Bisphosphonates

Publié le 18 May 2022 à 17:52


POURQUOI S’EN PRIVER ?

Introduction

Les bisphosphonates sont une famille de molécules développées depuis les années 1970.

Leur essor a permis de traiter efficacement un certain nombre de pathologies osseuses constitutionnelles comme acquises (ostéogenèses imparfaites, maladie de Paget, métastases osseuses, hypercalcémies malignes…). Ils sont le traitement de référence et de première intention de la plus fréquente des pathologies osseuses bénignes de l’adulte : l’ostéoporose.

Cependant, que ce soit auprès des médecins, dentistes et pharmaciens, ils ne semblent pas bénéficier d’une bonne presse, tant l’accent est volontiers mis sur leurs complications plutôt que sur leurs bénéfices. Il semble donc primordial de savoir chez quel profil de patient il faudra être le plus attentif aux complications.

Quelques repères préalables concernant cette pathologie bénigne et souvent gériatrique.

En France on dénombre 74 000 fractures de l’extrémité proximale du fémur chaque année, celles-ci sont grevées d’une importante mortalité à un an : 30 % chez l’homme et 20 % chez la femme. Cette mortalité est proportionnelle à l’âge et aux comorbidités. En comparaison, on compte environ 80 000 infarctus myocardiques par an en France avec une mortalité annuelle estimée entre 15 et 20 %. Toutefois, les données de la caisse d’Assurance maladie nous révèlent qu’à un an d’une fracture du col fémoral où un traitement est indiqué dans tous les cas, seulement 10 à 15 % des patients ont effectivement reçu un traitement pour l’os (supplémentation vitamino-calcique comprise). Cette tendance à la baisse des prescriptions est partagée dans le monde. En France, on peut conjecturer qu’elle soit liée à une moindre information ou un moindre intérêt du fait de molécules peu promues car souvent anciennes, d’un intérêt mal perçu contrairement aux pathologies cardiaques (« l’os guérit tout seul »), de la disparition progressive de la rhumatologie de ville et bien d’autres paramètres encore. Ainsi cet article vise à guider vers une prescription éclairée.

Nous développons notre propos de la manière suivante : tout d’abord en survolant les mécanismes d’action de ces produits, leurs effets désirés et indésirables. A ceci s’ajoutera quelques exemples des principales situations de prescription.

Généralités

On rencontre au cours des années les termes diphosphonate, biphosphonate puis bisphosphonate, tous synonymes. Cette catégorie de médicaments correspond aux analogues du pyrophosphate de calcium. Ce pyrophosphate est la principale forme de stockage du calcium et du phosphate de l’os sous forme minérale. Lorsque l’on compare l’aspect des deux molécules (figure 1), on constate la substitution de l’atome d’oxygène par une liaison carbone – phosphore conférant à la molécule une plus grande stabilité et une plus grande résistance à l’acidification enzymatique (pyrophosphatases). Cet atome de carbone permet deux nouvelles liaisons covalentes à des radicaux nommés R1 et R2. Le radical R1 a pour propriété pharmacologique d’avoir une importante affinité pour le tissu osseux. Il est en quelque sorte le crochet du médicament sur l’os en résorption. Vient ensuite le radical R2 qui est celui qui a le plus évolué au cours du développement de cette classe médicamenteuse. R2 correspond au potentiel anti-résorptif du produit, soit à la puissance du bisphosphonate.

Les premiers biphosphonates sont des non-aminobisphosphonates. Ils comprennent l’Etidronate (ETI), le Clodronate (CLO, dont l’autorisation de mise sur le marché est uniquement oncologique) et le Tiludronate (TIL, autorisé dans le Paget osseux uniquement). Sont ensuite apparus les amino-bisphosphonates : Pamidronate (PAM), Alendronate (ALN) et Ibandronate (IBN), dont la puissance supérieure est cette fois liée à la présence d’un atome d’azote. Enfin c’est la cyclisation de l’azote du radical R2 qui a permis de développer les molécules actuellement les plus puissantes, à savoir les bisphosphonates cycliques : Risédronate (RSN) et Zolédronate (ZOL). Les radicaux et leur puissance relative sont exposés dans le tableau 1.

