Actualités : Bariatrique - De l’hôpital à la start-up, le parcours d’un chirurgien digestif

Publié le 15 avr. 2025 à 11:32
Article paru dans la revue « AJCV / Digest’Times » / AJCV N°2

Sébastien Frey.– Bonjour Eric, je te remercie d'avoir accepté cette invitation. Tu as désormais quitté l'hôpital depuis quelques années pour te lancer à temps plein dans l'innovation et le développement des nouvelles technologies. Peux-tu tout d'abord nous parler brièvement de ton parcours ?

Dr Éric Séjor.– Bonjour Sébastien, mon parcours a été assez simple. Après avoir obtenu mon baccalauréat scientifique (C), j'ai poursuivi des études de médecine à l'hôpital Henri Mondor. J'ai ensuite fait mon internat en chirurgie digestive et une partie de mon clinicat au CHU de Montpellier, dans les services des Prs Jacques Domergue, Bertrand Millat et Philippe Rouanet. J'ai terminé mon clinicat au CHU de Nice. Ensuite, j'ai été praticien hospitalier pendant presque 20 ans dans le service de chirurgie digestive et transplantation hépatique du Pr Jean Gugenheim au CHU de Nice.

S. F.– Avant de prendre la décision de quitter l'hôpital, tu t'intéressais déjà aux nouvelles technologies ?

Dr É. S.– Oui, j'ai toujours été attiré par l'exploration et le test de nouvelles choses. Plus jeune, je rêvais d'être ingénieur dans l'armée, plus précisément ingénieur-pilote d'essai. Lors d'une visite au centre d'essai en vol de Brétigny-sur-Orge en terminale, j'ai compris que ma grande taille n'était pas compatible avec ce métier. Cependant, je ne regrette absolument pas d'avoir choisi la médecine. La chirurgie a été une révélation pour moi. Il y a tant de progrès à faire et les nouvelles technologies comme la robotique, l'intelligence artificielle, l'impression 3D et la réalité augmentée offrent des possibilités incroyables. Je me suis donc naturellement intéressé à ces domaines, ce qui m'a permis d'avoir de nouvelles idées et de déposer plusieurs brevets pour créer de nouveaux outils, comme le faisaient autrefois les chirurgiens, qui malheureusement ont abandonné cette partie créative au profit de l'industrie. Je voudrais aussi te préciser que je suis en disponibilité, ce n'est donc pas véritablement un abandon de l'hôpital.

S. F.– Au final, qu'est-ce qui a été l'élément principal t'ayant amené à faire le grand saut vers le développement de nouvelles technologies ?

Dr É. S.– Ce qui m'a poussé à faire ce saut, ce sont les moyens offerts par l'industrie pour développer de nouvelles idées, ainsi que leur écoute. De plus, j'ai été attiré par la culture d'innovation de l'industrie et leur goût pour les prises de risques calculées. Enfin, j'ai trouvé une structure plus adaptée pour transformer mes idées en solutions concrètes.

S. F.– Avec du recul, as-tu rencontré des difficultés à faire ce pas ? Et si oui, quelles ont été tes leviers d'action ?

Dr É. S.– Oui, ce n'était pas évident au début. Après avoir déposé des brevets, l'industrie m'a proposé un poste de directeur médical (Chief Medical Officer). À l'époque, je n'ai pas eu le courage de quitter ma position confortable pour un domaine inconnu, qui plus est sans préparation. J'ai donc décidé de suivre une formation de deux ans en E-learning à l'EDHEC Business School (Master 2). Cette formation a dissipé mes craintes et m'a donné l'envie d'entreprendre. À la fin de cette période, un fonds d'investissement spécialisé dans la création de Medtechs m'a sollicité. Je travaille maintenant pour ce fonds et pour deux startups qu'il a créées, Bariatek Medical et Caranx Medical, dont je suis co-fondateur.

S. F.– Désormais, tu travailles en tant que Chief Medical Officer pour ces deux start-up, Caranx Medical et Bariatek Medical. Peux-tu nous présenter ce que vous développez ?

