable. Au-delà d’une faible prévalence en population générale, elles constituent un ensemble phénotypique complexe, aux complications sévères, et de diagnostic relativement important au vu du jeune âge des sujet atteints. Faisant suite à l’actualisation récente du PNDS (1) concernant les laminopathies avec présentation cardiaque, nous proposons un résumé des points clés principaux à connaître pour une prise en charge adaptée de ces pathologies.

Lhétérogénéité phénotypique

Une laminopathie est une maladie génétique consécutive à une mutation touchant le gène LMNA. Ce gène est situé au niveau du bras long du chromosome 1, de localisation précise 1q21.2-q21.3, codant deux protéines que sont les Lamines A et C. Ces protéines participent à la formation d’une structure nommée « lamina nucléaire », support nucléaire à la fois architectural et fonctionnel (2). Il existe à ce jour plusieurs centaines de mutations identifiées dont la majorité à transmission autosomique dominante.

Un point important à souligner est l’importante hétérogénéité phénotypique(3). En effet, les laminopathies peuvent être classées selon les tissus principalement atteints : les muscles striés cardiaques et squelettiques (dystrophies), les nerfs périphériques (neuropathies périphériques), le tissu adipeux (lipodystrophies) et le tissu cutané (syndromes de dégénérescences cutanés). Ainsi l’on dénomme pour exemple la dystrophie musculaire d’Emery-Dreifuss atteignant principalement les muscles striés, la Maladie de Charcot-Marie-Tooth à l’origine de neuropathies périphériques ou plus rarement le syndrome d’Hutchinson.


Figure SEQ Figure \* ARABIC 1 : Gènes associés aux cardiomyopathies (d’après Grassi et al) (4)

Il doit rester à l’esprit que cette classification réfère à des prédominances, et que l’on observe d’une part des laminopathies à atteintes tissulaires exclusives notamment cardiaques, et d’autre part des laminopathies à atteintes multi-tissulaires (il peut exister pour exemple une atteinte cardiaque dans la Maladie de Charcot-Marie-Tooth). Cette hétérogénéité phénotypique s’exprime parfois au sein d’une même famille partageant une mutation similaire, caractérisant la complexité de prédictibilité phénotypique à partir d’une origine génétique commune.

Parallèlement, en cas d’atteinte cardiaque, l’expression phénotypique reste de même très variable, la forme la plus fréquente étant la cardiomyopathie dilatée (CMD). Certaines laminopathies à atteinte cardiaque se révèlent néanmoins par des formes à types de non compaction ventriculaire gauche ou de cardiomyo-pathies arythmogènes du ventricule droit. De plus, certaines laminopathies sont d’authentiques cardiopathies à cœur échographiquement sain, l’expression phénotypique se résumant au sur-risque arythmo-gène. Cette variabilité phénotypique cardiaque se retrouve d’ailleurs dans de nombreuses autres cardiomyopathies génétiques (4).

Arythmies et troubles conductifs comme principales complications

Il existe trois principales complications, de fréquence et mortalité corrélées (5) :

  • Arythmies et troubles conductifs : La prise en charge rythmologique est au cœur de la prise en charge des laminopathies.

> Les troubles conductifs et rythmiques supra-ventriculaires sont fréquents, en particulier à la découverte de la maladie. Il est utile de les rechercher et devront faire suspecter le diagnostic de laminopathie en particulier chez les sujets jeunes, en contexte familial suspect.

> Parallèlement, les arythmies ventriculaires représentent la principale cause de mortalité. Elles sont plus tardives mais peuvent dans certains cas représenter le mode de découverte de la pathologie.

  • Insuffisance cardiaque : Deuxième cause de mortalité, elle résulte le plus souvent d’une dégradation progressive des fonctions ventriculaires gauches et droites dont la finalité aboutit régulièrement à l’assistance ou greffe cardiaque. La décompensation cardiaque représente le mode diagnostic le plus fréquent.
  • Thrombo-embolique : Souvent méconnu, en partie lié à l’association fréquente d’arythmies pro-thrombogènes, il est à noter que ce risque embolique est la fois artériel et veineux.


Figure SEQ Figure \* ARABIC 2 : Âge médian de survenue des complications.

De la suspicion au diagnostic, une évaluation pré-test globale

Épidémiologiquement, ces pathologies restent rares en population générale mais il est intéressant d’en connaître certains chiffres pour certaines populations spécifiques. 5 à 9 % des CMD sont des laminopathies, ce chiffre passe de 6 à 28 % en cas de troubles conductifs associés. L’âge diagnostic est relativement jeune pour une moyenne se situant autour de 30 ans. Le diagnostic se fait plus précocement chez les hommes, l’expression phénotypique y étant plus précoce.

