Auscultation obstétricale au XIXe siècle en France

Publié le 16 May 2022 à 23:02

Mieux entendre les bruits fœtaux, ménager la pudeur des femmes et ne pas subir leur malpropreté… Autant d’avantages qui expliquent le succès du stéthoscope obstétrical à partir des années 1830.

Au début du XIXe siècle, apparut en France un nouveau mode d’exploration clinique de la femme enceinte : l’auscultation de son abdomen. Deux questions se posèrent d’emblée quant à sa pratique : fallait-il ausculter avec l’oreille seule ou « armée » du stéthoscope ? fallait-il ausculter la femme couverte ou « dépouillée » de ses vêtements ? La recherche d’une meilleure perception des bruits intra-utérins ne fut pas le seul guide des accoucheurs dans leurs choix. La préférence accordée au stéthoscope se justifiait aussi, et peut-être même surtout, par le désagrément, tant pour l’accoucheur que pour sa patiente, de l’auscultation immédiate (c’est-à-dire l’oreille directement appliquée contre l’abdomen). Par ailleurs, les bruits gênants produits par le frottement de la barbe ou des cheveux lors de l’auscultation immédiate, ou du stéthoscope sur les vêtements recouvrant l’abdomen de la patiente, décidaient peu de praticiens à ausculter « à nu ».

La préférence accordée au stéthoscope
En France, c’est Jacques Alexandre Lejumeau de Kergaradec qui en 1821 attira le premier l’attention sur l’auscultation de l’abdomen appliquée à l’étude de la grossesse. Cette application de l’auscultation ne trouva véritablement sa place dans l’examen clinique des femmes enceintes qu’à partir des années 1830. Il se dégagea alors rapidement, parmi les accoucheurs exerçant à l’hôpital, une nette préférence pour l’auscultation pratiquée à l’aide du stéthoscope, dite « médiate ». La plupart reconnaissaient à l’utilisation de cet instrument de très nombreux avantages, si nombreux même que, pour certains, « tout » militait en sa faveur

Des bruits cardiaques mieux perçus
Un des avantages du stéthoscope concernait bien sûr la perception des bruits cardiaques fœtaux. La plupart des accoucheurs déclaraient qu’à l’aide de cet instrument, ces bruits étaient perçus plus nettement, qu’on en localisait et délimitait plus facilement et plus précisément le foyer de production, qu’ils étaient plus sûrement distingués des autres bruits, en particulier parce que, grâce à lui, il était possible de déprimer plus facilement et plus profondément qu’avec l’oreille seule la paroi abdominale, ce qui permettait de se rapprocher des parties du fœtus. Il était reproché à l’auscultation immédiate « de faire mieux percevoir les différents bruits qui se passent au dehors de l’utérus, et qui viennent jeter de la confusion dans ceux que l’on cherche à saisir, lorsqu’ils ne les masquent pas entièrement ». Le stéthoscope permettait aussi d’avoir accès à certaines régions du ventre où l’auscultation immédiate n’était pas praticable, comme celles voisines des aines, et rendait l’exploration « plus commode » pour son utilisateur, en lui évitant, ou tout au moins en corrigeant, les positions parfois fort incommodes qu’il était forcé de prendre pour ausculter. Cette « commodité » était en particulier apportée par sa longueur. Il devait être suffisamment long, « afin de permettre à l’accoucheur d’ausculter commodément, sans fatigue, et de lui éviter les inévitables congestions du côté de la tête, conséquence presque forcée avec les stéthoscopes trop courts ». Quelques accoucheurs accordèrent pourtant leur préférence à l’auscultation immédiate : « […] quant à nous, nous préférons l’auscultation directe et nous n’employons qu’exceptionnellement le stéthoscope », affirme Nicolas Charles. Pour cet accoucheur, on ne perçoit pas plus nettement les bruits à l’aide du stéthoscope : « Nous avons essayé différents modèles de cet instrument, mais toujours nous avons mieux entendu autrement ». Certains trouvèrent à l’auscultation immédiate d’autres avantages, comme de permettre de découvrir plus rapidement le point où se passent les phénomènes recherchés, l’oreille appliquée sur l’abdomen embrassant une plus large surface.

Une exploration moins désagréable pour l’accoucheur…
Ces avantages offerts par le stéthoscope ne furent pas les seuls à déterminer ou conforter les accoucheurs dans leur choix de la méthode d’exploration. En dispensant son utilisateur d’appliquer immédiatement son oreille et sa joue sur les parties du corps de la femme qu’il explorait, cet instrument lui rendait aussi l’auscultation « moins désagréable », le désagrément étant lié à la malpropreté de certaines patientes. Ils sont nombreux à le dire sans détour : l’idée d’un contact direct, sans médiation, avec le corps malpropre ou malade de la femme leur inspire répugnance et dégoût. Avec le stéthoscope, par contre, ils se sentaient assez bien isolés de leur patiente pour que sa malpropreté ou ses maladies de peau ne provoquent pas de répulsion. Encore fallait-il que le stéthoscope soit « suffisamment long », comme le fait remarquer Cantacuzène, les stéthoscopes trop courts amenant, alors qu’on est obligé de déprimer fortement les parois abdominales, le contact de la figure de la personne qui ausculte avec le ventre de la personne qui est soumise à l’examen ». Ce qu’il ne précise pas est qu’il devait aussi être « assez long » pour que l’accoucheur n’ait pas la figure trop rapprochée des parties génitales de sa patiente. Pour indication, le stéthoscope utilisé par Henri Depaul mesurait 15 à 16 cm de long. Nicolas Charles ne semble pas plus sensible à cet argument. On dit que l’emploi du stéthoscope a comme avantage d’être « plus propre », fait-il remarquer : « Il faut bien le dire cependant, c’est une affaire d’habitude ou personnelle ». Mais surtout, le problème de la propreté n’en est pas vraiment un : on peut laver la peau du ventre de la patiente au préalable, si besoin. Il est remarquable qu’aucun autre accoucheur n’ait proposé cette solution si simple, d’autant que contrairement à la toilette des organes génitaux, celle de l’abdomen ne perturbait en rien le diagnostic. Il avait été seulement proposé, pour pallier cet inconvénient de la malpropreté, l’interposition d’un linge entre l’oreille du praticien et la paroi abdominale. Cette solution ne le palliait qu’imparfaitement.