Une caractéristique commune à ces médicaments est l’affinité pour l’os, en particulier trabéculaire dont le remodelage est plus important et surtout sur l’os en résorption puisqu’il peut se fixer en compétition avec le pyrophosphate. Cette propriété est importante puisqu’en restant ensuite quiescent dans l’os minéralisé, on peut expliquer :

  • Qu’il ne faut pas attendre un effet immédiat sur le gain en masse osseuse.
  • Son effet rémanent par l’accumulation du produit dans l’os, c’est-à-dire, la possibilité d’avoir encore un effet thérapeutique à distance de la prise une fois l’imprégnation suffisante.

Toutes les molécules ne partagent cependant pas ces propriétés avec la même durée.


Figure 1. Comparaison des structures du pyrophosphate et des bisphosphonates

Tableau 1. Comparaison des radicaux et des puissances relatives des différents bisphosphonates

BP : bisphosphonates, po : per os, IV : intra-veineuse les abréviations des molécules sont précisées dans le texte

Pharmacologie

Propriétés communes
La demi-vie des bisphosphonates est courte. La biodisponibilité orale des bisphosphonates est très faible, de l’ordre de 1 à 3 % de la dose ingérée. Elle est réduite par la proximité d’un repas, la présence de sels calciques ou tout autre chélateur alimentaire (jus d’orange, café, lait…). La fraction captée correspond à la moitié de la fraction absorbée. Le reste est excrété intact dans les urines. Il n’y a pas de dégradation chimique ou enzymatique. Il n’y a pas d’effet cumulatif (à ne pas confondre avec la notion de l’accumulation osseuse des bisphosphonates).

Mode d’action des bisphosphonates
On distingue trois échelles caractérisant l’action des bisphosphonates. 

L’échelle moléculaire
Pour les non-amino-bisphosphonates (ETI, CLO, TIL) : leur effet est lié au fait qu’ils puissent s’intégrer à l’ATP devenant ainsi des analogues non hydrolysables, ils enclenchent une voie d’apoptose par la caspase 3. Quant aux amino-bisphosphonates, leur action serait préférentiellement liée à une action sur un précurseur du cholestérol, dans la voie du mévalonate, en inhibant la farnésyl di-phosphate-synthétase. Cette inhibition bloque l’incorporation du mévalonate et donc la prénylation des GTPases telles que Ras, Rho, Rac et Rab. Ceci entraîne une altération du cytosquelette et de la bordure en brosse, aboutissant à l’apoptose par la voie de la caspase 3.

L’échelle cellulaire
On retrouve de nombreux mécanismes impliqués. Les bisphosphonates ont un effet direct sur les précurseurs ostéoclastiques et limitent leur recrutement. Sur les ostéoclastes, ils inhibent l’adhésion cellulaire à la matrice en perturbant l’anneau d’actine qui permet l’ancrage ostéclastique et la formation de la lacune de Howship. On constate une diminution de la durée de vie des ostéoclastes, une inhibition de l’activité des ostéoclastes matures mais sans diminution du nombre d’ostéoclastes formés. Pour finir, un autre effet important est l’augmentation de l’enzyme TACE (Tumor Necrosis Factor α Converting Enzyme) qui permet ainsi l’augmentation de l’ostéoprotégérine et la diminution du RANK-ligand membranaire. Ceci correspond à augmenter l’inhibiteur d’activation de l’ostéoclaste et à diminuer son activateur.

L’échelle tissulaire
Elle correspond à l’inhibition du remodelage osseux (cycle permanent de formation et de résorption osseuse) par inhibition de la résorption. On constate une diminution de la profondeur des lacunes de résorption. La résorption et la formation se font sans diminution de l’activité ostéoblastique mais par diminution du nombre d’unités de remodelage recrutées par cycle. Il n’y a pas de modification de la quantité d’os formée par unité de remodelage. L’os nouvellement formé à une probabilité moindre d’être immédiatement remodelé et a donc davantage de temps pour se minéraliser et donc acquérir une structure adaptée, résistante sans être cassante.

