Bilan de dépistage de l’enfant entre 9 et 15 mois

Publié le 16 Jun 2023 à 14:25

 

Récemment, le monde orthoptique a bénéficié d’une avancée majeure dans le cadre de l’exercice de sa profession. En effet, le décret N°2022-691 du 26 avril 2022 prévoit un accès direct sans prescription médicale à certains soins visuels réalisés par les orthoptistes1.
En orthoptie pédiatrique, ce nouveau décret modifie l’article R.4342-8-3 du code de santé publique impliquant le bilan de dépistage de l’amblyopie chez les enfants de 9 à 15 mois et le bilan de dépistage des troubles réfractifs chez les enfants de 30 mois à 5 ans2.
Nous allons nous intéresser ici au bilan de dépistage des enfants de 9 à 15 mois.

Développement de la fonction visuelle et Santé visuelle en France

À la naissance, le système visuel de l’enfant est immature. Les rapports anatomiques vont progressivement évoluer, passant de 17 mm à la naissance à 23 mm à l’âge de 10 ans pour la longueur axiale et de 10 mm à la naissance à 12 mm à 4 ans pour le diamètre cornéen3. Ces modifications anatomiques s’accompagnent d’une emmétropisation progressive4 (Figure 1).

La fonction visuelle du nouveau-né va également être le siège d’un développement exponentiel durant les premières années de vie. Ce développement est à mettre en lien avec la maturation fovéal (démarrant vers la 20ème semaine de gestation) et corticale du nourrisson. Progressivement, les principaux réflexes (résumé en tableau 1) vont se mettre en place5. En parallèle l’acuité visuelle va se maturer. Elle est estimée à 1/20° à la naissance, 1/10° à 3 mois, 5/10° à 3 ans puis 10/10 à 5 ans6.

• RPM
• Clignement à la menace 1ère semaine de vie • Attraction visuelle au visage
• Attraction visuelle à la lumière
• Début de la fi xation et de la
poursuite sur lumière Entre 2 et 4
semaines • Réfl exe de convergence 1-3 mois • Vision stéréoscopique 3-5 mois

 

Dépistage et recommandations

Le dictionnaire de l’académie de médecine défi nie le dépistage comme une action de santé à l’égard d’une population supposée saine afin de diagnostiquer la présence d’une pathologie avant l’instauration de signes de morbidité7. Plus largement, la notion de dépistage repose sur cinq piliers essentiels : l’identification d’une population ciblée ; une pathologie détectable précocement ; des examens de dépistage simple, rapide, présentant une sensibilité ou spécificité élevée et reproductible ; des traitements efficaces et accessibles et enfin une balance bénéfice/risque favorable8

En France, les dernières recommandations de la fonction visuelle ont été proposées en 2019 par l’Association Française d’Ophtalmo-Pédiatrie et de Strabologie (AFSOP)9. Les dernières recommandations en date émanaient d’un rapport de l’ANAES (maintenant HAS) de 200210

Lequeux et al. identifie alors quatre groupes distincts :

  • Consultation pour signes d’appel ophtalmologique (organiques ou fonctionnels) (leucocorie, nystagmus, strabisme…).
  • Consultation chez les populations à risque de pathologies organiques précoces (prématurité < 31 SA, poids de naissance < 1250g, antécédents familiaux de pathologies oculaires organique…).
  • Consultation chez les populations à risque d’amblyopies fonctionnelles (prématurité < 37 SA, poids de naissance < 2500g, antécédents familiaux de strabisme, amblyopie…).
  • Population générale dans facteurs de risques ni signes d’appel.
  • C’est principalement ce dernier groupe (soit 90 % à 95 % de la population d’enfants) qui sera concerné par cette nouvelle perspective de l’exercice de la profession.

    Bien que Lequeux et al. suggère une consultation de dépistage organisée à l’âge de trois ans, le récent cadre législatif introduit un dépistage en accès direct à l’âge préverbal. Il n’existe à l’heure actuel pas de liste d’examens à réaliser, mais il est important de rappeler que seule la combinaison de différents tests orthoptiques permettra d’optimiser le dépistage pédiatrique. Seule la réalisation d’un examen au photoscreener fait l’object d’un consensus scientifique. Il permet grâce à une mesure en binoculaire et à 1m sans cycloplégie d’estimer la réfraction de l’enfant. Les recommandations d’adressage sont résumées en tableau 1.

