Association Des Gynécologues Obstétriciens En Formation” / Agof N°03 : De Jadis A Naguère

Publié le 16 May 2022 à 21:30

Nous entendons proprement par l’enfantement césarien, une extraction dextrement faite de l’enfant par le côté de la mère, ...

… ne pouvant autrement accoucher que par suffisante incision tant de l’épigastre que du corps matricial, sans toutefois préjudicier à la vie de l’un et de l’autre voire même sans que la mère laisse pour cela de porter enfant après. » (Rousset, 1581)

Un des premiers ouvrages sur la technique de césarienne écrite par un chirurgien français au XVIème siècle témoigne déjà d’une volonté de réduire la morbi-mortalité maternelle et fœtale et aborde même la problématique de l’utérus cicatriciel…

L’origine du mot césarienne est régulièrement associée à des naissances d’empereurs, Jules César, Scipion l’Africain ; en réalité l’étymologie paraît être en rapport avec “caedere“, le latin pour “couper“. A l’instar d’autres techniques chirurgicales obstétricales la césarienne est décrite très tôt. Au VIIème siècle avant JC, une loi à Rome préconise d’extraire le fœtus avant la sépulture d’une femme morte enceinte. L’intervention ‘césarienne’ est donc pratiquée sur des femmes mortes, avec ou sans l’intention de sauver le fœtus.

Les propos de Guy de Chauliac, chirurgien du XIVème siècle sont repris par C. Andureau : «S’il advenait que la femme fût morte et on se doute que l’enfant soit vif, parce que l’ordonnance du Roi défend d’enterrer la femme enceinte jusqu’à tant que l’enfant en soit dehors, la femme soit ouverte avec un rasoir de long à côté gauche d’autant que cette partie-là est plus libre que la dextre à cause du foie, et y mettant les doigts l’enfant en soit retiré » (Andureau, 1892).

C’est en 1500 que remonte la première césarienne sur femme vivante. Jacques Nufer, châtreur de porc suisse, demanda l’autorisation aux autorités de pratiquer lui-même la césarienne sur sa femme en travail depuis plusieurs dizaines d’heures. Il put sauver et l’enfant et la mère et cette dernière accoucha ensuite plusieurs fois, dont des jumeaux. La « légende » dit qu’il s’agissait peut-être d’une grossesse abdominale…

François Rousset, dans son ouvrage publié au XVIème siècle précise la technique opératoire :

- la vidange de la vessie avant l’opération,

- l’incision paramédiane droite ou gauche,

- l’utilisation de deux types de bistouris : l’un « rasoir à pointe » l’autre « rasoir à bouton » pour ne pas blesser le bébé,

- pas de suture de l’utérus qui se resserre de luimême,

- drainage de l’utérus par la mise en place d’un pressaire en cire,

- fermeture de la paroi abdominale. (Rousset, 1581)

Après quelques expériences encourageantes et des ouvrages techniques la césarienne se pratique de plus en plus fréquemment, au prix d’une mortalité maternelle impressionnante. Aux XVIIIème et XIXème siècle, la mortalité maternelle après une césarienne évolue entre 50 et 100 % ! Au point que certains obstétriciens sont farouchement opposés à cette intervention.

Alfred Velpeau, aborde la césarienne dans son ouvrage sur les convulsions : « En supposant que l’éclampsie dépendît d’une angustie (rétrécissement) pelvienne irrémédiable, on aurait aussi à décider s’il convient ou non de pratiquer l’opération césarienne. Je me bornerai en ce moment à rappeler que cette dernière opération tend essentiellement à sauver l’enfant, et que dans les convulsions le fœtus naît souvent mort. »

(Velpeau, 1834)

Ambroise Paré, dans ses livres de chirurgie, affirme qu’on ne peut inciser le ventre des femmes pour l’accouchement sans grever le pronostic vital. Mauriceau est également opposé aux césariennes sur femmes vivantes, et cite l’incision cutanée sur la ligne blanche pour les femmes mortes. Il affirme « comme l’Opération césarienne cause toujours très certainement la mort à la femme, on ne la doit jamais entreprendre durant qu’elle est encore en vie »

(Mauriceau, 1694)

En 1709, il ajoute : « L’incision se fera justement au milieu du ventre, entre les deux muscles droits, car, en cet endroit, il n’y que les téguments et la ligne blanche à couper, mais elle ne peut pas se faire de côté sans inciser les deux obliques et le transverse qui forment une épaisseur considérable. L’incision se fera d’un seul coup, elle aura la longueur de la matrice environ ; après quoi le chirurgien percera simplement le péritoine avec la pointe de son instrument pour y faire une ouverture à y mettre un ou deux doigts de la main gauche dans laquelle il les introduits aussitôt pour l’inciser en le soulevant avec eux et conduisant l’instrument de peur qu’il ne pique les intestins. »

(Bousquet, 1890)