Conditions de prise
Les conditions de prise pour la prise orale permettent d’éviter l’inefficacité ainsi que des situations à risque. Ainsi peut-on mentionner sur l’ordonnance d’un bisphosphonate oral (figure 2) à prendre le matin à jeun (afin de limiter la chélation) avec un grand verre d’eau du robinet (peu minéralisée donc limitant là encore le risque d’inefficacité), à jour fixe (lors de prises hebdomadaires pour limiter les oublis), sans se recoucher dans les trente minutes pour le risque d’oesophagite. Sans oublier de renouveler le traitement de manière régulière. En cas de fracture, il existe un risque non négligeable de perdre le patient de vue. En effet, le temps pris par les préalables retarde souvent la mise sous traitement : bilan pré-thérapeutique (cf. ostéonécrose pour le suivi dentaire), bilan à la recherche d’une ostéopathie fragilisante, mesure de densité minérale osseuse... Par ailleurs la réplétion vitaminique D est nécessaire avant toute mise sous bisphosphonate, le dosage de 25(OH)-vitamine D est pertinent et remboursé et la supplémentation adaptée (1). La nécessité d’un traitement d’attaque peut donc retarder le démarrage du traitement et faire perdre le patient de vue


Figure 2. Ordonnance type pour la prescription d’un bisphosphonate oral

Principaux effets secondaires
Nous rappelons les principales complications : hypocalcémie, fractures atypiques, ostéonécrose de mâchoire. Leurs incidences sont très faibles. On discutera aussi des limitations liées à l’insuffisance rénale.

A ces effets redoutés, s’adjoignent des réactions bénignes et plus fréquentes. Pour les bisphosphonates administrés par voie injectable, on retrouve surtout : la fièvre et les syndromes pseudo-grippaux, des douleurs et de rares réactions au site d’injection. La plupart sont prévenues avec une administration systématique de Paracétamol. Le cas de l’oesophagite dans la prise orale de bisphosphonate peut être prévenu par le respect des consignes obligeant à ne pas se recoucher durant les trente minutes suivant la prise du traitement.

L’utilisation des bisphosphonates dans l’hypercalcémie maligne fait qu’il va de soi de vérifier l’absence d’hypocalcémie avant leur prescription. Son incidence est plus élevée par voie injectable, de l’ordre de 3,2 % chez l’adulte ayant reçu du Pamidronate.

On retrouve ensuite les fractures atypiques comme la fracture de diaphyse fémorale atraumatique par exemple, qui sont une complication rare et redoutée. Cependant toutes les fractures sous-trochantériennes survenant sous traitement ne sont pas atypiques. L’incidence des fractures atypiques du fémur est estimée entre 3 et 50 pour 100 000 patients par année de traitement. Elle est plus importante si l’exposition au médicament est prolongée. Leur diagnostic est dépendant souvent de l’imagerie scintigraphique ou IRM. Afin de vérifier l’imputabilité des fractures fémorales atypiques aux médicaments, des critères ont été décrits par un groupe d’experts américains, dont au moins quatre des cinq majeurs sont nécessaires pour définir l’imputabilité (2). Une fois la présomption renforcée, l’arrêt des bisphosphonates est préconisé, le rééquilibre vitamino- calcique et le traitement orthopédique ou chirurgical lorsqu’indiqué. Certains travaux suggéreraient une pertinence du Tériparatide pour améliorer la consolidation précoce.

Focus sur l’ostéonécrose de la mâchoire
Je souhaiterais rassurer le gériatre prescripteur avec un message clair concernant cette complication. Comme il a été rappelé dans l’introduction, la fracture du col fémoral est fréquente, grave, mortelle et le traitement de l’ostéoporose qui lui est associée est insuffisamment prescrit malgré des outils connus et efficaces.

Ainsi, il semble important de distinguer d’emblée deux types de population : celle où l’indication se fait sur un os pathologique (métastase, hypercalcémie, myélome …) et celle ou l’indication relève de l’ostéopathie bénigne (ostéoporoses…). Dans cette dernière indication, la balance est le plus souvent en faveur de la prescription des inhibiteurs de la résorption. Ainsi freiner à l’excès par crainte de l’ostéonécrose risque de faire perdre de vue ces patients et donc d’impacter possiblement leur survie.