À l’examen clinique, le diagnostic peut être suspecté chez des adultes jeunes, avec antécédents familiaux, se présentant pour des symptômes d’insuffisance cardiaque ou rythmiques à types de palpitations ou syncope. En cas d’atteinte extracardiaque associée, certains signes peuvent attirer l’attention en particulier des douleurs/déficits musculaires et amyotrophies/rétractions tendineuses dans les dystrophies musculaires ou encore des troubles de la répartition graisseuse et antécédents de pancréatite aiguë/SOPK dans les lipo-dystrophies.

Biologiquement, en cas d’atteinte extracardiaque, peut apparaitre l’élévation de la créatine phosphoki-nase (CPK) en cas dystrophies musculaires ou encore la perturbation du bilan lipidique, hépatique ou glycémique dans les lipodystrophies.

L’électrocardiogramme représente un examen très important, en particulier en contexte de cardiomyopathie dilatée. En effet, l’on y retrouve des anomalies récemment reconnues à types de troubles de la repolarisation en territoire antéro-septal (V1 à V3). Ces anomalies comprennent la présence d’ondes Q, de fragmentation du QRS ou encore la faible progression de l’onde R. Certains auteurs rapportent une sensibilité de 80 % en faveur d’une laminopathie parmi les CMD (6). D’autres signes non spécifiques sont également décrits par l’aplatissement des ondes P, la présence de troubles conductifs en particulier atrio-ventri-culaires ou d’hyperexcitabilité supraventriculaire et ventriculaire.

L’échographie cardiaque demeure le principal outil diagnostic. Les anomalies n’apparaissent pas systématiquement au diagnostic, les premiers signes étant principalement rythmiques et les anomalies échocardiographiques étant plus tardives. Comme dit précédemment, plusieurs expressions phénotypiques peuvent exister, dont l’expression la plus fréquente reste la CMD.

Enfin, un examen de choix en particulier lors d’un bilan de découverte de CMD reste l’IRM cardiaque.

On y décrit un signe spécifique et précoce précédant les anomalies échographiques à type de fibrose septale basale et médiane caractérisée à l’IRM par un rehaussement tardif à l’injection de gadolinium (6).

Le diagnostic final, en cas de probabilité pré-test significative sera apporté par le séquençage du gène LMNA et l’identification d’une mutation pathogène. Ce séquençage peut être unique, notamment dans le cadre du dépistage familial mais faisant généralement partie d’une batterie de gènes présélectionnés dans le cadre du bilan de CMD.


Figures SEQ Figure \* ARABIC 3a et 3b : Signes de fibrose septale à l’ECG et l’IRM cardiaque (d’après Ollila et al) (6).

Prise en charge, les spécificités

Communément, la prise en charge s’articule en premier lieu autour du conseil génétique. Pierre angulaire d’une prise en charge adaptée et multidisciplinaire, la filière cardiogen est un outil indispensable d’information pour le patient et le praticien. En outre, la nécessité d’un dépistage génétique des apparentés 1erdegré doit être transmise, charge au patient de les en informer

Il n’existe malheureusement pas à ce jour de thérapies ciblées permettant d’interférer le processus physiopathologique, de nombreuses études sont néanmoins en cours. La prise en charge se résume par la prévention et prise en charge des complications phénotypiques, en particulier rythmiques :

  • Les troubles conductifs seront traités par l’implantation d’un stimulateur cardiaque selon les mêmes recommandations que dans la population générale. Une spécificité réside dans l’association systématique d’un défibrillateur automatique implantable en cas d’implantation au vu du bénéfice prouvé en lien avec un risque arythmique significativement plus élevé dans cette population.
  • La fibrillation atriale sera anticoagulée au long cours de manière systématique indépendamment du score CHADS-VASC. De plus, on privilégiera autant que possible une stratégie de contrôle du rythme en vue de protéger l’association d’une composante rythmique à l’altération fréquente de la FEVG au cours de l’évolution de la maladie.
  • Les arythmies ventriculaires seront prises en charge en première intention par implantation d’un défibrillateur automatique implantable, et en cas de récidive par anti-arythmique voir par ablation. En prévention primaire, une approche statistique d’estimation du risque rythmique permettra de poser l’indication à l’implantation.

