Audition publique « Auteurs de violences sexuelles : Prévention, Évaluation, Prise en charge »

Publié le 30 May 2022 à 17:58

 

En juin 2018, 20 ans après la loi du 17 juin 1998, la Fédération Française des Centres de Ressources pour les Intervenants auprès des Auteurs de Violences Sexuelles (FFCRIAVS) procédait à une Audition Publique sur les violences sexuelles, selon la méthodologie de la HAS. 35 propositions accessibles sur http://www.ffcriavs.org/media/filer_public/01/2d/012d3270-9129-4689-8e79-ed456fd28ecf/rapport_du_17_juin_2018.pdf en sont issues, sur lesquelles les organisateurs ont sollicité des avis.
Quelques-unes de ces propositions ont appelé des remarques du SPH et de la SIP.
Si ces 35 propositions se veulent concrètes, la majorité d’entre elles peuvent être considérées comme des « vœux pieux » correspondant à un idéal qui ne sera pas atteint faute de moyens financiers, humains, et blocages de toutes origines. Certaines propositions feront toutefois l’objet d’une courte argumentation.

Proposition 1 : Se donner les moyens méthodologiques de mesurer des violences sexuelles chez les mineurs
Avis du SPH et de la SIP : Parmi les moyens envisageables, il y a un intérêt à s’appuyer sur les fédérations de recherche régionales existantes comme la Fédération de recherche en santé mentale Psy, des Hauts-de-France (F2RSM Psy) ou la Fédération Régionale de Recherche en Psychiatrie et Santé Mentale d’Occitanie (FERREPSY Occitanie).

Proposition 2 : Concevoir un livret sur le secret professionnel des intervenants auprès des Personnes Placées Sous Main de Justice (PPSMJ)
Avis du SPH et de la SIP : La question du secret professionnel est un vaste sujet très maltraité depuis plusieurs années. Le contexte sociétal valorisant transparence et perte d’intimité fait le lit des lois et décrets qui en rétrécissent le champ progressivement. Le partage ou l’échange d’informations opérationnelles est une litanie lancinante pour œuvrer à une meilleure coordination des soins dont les dispositifs organisationnels deviennent de plus en plus complexes. L’informatique fascine certains dont le Conseil national de l’Ordre des médecins. Se référer à ce sujet au mémoire écrit par l’ASPMP (www.aspmp.fr). Le milieu pénitentiaire est un laboratoire des dérives du secret professionnel à l’aune de l’argumentation sécuritaire et de la volonté d’emprise sur autrui (personnes détenues comme personnels soignants). Le secret professionnel a un lien étroit avec l’indépendance professionnelle. La HAS a comme projet de travailler sur le partage d’informations. La question est de savoir comment coordonner un tel travail, afin que les sociétés savantes s’emparent du sujet et non les agences technocratiques (HAS) ou les institutions ne souhaitant pas trop blesser l’exécutif (CNOM).

Proposition 7 : Élaborer des programmes de prévention destinés à des publics particuliers: personnes âgées, migrants, lesbiennes, gay, bisexuels et transgenres (LGBT)
Avis du SPH et de la SIP : L’élaboration de programmes est une opération complexe. Il existe des démarches adaptées à des situations spécifiques, comme celle décrite dans l’encadré ci-dessous. Il est probable que d’autres démarches similaires existent ici et là en totale discrétion et probablement difficiles à repérer.
Le refuge en lui-même établit un suivi individuel auprès de chaque jeune, et l’éducatrice et les bénévoles peuvent mettre en garde le jeune qui se met en situation de danger. La prévention se fait certainement au quotidien, dans le suivi éducatif et psychologique des jeunes. Lorsque nous sommes confrontés à une problématique de prostitution par exemple, il nous est difficile d’intervenir autrement que dans un discours préventif. Au sujet de la sexualité, la prévention auprès des jeunes accompagnés se fait pas le biais d’associations extérieures. Le bus info santé qui intervient 1 fois par an, qui est un bus qui sensibilise à la demande des professionnels un public particulier sur les questions concernant la santé, la sexualité.
Et également, le Refuge fait intervenir l’équipe nationale d’intervention en prévention et santé (ENIPSE), anciennement le SNEG (https://www.enipse.fr/le-sneg/), qui a vocation à faire de la prévention au sujet des maladies sexuellement transmissibles, auprès des publics LGBT.
Cette association intervient auprès du Refuge 2 fois par an.