Toutefois, l’ostéonécrose de la mâchoire est une complication grave (Figure 3), bien que le risque d’ostéonécrose soit très faible en cas d’ostéopathie bénigne. Le maxillaire inférieur (mandibule) est plus concerné que le supérieur. Les facteurs de risque d’ostéonécrose de mâchoire à rechercher sont donc l’exposition préalable à des bisphosphonates, les facteurs influençant les soins dentaires (tabagisme, diabète, corticothérapie) et les actes dentaires exposant l’os (avulsions en particulier).

L’incidence de l’ostéonécrose de mâchoire varie en fonction de plusieurs paramètres : du type de bisphosphonates (plus importante chez les amino- bisphosphonates), de la voie d’administration (plus importante par voie veineuse bien que ce soit surtout vrai dans les doses indiquées pour les ostéopathies malignes), la dose cumulée (plus importante dans les indications malignes) et son corollaire, la durée de traitement avec une incidence qui augmente considérablement au-delà de cinq ans.

Ainsi, la fréquence est estimée entre 0,001 à 0,01 pour cent par voie orale et de 0,01 à 0,1 % par voie veineuse (3). L’incidence est de 2,5 pour 10 000 patients-années dans une étude sur 60 000 sujets traités par Alendronate durant 7 ans en moyenne, là où elle est à 1,13 chez les ostéoporotiques non traitées (4).

Dans le cas de la pathologie bénigne, il est préconisé que tous les soins dentaires soient réalisés comme en population générale. Il faut bien-sûr informer le patient (et son dentiste), s’assurer de sa compréhension et de son état dentaire avant la mise sous traitement. Un mauvais état dentaire est un facteur de risque d’ostéonécrose comme les extractions, car ils favorisent l’exposition osseuse. D’où l’importance d’un bilan préalable pour s’assurer de soins rapides avant la mise sous traitement.

Ceci correspond aux recommandations de la société française de stomatologie, chirurgie maxillo-faciale et chirurgie orale de 2013. Ainsi, faut-il s’assurer d’un suivi dentaire, de l’absence de symptômes d’origine dentaire et de l’absence de soins programmés. Si besoin, ces soins peuvent être réalisés simultanément à la prise d’anti-résorptifs lorsque ces derniers doivent être instaurés rapidement selon l’indication, en tenant compte des précautions ci-dessus pour s’assurer d’un traitement optimisé.

Enfin, concernant l’insuffisance rénale. Aucune autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les bisphosphonates n’a été octroyée lorsque le débit de filtration glomérulaire est estimé en deçà de 30 mL/min du fait de différents travaux (études animales et pivots humaines) (5). Il a été par exemple rapporté que l’utilisation des bisphosphonates dans l’insuffisance rénale peut paradoxalement augmenter le risque de fracture en augmentant les paramètres de minéralisation sans augmenter le volume osseux (6).

Le rein excrète les bisphosphonates dans les heures suivant leur ingestion, par filtration glomérulaire passive ou par voie tubulaire proximale (7). Plus le débit de filtration glomérulaire décroît, plus l’accumulation du médicament s’intensifie avec une néphrotoxicité vérifiée dans les injections rapides de Zolédronate comme de Pamidronate (8–10), ce qui permet de justifier une diminution du débit de perfusion (11). Cependant l’utilisation des bisphosphonates oraux comme le Risédronate 5 mg semble sûre pour le rein et efficace sur la densité minérale osseuse (12), il a de plus été testé chez le sujet âgé (13). Sans rentrer dans les détails des pathologies osseuses liées à l’insuffisance rénale chronique (CKD-MBD ou Chronic Kidney Disease – Mineral Bone Disorders) parmi lesquelles figurent les ostéodystrophies rénales, il semble intéressant de se souvenir que lorsque le niveau de remodelage est vérifié histologiquement, on peut identifier un os dit adynamique, à bas niveau de remodelage. On comprend alors l’inutilité des inhibiteurs de la résorption dans cette indication. Ces explorations ne relevant pas de la routine clinique, on considère qu’il faut chez le sujet âgé vérifier la fonction rénale préalablement et s’en tenir aux recommandations des sociétés internationales : le CKD-MBD doit être traité jusqu’au stade III comme une ostéoporose tant que les analyses sanguines sont normales (14). La perte osseuse est souvent plus marquée au poignet dans cette population (15). Au-delà du stade 3, si un traitement est discuté, il faudra en référer à des centres experts.