… et pour sa patiente
Si les accoucheurs préféraient le stéthoscope pour tous ces avantages, ils cherchaient aussi à éviter à leurs patientes, par son intermédiaire, le désagrément d’un contact « trop immédiat ». « Beaucoup de femmes répugnent à ce que l’accoucheur applique ainsi sa tête à plat sur le ventre » affirme Paulin Cazeaux. Ce qui n’est pas dit ici, c’est qu’elles répugnaient sans doute aussi, et peut-être même surtout, à la proximité du visage de l’accoucheur avec leurs organes génitaux. Ainsi, pour l’auscultation obstétricale, le stéthoscope était choisi parce qu’il ménageait mieux la pudeur de la patiente. Cette même raison le faisait aussi choisir pour l’auscultation de la partie antérieure du thorax qui se heurtait, quant à elle, à la présence des seins. Là encore, « les scrupules de la pudeur s’opposent à ce que le médecin applique sa tête à la partie antérieure de la poitrine chez la femme ». Alors que chez l’homme, l’usage du stéthoscope était indifférent, il était « préférable » chez la femme pour une question de décence, comme le signale encore, au début du XXe siècle, Maurice de Fleury : « Les Allemands et les Américains – par décence, nous disent-ils – auscultent à l’aide du stéthoscope à longs tuyaux de caoutchouc, et non pas seulement le cœur, mais le poumon ; beaucoup de médecins français en font autant ». Certains, cependant, nièrent le sens équivoque possible de l’attitude du médecin pendant l’auscultation thoracique immédiate. « Tout de même, dit M.de Fleury, là où l’auscultation directe apparaît préférable, n’hésitons pas […]. Dieu sait si j’ai ausculté et vu ausculter ! et je n’ai jamais observé d’attitude équivoque ».

Pendant l’auscultation, la femme reste couverte
Si le choix de la méthode d’auscultation avait été débattu, la question de savoir s’il fallait pratiquer l’auscultation obstétricale la femme couverte ou « dépouillée » de ses vêtements l’avait été tout autant. Les avantages tirés de l’auscultation lorsque l’abdomen est découvert, que celle-ci soit médiate ou immédiate, sont encore plus évidents, les bruits recherchés n’étant plus alors masqués par le « bruissement » ou les « petits froissements » que produisent inévitablement le frottement de la barbe ou des cheveux de l’accoucheur, ou celui du stéthoscope, sur l’étoffe recouvrant l’abdomen. Cette gêne, pourtant, décidait peu de praticiens à ausculter « à nu », en dehors des cas douteux ou difficiles. « On peut, explique Alban Ribemont-Dessaignes, laisser l’abdomen recouvert par une chemise fine, lorsque les bruits du cœur s’entendent facilement et nettement ; mais toutes les fois que l’auscultation a besoin d’être pratiquée avec soin, soit pour établir le diagnostic de grossesse par l’auscultation du 4e au 5e mois, soit pour s’assurer de la vitalité du fœtus, soit en fin lorsqu’une paroi abdominale épaisse amortit les bruits du cœur, l’abdomen doit être à nu pour qu’aucun bruit ne vienne s’interposer entre l’oreille de l’observateur et la paroi abdominale ». Le plus souvent, la femme gardait « sa chemise » ou l’accoucheur plaçait sur la peau de son ventre une fine serviette. Depaul procédait ainsi pour l’auscultation médiate : « En général, je laisse la chemise après avoir pris soin d’en effacer les plis et pourvu qu’elle ne soit pas d’un tissu trop roide ou trop épais ; car dans ces cas, qui se reproduisent souvent dans les hôpitaux, je la remplace par une serviette fine. Est-il nécessaire d’ajouter que le corset ou tout autre vêtement comprimant le thorax doivent disparaître, comme pouvant produire pour la femme une gêne qui la rendrait moins patiente et qui nuit au succès des recherches ? ». Plusieurs accoucheurs insistent sur la qualité de l’étoffe qui doit recouvrir l’abdomen : les vêtements épais, surtout ceux de laine, empêchent d’entendre les bruits, les étoffes de soie nuisent par le bruit que produit leur froissement. Cette pratique nous semble davantage destinée, une fois de plus, à ménager la pudeur de la patiente, qu’à pallier, comme nous l’avons évoqué, l’inconvénient de sa malpropreté. De même, recouvrir d’un mouchoir fin ses seins lui ferait mieux accepter une auscultation thoracique immédiate. « je maintiens, prétend Édouard Jean Juhel-Rénoy, que peu de femmes, les plus grandes et les plus pudiques, se formaliseront d’un examen ainsi fait ». Au tout début du XXème siècle, M. de Fleury affirmera que l’on peut fort bien ausculter ainsi « sans froisser la pudeur ». Ces débats n’ont plus cours. L’introduction en France, dans la seconde moitié du XIXe siècle, des stéthoscopes flexibles « à longs tuyaux de caoutchouc » et l’invention plus récente du stéthoscope ultrasonique sont venus mettre une distance encore plus grande entre le praticien et sa patiente.

Sylvie Arnaud-Les
Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°09

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