Avenir de la chirurgie robotique

Publié le 15 Nov 2022 à 14:50

 

Ce n’est pas facile de sortir de la culture Da Vinci

Regards croisés de Pr Pascal Alexandre Thomas, président de la CNP-CTCV, chef de service à AP-HM et Jean-Claude Couffinhal, responsable robotique auprès de l’Académie nationale de chirurgie, et chirurgien au CH d’Argenteuil.

Comment avez-vous vu évoluer la chirurgie assistée par robot ?

P-A. Thomas.Le premier robot est arrivé dans mon établissement en 2013 à l’initiative des chirurgiens urologues. Le modèle de fonctionnement était celui d’une utilisation mutualisée. Ce qui semblait un bon choix au départ est aujourd’hui une contrainte car le robot n’est pas disponible tous les jours selon sa spé. Il faut donc faire des choix stratégiques.

J-C. Couffinhal.Quand la robotisation est apparue, elle a été développée sans aucune planification territoriale, ni vision de santé publique. C’est le cas en Île-de-France où la majorité des robots sont rassemblés dans les établissements de la petite couronne. Ce qui remet en cause la démocratie sanitaire sur l’égalité des chances de tous les patients en ce qui concerne l’accès aux techniques nouvelles et à la chirurgie mini-invasive. L’autre problème est que ce ne sont pas les chirurgiens qui choisissent de travailler ou non avec un robot mais l’établissement qui fait le choix de la pertinence de l’investissement. Enfin, le dernier hic se trouve au niveau de la formation puisque c’est l’industriel qui dispense « SA » formation, ce qui est dérangeant, un véritable investissement institutionnel est nécessaire.

Plus concrètement à Argenteuil, nous n’avons pas fait le choix du Da Vinci dugrand industriel, préférant nous orienter vers une nouvelle génération de robots, type Versius de CMR (Cambridge Medical Robotics) qui est accessible en France depuis un an ou Hugo de Medtronic.

Les industriels sont-ils trop présents selon vous ?

P-A Thomas.Oui, et j’irai même plus loin, il y a une politique commerciale extrêmement agressive des industriels avec une saturation de l’offre. Car finalement, tous les établissements qui pouvaient se doter d’un robot l’ont fait et doivent aujourd’hui le « rentabiliser ». À l’AP-HM par exemple, nous avons 3 robots et je ne verrai pas le quatrième, pouvant offrir une option technologique différente du système Da Vinci, arriver avant ma retraite.

J-C Couffinhal.Ce n’est pas facile de sortir de la culture Da Vinci, il y a une pression très forte, à la fois de l’industriel qui s’appuie sur l’importance de sa diffusion mondiale avec 20 ans de situation de monopole et des chirurgiens, nombreux utilisateurs et image unique de la robotique chirurgicale

Qu’aimeriez-vous changer dans votre manière d’exercer la chirurgie robotique ?

P-A Thomas. J’aimerais que l’on démystifie l’outil robotique. Le robot est actuellement « sanctuarisé » dans une salle à part, avec une équipe spécialement formée. Même l’atmosphère y est à part ! J’aimerais plus de souplesse dans la disponibilité de l’outil, car la mutualisation excessive est une contrainte. Dans ma discipline, les pratiques chirurgicales sont en pleine évolution, avec en particulier la diffusion des résections infralobaires (segmentectomies pulmonaires) complexes pour le traitement de certaines formes limitées de cancer du poumon. Elles seront probablement le champ de développement dominant de la robotique en chirurgie thoracique.

J-C Couffinhal.J’aimerais qu’aujourdui les décideurs et les chirurgiens réalisent qu’ils ont le choix entre plusieurs modèles de robots pour réaliser la transition robotique ; que la formation vienne s’ancrer réellement dans le champ universitaire et dans la formation professionnelle, ce qui sera aussi une manière légitime pour les utilisateurs de reprendre la main sur l’outil. 

Article paru dans la revue “ Les Jeunes Chirurgiens” / CNJC n°1

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Publié le 1668520212000