Certaines séries rapportant des fibrillations auriculaires, il est pertinent de réaliser un électrocardiogramme avant toute administration intra-veineuse de bisphosphonates.

Quelques limites en gériatrie
Ces médicaments sont donc souvent indiqués dans la population gériatrique et nous avons vu les principales limitations en population générale. A celles-ci s’ajoutent les questionnements pratiques de la gériatrie. Le tableau 2 rappelle que les principaux bisphosphonates peuvent être efficaces dès une année de traitement. Ainsi il n’y a pas de raison de se limiter spécifiquement du fait de l’âge des patients ayant une espérance de vie de plus d’un an. Pour avoir une idée de l’espérance de vie résiduelle des patients, le tableau 3 nous rappelle par sexe et par âge l’espérance de vie résiduelle en France. Ainsi, une patiente peu comorbide de 90 ans ayant une fracture vertébrale peut bénéficier d’un traitement en l’absence de contre-indication.

Les recommandations françaises actuelles incitent chez le sujet âgé à préférer les traitements parentéraux dans l’ostéoporose en cas d’âge supérieur à 80 ans, de troubles cognitifs, de fracture sur site majeur (col fémoral, fractures vertébrales, bassin, têtes humérales) ou de T-score inférieur à -3.

Ces médicaments étant bien tolérés et administrés de manière peu fréquente, il s’agira davantage d’un problème de contre-indication et de traçabilité pour le suivi des prises chez les sujets très âgés. Le Zolédronate n’est pas réalisé sur un hôpital de jour du fait de sa rapide administration. Il est donc réalisable par un infirmier sur le lieu de vie, comme en EHPAD par exemple.

Cependant cela ne dispense pas de questionnement éthique dans une analyse individualisée car bien que le rationnel scientifique soit fort, le retentissement clinique de ces médicaments demeure faiblement visible. Il semble alors pertinent de convier à la discussion avec le gériatre, un spécialiste de la question osseuse.


Tableau 2. Efficacité à un an des principaux Bisphosphonates


Tableau 3. Espérance de vie résiduelle après 75 ans en France en années (données INSEE 2012-2014)

Tableau obtenu d’après les données issues de aBlack DM et al, J Clin Endocrinol Metab 2000 Nov;85511):4118-24 bRoux C et al, Curr Med Res Opin 2004 Apr;20(4):433-9 cBoonen S et al, J Am Geriatr Soc 2004 Nov;52(11):1832-9 dBlack DM et al, N Engl J Med 2007 May 3;356(18):1809-22

Principaux médicaments de l’ostéoporose post-ménopausique

Ci-dessous sont rappelés les principaux médicaments utilisés en France. Leur AMM a été conférée principalement grâce à des données d’amélioration du risque de fracture (vertébrale ou non) et d’amélioration de la densité minérale osseuse. 

L’Alendronate
L’Alendronate est un amino-bisphosphonates dont la galénique orale existe sous trois dosages, dont deux d’efficacité équivalente : 10 mg pour la prise quotidienne et 70 mg pour la prise hebdomadaire. Enfin le dosage de 5 mg n’est indiqué qu’en prévention, les autres en traitement de l’ostéoporose post-ménopausique. Le dosage à 70 mg existe en association avec de la vitamine D.

L’Alendronate prévient la perte osseuse post-ménopausique à l’extrémité supérieure du fémur comme au rachis. Chez les femmes ostéoporotiques (âge moyen 70 ans), il réduit l’incidence de fractures vertébrales cliniques et des fractures non-vertébrales, surtout en cas de fracture vertébrale préexistante. Cet effet a été démontré à 4 ans. L’étude pivot FIT comprenait des femmes de plus 80 ans.

Le Risédronate
Le Risédronate est indiqué dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique. Il existe en comprimés soit à la dose de 5 mg par jour, de 35 mg par semaine, ou de 75 mg par jour durant deux jours consécutifs dans le mois.