Dr É. S.– Caranx Medical développe deux solutions robotiques. La première est destinée au TAVI (Trans cathter Aortique Valve Implantation). Nous avons d'ailleurs récemment réalisé une première mondiale en implantant une valve cardiaque chez un porc avec notre robot. La seconde solution vise la chirurgie bariatrique par voie endoscopique, avec pour objectif de réaliser une endosleeve robotique. Bariatek Medical développe quant à elle un dispositif implantable par voie endoscopique pour aider les patients obèses à perdre du poids. Nous avons déjà réalisé nos premières implantations chez l'homme, notamment en Australie.

S. F.– Super ! Donc, tu penses que les solutions endoscopiques vont prendre de plus en plus de place au sein de l'arsenal bariatrique ?

Dr É. S.– Oui, c'est évident pour moi. La chirurgie se dirige vers des solutions de moins en moins invasives. Pour de nombreuses procédures, nous sommes passés de la chirurgie ouverte à la chirurgie mini-invasive (laparoscopie, thoracoscopie, etc.). La prochaine étape sera la chirurgie par les voies naturelles, avec moins de complications, des hospitalisations plus courtes et un retour plus rapide à la vie active. Il suffit de créer les outils nécessaires à cette évolution.

S. F.– D'accord. Idéalement, quel est ta vision du futur chirurgien bariatrique ? Et du futur chirurgien tout court ?

Dr É. S.– C'est une vision où la robotique joue un rôle crucial. D'abord, les procédures seront réalisées par des robots téléopérés, puis par des robots ayant une certaine autonomie, toujours sous la supervision des chirurgiens. L'objectif étant de standardiser et de simplifier les procédures chirurgicales pour réduire, voire éliminer, les aléas liés au facteur humain.

 

S. F.– On en revient à ton activité actuelle. Qu'est-ce que tu préfères désormais dans ton quotidien ?

Dr É. S.– J'adore la partie créative de mon nouveau travail. Lorsque nous sommes face à un problème médical, nous faisons tout pour trouver de nouvelles solutions techniques. Cela inclut la recherche d'informations dans la littérature et les bases de brevets, l'idéation, puis la création des premiers prototypes. Une fois la solution trouvée, nous la testons sur différents modèles (numériques, fantômes, modèles vivants) avec de nombreuses itérations jusqu'à obtenir une solution fonctionnelle et performante. Cette activité prend beaucoup de temps et nécessite de nombreux déplacements en France et à l'étranger.

S. F.– Petite question avec une pointe d'humour : tes ingénieurs sont-ils vraiment différents de tes anciens internes ?

Dr É. S.–Je remarque une différence d'humour. Les internes en chirurgie ont un humour potache, teinté de l'esprit carabin, qui est toujours présent. Cependant, cela n'est pas surprenant. Les médecins sont formés pour être centrés sur l'humain, tandis que les ingénieurs sont formés pour être centrés sur la tâche (machines, robots, ordinateurs, etc.).

S. F.– Je te remercie énormément pour ton temps. Pour finir, à la vue de ton expérience, quel serait ton(tes) conseil(s) à donner à nos jeunes chirurgiens intéressés par l'innovation ?

Dr É. S.– Je conseillerais à tous ceux qui ont des idées de foncer. Le parcours n'est pas toujours facile, car en France, les praticiens qui déposent des brevets ne sont pas toujours valorisés. La culture de la publication domine encore, mais je suis convaincu que les choses évolueront dans les années à venir. Aux États-Unis, c'est tout autre, les cliniciens comprennent l'importance du dépôt de brevets dans l'innovation médicale. Il n'est pas rare de voir des chirurgiens déposer des brevets à partir d'idées novatrices et créer des startups. Je leur recommanderais également de se former en ingénierie, car le chirurgien du futur devra être un « surgineer », alliant compétences en médecine et en ingénierie. Enfin, acquérir des compétences en management et dans l'entrepreneuriat en suivant une formation dans une école de commerce peut être également bénéfique. Cette option est d'ailleurs déjà disponible dans le cursus des études de pharmacie, où les étudiants ont la possibilité d'effectuer leur dernière année dans une école de commerce comme l'ESSEC. Dans tous les cas, cela leur sera utile, surtout s'ils briguent un jour des postes de chef de service ou de chef de pôle, car le management ne s'apprend pas par la recherche scientifique.

 

Interview du Dr Éric SÉJOR
Praticien Hospitalier au CHU de Nice CMO à Caranx Medical et Bariatek Medical
Propos recueillis par Sébastien FREY, Docteur Junior au CHU de Nice

Publié le 15 avr. 2025 à 11:32