Proposition 9 : Développer la recherche et l’évaluation permettant de construire des programmes de prévention efficaces en intégrant des recherches sur les facteurs protecteurs
Avis du SPH et de la SIP : La plupart des études d’évaluation des risques de récidive de violences sexuelles ont surtout insisté sur les risques en négligeant les facteurs susceptibles de les réduire. Il en résulte des évaluations déséquilibrées donc des prédictions inexactes. Nous soutenons la réalisation d’études portant sur les facteurs de protection d’autant que des outils ont été mis au point comme le SAPROF (Structured Assessment of PROtective Factors for violence risk) et il existe une version française (guide d’évaluation des facteurs de protection pour le risque de violence) depuis plusieurs années.

Proposition 11 : Développer et faire connaître des lieux ressources, services et associations proposant une permanence téléphonique ou un accueil
Avis du SPH et de la SIP : Proposition souhaitable mais avec la question de l’accès à cette information dans un monde saturé.

Proposition 12 : Bannir du vocabulaire le terme de « castration chimique » pour le remplacer par un terme simple et non stigmatisant (par exemple « traitement antihormonal »
Avis du SPH et de la SIP : Campagne et travail de déstigmatisation qui devrait s’inspirer du programme Papageno pour la prévention du suicide.

Proposition 13 : Augmenter le nombre et la visibilité des structures qui prennent en charge les mineurs auteurs de violences sexuelles
Le SPH privilégie « le droit commun », c’està-dire recourir aux structures généralistes existantes afin d’éviter toute stigmatisation, tout en s’assurant de la coopération avec les CRAIVS, et en prévoyant une ligne budgétaire.

Proposition 14 : Évaluer et développer au niveau national l’expérience de réseaux d’écoute pour proposer un numéro d’appel unique
A condition de régler le problème des moyens.

Proposition 15 : Mieux informer les victimes de violences conjugales comportant des violences sexuelles de l’existence de l’ordonnance de protection de la victime qui s’applique à l’auteur et lui impose un certain nombre d’obligations et d’interdictions
Avis SPH et SIP : L’information ne concerne pas seulement les victimes mais aussi les forces de l’ordre intervenant auprès de la victime (Cf. dans une affaire récemment médiatisée, une victime défenestrée en 2013 par son mari et considérée comme responsable de sa paraplégie).

Proposition 18 : Conduire des recherchesaction sur les dispositifs de rencontre auteurs-victimes afin d’en mesurer la pertinence et d’en organiser le déploiement en opportunité
Avis SPH et SIP : Le sujet reste délicat selon une justice restauratrice encore peu connue. Commencer effectivement par des recherchesaction (mais avec quels moyens et par qui ?) et envisager ensuite des déploiements en fonction des résultats et des possibilités.

Proposition 19 : Confier l’expertise à une collégialité d’experts ou à une unité spécialisée de psychiatrie légale, et notamment pour les expertises nécessitant une évaluation précise de la dangerosité
Avis SPH et SIP :
• L’état critique de l’expertise psychiatrique est bien connue. Le binôme d’experts était requis avant 1985 et la collégialité est inenvisageable dans la grande majorité des cas du fait de la faible démocratie expertale.
• L’expertise confiée à une unité spécialisée est un risque de confondre expertise et soin, voire d’utiliser les UHSA pour cette fonction.
• Si ces unités spécialisées devaient exister, combien, où, pour combien de temps ?

Proposition 20 : Donner une formation criminologique complémentaire aux outils d’évaluation aux experts psychiatres réalisant ce type d’expertise spécifique
Avis SPH et SIP : Comme pour la proposition 19, les experts sont en nombre restreints et qu’entend-on par « criminologie » ?

Proposition 22 : Pouvoir dissocier la durée du Suivi Socio-judiciaire [SSJ] de celle de l’Injonction de Soins [IS]
Avis SPH et SIP : La proposition la plus intéressante et si elle pouvait être adoptée, ce serait le grand succès de cette audition publique. Il est évidemment ridicule d’ordonner une IS qui peut durer 30 ans voire à perpétuité. La décision de relèvement devrait aussi, après avis médical (médecin coordonnateur, thérapeute) et/ou expertal s’imposer au procureur qui ne pourrait s’y opposer.