Il a été étudié initialement pour une durée de cinq années. Il augmente là encore la densité osseuse au rachis et à l’extrémité supérieure de fémur et diminue l’incidence des fractures vertébrales et non vertébrales chez celles ayant déjà une fracture vertébrale. Il est aussi efficace dans la prévention de la fracture du col fémoral en cas d’ostéoporose dentisométrique fémorale (T-score inférieur ou égal à -2,5) chez des femmes de 70 à 79 ans et il réduit le risque de fracture vertébrale chez les femmes de plus de 80 ans ostéoporotiques. Sa principale étude pivot est VERT.

Le Zolédronate
L’acide zolédronique existe sous deux dosages : 4 mg sous le nom commercial ZOMETA® et 5 mg sous le nom commercial ACLASTA®. Le premier est indiqué dans la pathologie maligne alors que le second l’est dans la pathologie osseuse bénigne. Ce dernier est administré durant quinze minutes de manière annuelle par voie veineuse.

Il est indiqué dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique chez les patients à risque élevé de fracture. Il augmente significativement la densité osseuse aux deux sites à 3 ans. Il réduit le risque de fractures vertébrales et non vertébrales sur trois ans, indépendamment de la densité osseuse et du nombre de fractures préexistantes. Il doit être privilégié en cas de fracture de l’extrémité proximale du fémur. Son étude pivot est HORIZON.

Exemples d’indications des bisphosphonates hors ostéoporose post-ménopausique
Il nous a paru pertinent, sans but d’exhaustivité, dans cette revue de mettre en évidence que ces médicaments sont aussi utiles dans d’autres cas que la seule ostéoporose post-ménopausique. Certaines situations sont assez communes en gériatrie, d’autres plus rares mais peuvent être intéressantes du fait de l’effet rémanent de ces médicaments faisant qu’une indication précoce peut impacter nos sujets plus âgés.

Bisphosphonates et pathologie maligne
Les bisphosphonates sont utilisés dans le traitement des métastases osseuses en raison de leur effet anti-ostéoclastique. Les cancers hormonodépendants comme le sein et la prostate sont ceux chez qui ils sont le plus utilisés.

Cancer du sein
Les bisphosphonates retardent le délai d’apparition d’événements osseux et certains diminuent les douleurs osseuses et améliorent la qualité de vie. Bien que quatre bisphosphonates aient été testés dans cette indication, on retiendra les deux plus utilisés sous nos latitudes que sont le Pamidronate et le Zolédronate. Dans une méta-analyse (16), il a été montré une réduction du risque d’événement osseux de 14 % (RR 0,86 [0,78 ;0,95]). Le Pamidronate à 90 mg le réduit de 22 % (RR 0,78 [0,69 ;0,98]), là où le Zolédronate à 4 mg réduit de 41 % (RR 0,59 [0,43 ;0,82]). La différence de réduction entre ces deux produits est significative.

Les sociétés d’oncologie américaines recommandent l’utilisation d’un inhibiteur de la résorption chez les patients atteints de cancers du sein métastatiques à l’os, même asymptomatiques. Concernant les bisphosphonates il s’agit soit du Pamidronate 90 mg sur 2 heures ou Zolédronate 4 mg sur quinze minutes, toutes les trois à quatre semaines ou toutes les douze semaines (17).

En dehors des métastases osseuses, dans une population de femmes atteintes de cancer du sein sous traitement hormonal, le Zolédronate en prévention montrait une amélioration de la survie sans événements. En revanche, le statut hormonal ne semble pas être primordial (18). 

Cancer de prostate
Le taux d’événements osseux est diminué, l’apparition du premier événement osseux est retardé lors de la prise de Zolédronate 4 mg toutes les trois semaines pendant deux ans. Des résultats confirmés par une méta-analyse en 2006 que la même équipe ne semble cependant pas retrouver quelques années plus tard (19). La prévention de l’ostéonécrose de mâchoire est dans cette indication une priorité.

