Rencontre avec Léa Bordier, réalisatrice de la chaîne YouTube « Cher corps » mise en BD
H.- L’ouvrage Cher corps réunit des témoignages issus de votre chaîne YouTube éponyme. Comment tout a commencé ?
Léa Bordier.- C’était en 2016.
Je souhaitais parler de la femme et de son rapport au corps sans autre ambition au départ. Ce fut le témoignage d’une amie, Emma qui a tout enclenché. Elle a témoigné de son viol qui avait eu lieu alors qu’elle était lycéenne. Elle l’avait longtemps gardé secret que ce soit auprès de sa famille ou de ses amis et elle explique pourquoi. Moi-même, je l’ai appris face caméra. Suite à son témoignage, j’ai reçu énormément de mails de femmes me confiant avoir vécu la même chose et qui sont allées porter plainte. D’autres souhaitaient raconter leur propre histoire, différente mais marquante. C’est ainsi que la chaîne s’est lancée.
© Éditions Delcourt, 2019 ‐ Collectif
H.- Quel est le but de ces témoignages ?
L.B.- L’objectif est de faire partager le vécu d’inconnues et leur rapport à leur corps en ôtant une part de tabou ou en dénonçant une situation. En regardant ou en lisant ces témoignages, d’autres femmes se rendent compte qu’elles ne sont pas seules et réalisent qu’elles aussi peuvent trouver la force de faire face. Quand Shonah explique son errance de diagnostic et le soulagement une fois que la vestibulodynie fut diagnostiquée, de nombreuses internautes nous ont écrit pour nous remercier. Elles souffraient des mêmes symptômes sans mettre de mot sur leur douleur et ont pu consulter un gynécologue du réseau dont parle Shonah. Que ce soit sur YouTube ou dans le livre, nous ajoutons tous les liens utiles en lien avec les témoignages.
H.- Vous abordez, indirectement, la relation soignantsoigné.Est-ce un thème que vous pourriez développer davantage ?
L.B.- Oui, le thème de la santé m’intéresse beaucoup et je sens que les choses bougent. Il y a de plus en plus de jeunes médecins qui prennent le temps d’expliquer avec une approche humaniste. Mais je me rends compte qu’il y a aussi des travers, comme ces cliniques de chirurgie esthétique. J’ai visionné la présentation d’une de ces cliniques parisiennes. C’était effarant : un médecin disait – et il semblait le penser – que « grâce à nous les femmes sont plus belles » ! Certaines YouTubeuses, comme Enjoy Phoenix, se vantent de leur dernière opération. Sur une de ses vidéos elle raconte son injection d’acide hyaluronique dans ses lèvres. Or, son public est constitué d’ados et de jeunes adultes qui suivent ses recommandations. Sans s’en rendre compte, elle banalise le recours à la chirurgie esthétique !
H.- Quels sont vos projets en BD ou en vidéo ?
L.B.- Je souhaite poursuivre les témoignages sur ma chaîne YouTube en privilégiant ceux des ados. Ils ont, aussi, beaucoup à dire à cet âge où le corps se transforme ! Je travaille aussi avec le journaliste Julien Menielle qui a sa chaîne YouTube intitulée « Dans ton corps » où il vulgarise des questions de santé. Nous tournons des vidéos pour France tv Slash sur le quotidien d’une personne en situation de handicap ou atteinte d’une maladie chronique. Quand les médias parlent d’une personne tétraplégique par exemple, c’est sous le prisme du superhéros comme la traversée de la Manche. Notre but est de donner de la visibilité au quotidien « ordinaire » de toutes ces personnes.
Propos recueillis par Vanessa Pageot
CHER CORPS
12 témoignages sous forme de mini BD
Carte blanche a été donnée aux illustratrices pour mettre en dessins ces histoires très personnelles de femmes entre 14 et 71 ans. On découvre le vécu de Marie-Paule qui a milité pour la pilule dans les années 70, d’Aurélie qui a surmonté son anorexie ou de Blaise qui se considère comme agenre. Cher corps, recueil de L. Bordier, éd. Delcourt, 128 pages, 19.99 €.
Article paru dans la revue “Le magazine de l’InterSyndicale Nationale des Internes” / ISNI N°23