Brigitte GODARD Médecin Aérospatial

Publié le 13 May 2022 à 15:09


Brigitte Godard, qui fut le médecin de Thomas Pesquet pendant sa dernière mission à l’ISS, est l’un des rares médecins français à être spécialisé en aérospatiale. A la veille de son départ pour le Centre Européen des Astronautes à Cologne, elle répond avec une énergie débordante aux questions de l’ISNI entre deux cartons de déménagement.


Dr Brigitte Godard
Médecin spécialisé en aérospatiale

ISNI- Vous avez déjà travaillé au Centre Européen des astronautes entre 2011 et 2017. Pourquoi en être partie ?
Dr. Brigitte Godard.- Pendant ces années, j’étais à 100 %. J’ai enchaîné trois missions de longues durées dont une avec Thomas Pesquet. Mes collègues me disent encore que c’est moi qui détient le record du nombre de missions sur une si courte durée en tant que médecin aérospatial. Une période passionnante mais aussi épuisante. J’étais le médecin en prime, c’est-à-dire assignée au suivi de l’astronaute et j’ai été peu secondée. Dans les faits, quand Thomas Pesquet effectua sa mission de six mois dans l’ISS, ce fut 6 mois où j’étais connectée 24h/24 à mon téléphone portable, je le prenais pour aller dormir, je le prenais pour aller aux toilettes. J’étais joignable tout le temps, à tout moment. Après cette mission, j’ai dit « STOP ». J’avais besoin de prendre un peu de recul.

ISNI- Aviez-vous suivi Thomas Pesquet en amont, avant son départ ?
Dr B.G.- Oui je l’ai suivi pendant les deux années d’entraînement qui ont précédé le vol. C’est une période essentielle où j’ai appris à connaître l’astronaute, ses points forts, ses faiblesses et ses limites. Je pense qu’en médecine aérospatiale c’est primordial d’avoir une vision sur tous les « corps » : tant le corps physique qu’énergétique qu’émotionnel ou spirituel.

ISNI- Le suivi des astronautes comporte trois phases : la préparation, le vol (dont le décollage et le landing) et le retour. Quelle était votre phase préférée ?
Dr B.G.- Quand les landings étaient encore aux États-Unis, c’est ce que je préférais même si c’est une phase très délicate. Nous avions alors du temps pour échanger avec l’astronaute, sa famille et les scientifiques. Sinon, le temps de vol est aussi très intéressant où notre exercice relève de la télémédecine avec 15 minutes de vidéoconférence par semaine, via le canal de la NASA qui connecte la Terre à l’ISS. En général, il n’y avait pas de conférence supplémentaire. L’astronaute préfère échanger par mail plutôt que d’avoir une conférence de plus… qui dans ce cas présagerait un problème médical. La phase que j’aime le moins est le prévol car les astronautes sont à un niveau de stress maximum et nous aussi.

ISNI- Qu’avez-vous fait pendant ces deux années en France ?
Dr B.G.- J’ai retrouvé la clinique spatiale du MEDES où j’avais fait mes débuts en recherche aérospatiale dès 2005. Mais en mars 2019, j’ai démissionné car je voulais me reconnecter à la médecine générale après toutes ces années de recherche. J’ai souhaité, tout simplement, faire des remplacements en centre de réadaptation et clinique privée. Finalement, ce ne fut pas aussi simple que je le pensais à cause de mon statut de chercheuse. Je suis alors repartie en mission pour le MEDES en Inde pour former des médecins militaires à la médecine aérospatiale pendant trois semaines. C’était une expérience enrichissante des deux côtés. A mon retour, en septembre 2019, un poste s’ouvrait en médecine préventive à l’université de médecine.

ISNI- Pourquoi retourner en Allemagne ?
Dr B.G.- Je dois l’avouer, l’espace me manque, l’activité intense aussi. J’ai toujours besoin d’avoir plusieurs projets à mener de front, de nouveaux challenges, tant sur le plan professionnel que personnel d’ailleurs. J’avais postulé pour un poste de médecin des astronautes pour l’Agence spatiale italienne l’été dernier et l’agence italienne m’a recontactée en fin d’année 2019 pour occuper ce poste le plus rapidement possible.

ISNI- Petit retour en arrière sur votre internat en médecine générale avec une spé en biologie médicale. Si c’était à refaire quelle spé choisiriez-vous ?
Dr. B.G.- La même. La biologie médicale est vraiment transversale avec un aspect recherche qui me plaisait déjà beaucoup. J’ai complété ma formation par un DEA dans le laboratoire de Perception de la physiologie et de la perception de l’action du Pr Berthoz à Paris avant d’obtenir la Capacité de Médecine Aérospatiale (lire encadré).

ISNI- Si un étudiant, a comme vous, la tête dans les étoiles, quelle spé lui conseillerez-vous ?
Dr B.G.- Je dirais la médecine du sport, mais un psychiatre ou une chirurgien-dentiste sont aussi des compétences recherchées. Il est nécessaire de bien connaître l’environnement spatial et ses caractéristiques pour pouvoir comprendre les changements observés sur le corps humain. L’astronomie a d’ailleurs été ma première passion. 

ISNI- Quel est l’avenir de la conquête aérospatiale à court et à moyen terme selon vous ?
Dr B.G.- A court terme, nous allons rester sur des missions dans l’ISS pour la « rentabiliser ». A moyen terme, l’objectif est - déjà - la lune comme base pour d’autres conquêtes. Je dirai qu’à long terme, le but, et cela a finalement toujours été le cas, est de rencontrer la vie ailleurs.

ISNI- Si les femmes sont aujourd’hui majoritaires dans le cursus de médecine, les postes à responsabilité comme les PUPH sont encore largement masculins. Est-ce si difficile de se frayer un chemin dans les plus hautes sphères ?
Dr B.G.- Oui, il faut tout le temps batailler, tout le temps faire ses preuves, et ce dans tous les domaines. Regardez les astronautes ! Ce sont à large majorité des hommes. En France, Claudie Haigneré, première française astronaute, s’est distinguée. En Allemagne, j’ai tout de même pu remarquer que beaucoup d’ingénieurs en aérospatiales étaient des femmes grâce à leur politique volontariste qui facilite l’accès aux postes à responsabilité à mi-temps.

Propos recueillis par Vanessa Pageot

LA CAPACITÉ DE MÉDECINE AÉROSPATIALE
Elle est obligatoire pour les médecins qui pratiquent les examens médicaux du personnel navigant professionnel dans des Centres d’Expertise médicale, ou aux praticiens indépendants qui pratiquent les examens médicaux du personnel navigant non professionnel (pilotes privés).
La formation en physiologie et médecine aéronautique et spatiale est très complète afin de connaître :
• Les réactions de l’organisme aux contraintes de ce milieu : diminution de la pression barométrique en altitude, accélérations, vibrations, microgravité, désorientation spatiale, contrainte thermique, etc.
• Les moyens de protection : systèmes d’inhalation d’oxygène, équipements stratosphériques et spatiaux, cabines pressurisées et étanches, dénitrogénation, vêtement anti-g, vêtements d’immersion, etc.
• Les conséquences de ces contraintes sur les pathologies préexistantes dans toutes les spécialités : cardio-vasculaire, respiratoire, endocrinologique, rénales, digestif, neurologique, psychologique, gynécologique, urologique, dermatologique, orthopédique, ORL, ophtalmologique,
• La connaissance générale du milieu de l’aéronautique et de l’espace.

Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°25

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