Myélome multiple
Dans cette indication, les bisphosphonates ont montré un intérêt dans la diminution de la douleur, des fractures vertébrales et autres événements squelettiques, que ce soit le Pamidronate 90 mg ou Zolédronate 4 mg (8 mg n’ayant pas été supporté pour des raisons rénales) toutes les quatre semaines. Le risque de décès semble même amélioré chez ceux recevant du Zolédronate contre ceux recevant du Pamidronate lors d’un suivi médian de 26,9 mois (20). Initialement prescrits chez ceux présentant des lésions lytiques, la société américaine d’oncologie préconise depuis 2018 de les prescrire dès la nécessité d’une chimiothérapie. Ils préfèrent aussi l’utilisation du Zolédronate en cas d’hypercalcémie maligne. La surveillance de la fonction rénale doit être particulièrement accrue dans le myélome.

Les ostéoporoses non-ménopausiques
Ostéoporose cortisonique
Pour mémoire, un traitement est indiqué en cas de corticothérapie chez tout patient de 70 ans ou plus, ou avec une dose d’équivalent prednisone supérieure à 7,5 mg /kg/jour, ou un T-score < -2,5, ou une fracture de fragilité.

L’Alendronate a montré dans cette indication une augmentation de la densité au rachis dépendant de la durée de la corticothérapie (plus modeste si durée prolongée) mais aussi au fémur. Il ne réduirait le nombre de fractures que modestement.

Le Risédronate a montré une amélioration de la densité osseuse aux deux sites de mesure ainsi qu’une réduction du risque de fracture vertébrale. Il prévient significativement la perte osseuse lombaire et diminue l’incidence des fractures.

Le Zolédronate a aussi montré des modifications de densité osseuse. Comparé au Risédronate il semble avoir un effet supérieur à ce dernier en particulier au rachis lombaire et surtout chez les femmes, qui plus est ménopausées.

Ostéoporose masculine
De récentes recommandations françaises se sont saisies des ostéoporoses masculines, souvent secondaires (alcool, corticothérapie, maladies inflammatoires, hyperthyroïdies…). Bien que l’Alendronate 10 mg et le Risédronate 5 mg soient les seuls ayant l’AMM, les études portent sur le Risédronate 35 mg et le Zolédronate 5 mg. L’administration de Zolédronate durant deux ans permet de réduire le risque de fracture vertébrale ainsi que la mortalité chez les hommes âgés ayant des antécédents de fracture du col fémoral (21).

Autres pathologies où les bisphosphonates ont montré un intérêt
Voici une liste non exhaustive des pathologies dans lesquelles les bisphosphonates ont pu être étudiés chez l’enfant ou l’adulte :

  • Maladie de Paget osseuse.
  • Ostéoporoses associées à :
  • Des maladies inflammatoires chroniques (Lupus systémique, dermatomyosites…) ;
  • L’immobilité et le handicap, les grands brûlés.
  • Leucémie aiguë lymphoblastique.
  • Ostéogenèse imparfaite.
  • Polyarthrite idiopathique juvénile.
  • Des pathologies rares :
  • La mucoviscidose ;
  • Les myoppathies (dystrophie de Duchenne…) ;
  • Le syndrome ostéoporose-pseudogliome et certaines autres maladies osseuses constitutionnelles (MOC) ;
  • La maladie de Gaucher.

Conclusion
Au total, ces molécules montrent toutes un intérêt au moins sur les mesures de masse osseuse, et la plupart sur le risque de fracture. Leur tolérance est bonne, et, en pathologie bénigne, les effets secondaires les plus craints sont rares. Le préalable à leur prescription hors contexte d’urgence est de s’assurer d’une réplétion vitaminique D, de l’absence d’hypocalcémie et d’une estimation de débit de filtration glomérulaire au-delà de 30 mL/min et d’un suivi dentaire comme en population générale. Leur utilisation hors de ces limites réglementaires doit être réservé à des centres spécialisés expérimentés.

Chez nos sujets gériatriques, les voies parentérales sont à préférer lorsque possible pour améliorer le confort de prise, l’observance et l’efficacité.

Docteur Pierre-Emmanuel CAILLEAUX
Université de Paris, INSERM UMR-S 1132 Biologie de l’os et du cartilage
(Centre Viggo-Petersen), Gériatrie aiguë, Hôpital Louis-Mourier,
Assistance Publique – Hôpitaux de Paris, Paris, France
[email protected]
Pour l’Association des Jeunes Gériatres

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  • Article paru dans la revue “La Gazette du Jeune Gériatre” / AJG N°28

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