      Hypermetropie Myopie Astigmatisme Anisométropie Entre 9 et 18 mois > + 3D < -3.5 D > 2.75 D > 1.75 D Entre 18 et 36 mois > + 2.5D < -2.0 D > 1.75 D > 1.25 D Après 3 ans > + 2.5D < 1.5 D > 1.5 D > 1.00 D

    Tableau 2 : Recommandations des valeurs seuil d’adressage de réfraction par photoscrenning en fonction de l’âge (D’après Lequeux et al., 2019)

    Lequeux et al. propose d’associer l’examen du photoscreener à l’examen sous écran : examen orthoptique de référence dans le dépistage et la quantification du strabisme. Il sera complété par le test du biprisme. Bien qu’efficace pour dépister les microtropies, il nécessite un réel entraînement de la part de l’orthoptiste11.

    Afin de compléter l’examen de dépistage, il est tout à fait envisageable d’ajouter une étude la motilité et du réflexe de convergence, du réflexe de poursuite et la gêne à l’occlusion.

    Cette nouvelle avancée, valorisée à 20.02€ (AMY 7.7), n’a pas pour objectif de se suppléer à un bilan orthoptique classique mais de systématiser le dépistage de la population infantile. En cas d’anomalie dépistée, l’adressage vers un ophtalmologiste sera nécessaire entre 1 et 3 mois. Ce dernier pourra réadresser un bilan plus complet avec ordonnance médicale. Il convient donc à l’orthoptiste d’établir un réseau de confiance réunissant les différents acteurs de la santé visuelle : ophtalmologiste, pédiatre, médecin généraliste, médecin de PMI...

    Conclusion

    La nouvelle règlementation permet à l’orthoptiste de systématiser le dépistage visuel via un accès sans prescription médicale. Il convient néanmoins d’être sensibilisé à la notion de dépistage, des normes physiologiques et de la réalisation des examens essentiels.

    Enfin, un réseau professionnel de confiance sera indispensable pour permettre le bon suivi des patients dépistés.

    PhD Maxence RATEAUX
    Orthoptiste
    Service d’ophtalmologie de l’Hôpital Necker-Enfants malades – APHP – Paris
    Laboratoire S-Trans – Centre Borelli – UMR 9010 – Paris

    Bibliographie

  • https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006190633
  • https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045668574
  • Møller HU, Larsen DA. Chap 6 : Milestones and normative data. In: Lambert SR, Lyons CJ, éditeurs. Taylor & Hoyt’s Pediatric ophthalmology and strabismus. Fifth edition. Edinburgh ; New York: Elsevier; 2017.
  • Clergeau G. La réfraction de l’enfant. A&J Péchereau éditeurs, pour FNRO Éditions. Nantes; 2007. (Cahiers de sensori-motricité).
  • Jeanrot N, Ducret V, Jeanrot F. Manuel de strabologie: aspects cliniques et thérapeutiques. 4e éd. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson; 2018.
  • Mayer DL, Beiser AS, Warner AF, Pratt EM, Raye KN, Lang JM. Monocular acuity norms for the Teller Acuity Cards between ages one month and four years. Invest Ophthalmol Vis Sci. mars 1995;36(3):67185.
  • Dépistage. In: Dictionnaire de l’académie nationale de médecine [Internet]. 2023e ed.
  • Dépistage : objectif et conditions [Internet]. Guide et documents d’information. 2016. Disponible sur : https://www.has-sante.fr/jcms/c_2632453/fr/depistage-objectif-et-conditions
  • Lequeux L, Thouvenin D, Couret C et al. Le dépistage visuel chez l’enfant : les recommandations de l’Association Francophone de Strabologie et d’Ophtalmologie Pédiatrique (AFSOP). Journal Français d’Ophtalmologie. févr 2021;44(2):24451.
  • Dépistage précoce des troubles de la fonction visuelle chez l’enfant pour prévenir l’ambyopie. ANAES; 2002 oct. (Service recommandations et références professionnelles).
  • Lequeux L, Thouvenin D, Bonifas C. Dépistage des troubles visuels de l’enfant. Revue Francophone d’Orthoptie. déc 2019;12(4):1637.
  • Article paru dans la revue « Le magazine de la Fédération Française des Étudiants en Orthoptie » / FFEO N°01

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