L’algorithme proposé dans les dernières recommandations ESC recommande sa mise en place en cas de risque rythmique ventriculaire fatal à 5 ans ≥ 10 % (https/LMNA-risque-va.fr) associé à la présence d’un critère parmi la survenue de salves de tachycardie ventriculaire non soutenue, l’altération de la fraction d’éjection ventriculaire gauche < 50 % ou la présence d’un bloc auriculo-ventriculaire de type 1 (7).

L’insuffisance cardiaque devra être prise en charge indépendamment du pronostic rythmique selon les recommandations standards, en ayant un recours rapide aux techniques d’assistance ventriculaire. À noter que l’activité physique intensive n’est pas recommandéeen cas d’atteinte cardiaque avérée, accentuant la progression de la cardiopathie et reconnue comme facteur de risque rythmique indépendant.

Un accent final autour du suivi reste à préciser, s’articulant autour des deux objectifs principaux par réévaluations régulières annuelles, dès 10 ans, du risque rythmique et de l’évolutivité de l’insuffisance cardiaque. À titre systématique devront être réalisés selon les recommandations d’expert un contrôle biologique, un ECG, un Holter-ECG, une Épreuve d’effort ainsi qu’une ETT. De manières plus espacées, une IRM cardiaquedevra être proposée tous les 2 à 5 ans, ce dernier examen ayant une place importante dans l’estimation du risque rythmique par la réalisation de scores de fibrose.


Figure 5 : Recommandation ESC 2022 concernant le diagnostic et la prévention rythmique primaire des laminopathies à atteinte cardiaque.

Les points clés concernant les laminopathies avec présentation cardiaque

  • Maladie génétique la plus fréquemment autosmique dominante.
  • Grande diversité phénotypique, parfois au sein d’une même famille.
  • Le risque principal est rythmique par survenue d’arythmies ventriculaires soutenues.
  • La cardiomyopathie dilatée reste le mode de présentation le plus fréquent.
  • Les anomalies ECG et IRM en lien avec une fibrose septale sont d’importants arguments diagnostiques, en particulier en cas de CMD.
  • La prise en charge s’articule essentiellement autour de la prévention des complications rythmiques.
  • Suivi rythmé par deux objectifs, la réévaluation régulière du risque rythmique et de l’évolutivité de l’insuffisance cardiaque.

Références

  • Haute Autorité de Santé. Laminopathies avec présentation cardiaque. Saint-Denis La Plaine : HAS.
  • Fatkin D, MacRae C, Sasaki T, Wolff MR, Porcu M, Frenneaux M, et al. Missense Mutations in the Rod Domain of the Lamin A/C Gene as Causes of Dilated Cardiomyopathy and Conduction-System Disease. N Engl J Med. 2 déc 1999;341(23):1715‑24.
  • Captur G, Arbustini E, Bonne G, Syrris P, Mills K, Wahbi K, et al. Lamin and the heart. Heart. mars 2018;104(6):468‑79.
  • Grassi S, Campuzano O, Coll M, Cazzato F, Sarquella-Brugada G, Rossi R, et al. Update on the Diagnostic Pitfalls of Autopsy and Post-Mortem Genetic Testing in Cardiomyopathies. Int J Mol Sci. 16 avr 2021;22(8):4124.
  • Kumar S, Baldinger SH, Gandjbakhch E, Maury P, Sellal JM, Androulakis AFA, et al. Long-Term Arrhythmic and Nonarrhythmic Outcomes of Lamin A/C Mutation Carriers. J Am Coll Cardiol. nov 2016;68(21):2299‑307.
  • Haas J, Frese KS, Peil B, Kloos W, Keller A, Nietsch R, et al. Atlas of the clinical genetics of human dilated cardiomyopathy. Eur Heart J. 7 mai 2015;36(18):1123‑35.
  • Zeppenfeld K, Tfelt-Hansen J, de Riva M, Winkel BG, Behr ER, Blom NA, et al. 2022 ESC Guidelines for the management of patients with ventricular arrhythmias and the prevention of sudden cardiac death. Eur Heart J. 21 oct 2022;43(40):3997‑4126.
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    Théo MÉRAL
    Interne de Cardiologie
    CHU de Rouen
    Auteurs


    Dr Arnaud SAVOURÉ
    Praticien Hospitalier
    CHU de Rouen.
    Relecteur

    Article paru dans la revue « Le magazine des jeunes cardiologues - Collège des Cardiologues en Formation » / CCF N° 19

     

     

     

     

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