Proposition 23 : Proposer l’évolution de la législation permettant au magistrat de se prononcer en faveur d’une obligation de soin, ou bien d’une injonction, et ce en fonction de la nature des soins requis par l’expert
Avis SPH et SIP : C’est ce qui se fait déjà bien souvent, par pénurie de médecins coordonnateurs. Toutefois, l’obligation des soins est un dispositif flou qui met mal à l’aise les soignants. L’injonction de soin permet, quand le médecin coordonnateur coordonne vraiment, une mise en place plus efficace du dispositif. A noter que l’expert doit suggérer une opportunité de soins, sans entrer dans le détail, laissant aux équipes soignantes au moment de la prise en charge thérapeutique, de déterminer le type de soin adapté : on voit trop souvent des experts proposer sans argumentation clinique sérieuse des traitements inhibiteurs de la libido dans une perspective « parapluie ».

Proposition 24 : Promouvoir des lieux et temps de rencontre entre les différents intervenants en charge du condamné
Avis SPH et SIP : Nécessité de bien préciser le périmètre de ces partages d’information. Entre quels professionnels ? Quelle information donnée au justiciable ?

Proposition 25 : Appliquer rigoureusement le secret médical dans l’utilisation du Logiciel de l’administration pénitentiaire [GENESIS]
Avis SPH et SIP : Grand conflit qui oppose les associations de médecins somaticiens [APSEP] et psychiatres [APSEP] avec l’administration pénitentiaire et maintenant le CNOM. Respecter le secret professionnel, c’est ne pas utiliser GENESIS qui impose de perdre son indépendance professionnelle en optant pour un identifiant justice : @justice.fr. Nouvelle référence au mémoire rédigé par l’ASPMP (cf. proposition 2).

Proposition 26 : Transmettre toutes les informations nécessaires à la prise en charge aux professionnels du soin dès lors qu’elles ne sont couvertes par aucun secret légal
Avis SPH et SIP : L’échange d’informations nécessaires est possible, et peu sujet à contestation, si c’est dans la même équipe de soins afin d’améliorer la prise en charge.

Proposition 27 : Permettre de lever plus facilement l’injonction de soins lorsque l’évaluation du risque de dangerosité du sujet expertisé [et le traitement associé], est proche de celle d’un sujet de la population générale
Avis SPH et SIP : Propositions en lien avec les propositions 22 et 30, mais le relèvement d’une mesure quand le médecin coordonnateur et le thérapeute sont d’accord restent difficiles. Les JAP rechignent et les procureurs s’y opposent [parapluie]. Quelles dispositions à envisager pour un relèvement plus facile ?

Proposition 29 : Donner la possibilité aux CRIAVS de développer une offre de soin spécialisée en complément de l’offre de droit commun corolairement, celle-ci doit pouvoir mettre en œuvre des soins spécialisés intersectoriels
Avis SPH et SIP : Favorable, déjà en œuvre à certains endroits.

Proposition 30 : Modifier la loi du 17 juin 1998 afin, notamment, de redéfinir un ensemble de critères justifiant l’opportunité de la mise en place d’une injonction de soins, réaffirmer le principe d’individualisation dans le prononcé de l’injonction de soins, et découpler la durée de l’injonction de soins de celle de la peine de suivi sociojudiciaire
Avis SPH et SIP : La proposition rejoint la proposition 22. Il manque dans l’audition publique la discussion des critères justifiant l’opportunité d’une injonction de soins. Le SPH a déjà par le passé souhaité qu’une audition publique ou une conférence de consensus se penche sur cette question.

Proposition 32 : Évaluer la faisabilité et la pertinence des dispositifs de justice restaurative et de leur éventuelle application à la prise en charge des auteurs de violences sexuelles
Avis SPH et SIP : La justice restaurative pourrait avoir un rôle pédagogique sur l’opinion publique face aux obstacles des peurs et réticences.

Proposition 34 : Renforcer les dispositifs de formation continue sur des modules de psychocriminologie clinique afin de favoriser la montée en compétence des professionnels de santé
Avis SPH et SIP : Pourrait relancer l’idée d’un DES de psychiatrie légale. Poursuivre les formations post-graduées.

Article paru dans la revue “Le Syndical des Psychiatres des Hôpitaux” / SPH n°17

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