André Levret évoque une incision parallèle à la ligne blanche, en dehors du muscle grand droit. « Je pense, qu’il faut se représenter une ligne tirée un peu obliquement de devant en arrière et qui partirait de l’extrémité antérieure de la lèvre supérieure de l’os des îles pour se rendre à la jonction de la dernière des vraies côtés avec son cartilage et saisir l’entre-deux de cette ligne et de la ligne blanche. Je coupe, non seulement, d’un seul coup la peau et la graisse, mais aussi les muscles du bas ventre et le péritoine. Mais pour y parvenir facilement et sans rien craindre, je fais un gros pli transversal au milieu de la partie que je veux inciser. » (Levret, 1762)

Jean Louis Baudelocque finit par admettre l’opération césarienne, réservée à son avis pour les cas de rétrécissements du bassin incompatible avec l’accouchement et il conseille de même un abord paramédian ou sur la ligne blanche. (Baudelocque, 1781)

Un chirurgien italien, Porro, réduit la mortalité maternelle en décrivant une technique avec une hystérectomie subtotale après l’extraction fœtale. Ses premiers résultats sont repris par Maygrier : sur 55 cas décrits, 23 femmes sont « guéries » et 32 sont mortes après la césarienne. La technique est détaillée : « On procède à la toilette de la femme. On la revêt d’une chemise de flanelle, et on enveloppe complètement les membres inférieurs jusqu’à la racine des cuisses avec de l’ouate et deux bandes de flanelle. Un aide donnera le chloroforme et la femme sera endormie dans son lit avant d’être transportée sur le lit d’opération.(…) L’opérateur se place entre les cuisses qui sont écartées et reposent sur deux gouttières en fil de fer ; deux aides sont placés l’un à droite et l’autre à gauche du lit. (…)

- incision de la paroi abdominale : on fait sur la ligne médiane une incision qui ne doit comprendre que la peau et le tissu cellulaire souscutané ; puis les couches profondes seront divisées lentement et successivement jusqu’au péritoine. Chaque fois qu’un petit vaisseau de la paroi sera ouvert une pince hémostatique sera immédiatement appliquée sur lui.

taille de l’incision : 16 à 17 cm, en rapport avec le volume de la tête fœtale à terme. 3 travers de doigt au-dessus du pubis, et on la continue au-dessus de l’ombilic en le contournant à droite ou à gauche.

incision de l’utérus : sur la face antérieure de l’utérus, sur la ligne médiane. Après avoir fait une boutonnière à la paroi utérine avec le bistouri, il (Porro) introduit les deux index dans cette ouverture et a pu déchirer facilement et rapidement le tissu utérin, et pénétrer ainsi dans la cavité utérine. » (Maygrier, 1880)

Pour l’extraction du fœtus il est conseillé dans cet ouvrage l’extraction en allant chercher les pieds. Et parfois l’utérus est incisé après avoir été extériorisé.

L’intervention de Porro se conclut enfin sur l’hystérectomie subtotale avec annexectomie bilatérale après l’avoir extériorisé.

L’asepsie vient modifier le pronostic des interventions chirurgicales, et en termes de technique apparaît l’incision basse segmentaire transversale sur l’utérus, avec Kehrer, sur « le segment inférieur les hémorragies sont parfois très abondantes à cause de la rareté des faisceaux musculaires en ce point ». (Bousquet, 1890)

Puis le XXème voit notre technique de césarienne « moderne », avec l’incision de laparotomie classique : « Pfannenstiel a conseillé d’exécuter, au lieu de l’incision médiane une incision transversale, légèrement incurvée, et située immédiatement au-dessus du pubis dans la zone recouverte de poils. Cette incision a le très grand avantage de devenir à peu près invisible. »

(J.-L.Faure, 1911).

Cette incision abdominale va encore être modifiée par analogie à la technique de Joël-Cohen pour l’hystérectomie (1970) : une incision abdominale rectiligne transversale.

Et enfin en 1994 Michael Stark à l’hôpital de Misgav Ladach décrit une technique opératoire bien connue de nos salles opératoires actuelles.

Cette technique récente s’inspire bien des expériences passées, avec l’extériorisation de l’utérus dans l’intervention de Porro par exemple. L’evidence based medecine conclut à un certain nombre d’avantages ; réduction du temps opératoire, moins de pertes sanguines, moins de douleurs post-opératoires, néanmoins des études fiables de suivi sur le long terme manquent encore pour conclure sur la réduction de la morbidité maternelle tardive. Gageons que la connaissance de plusieurs techniques de césarienne est encore importante pour s’adapter au mieux à chacune des femmes.

Delphine Hudry

BIBLIOGRAPHIE
Andureau, C. 1892. Etude sur l'ostétrique en Occident, pendant le moyen âge et la Renaissance.Dijon : Darantière, 1892.
Baudelocque, J.-L. 1781. l'Art des accouchements. Paris : Méquignon l'aîné, 1781.
Bousquet, F. 1890. De l'opération césarienne, exposé historique du manuel opératoire. Marseille : Barlatier et Barthelet, 1890.
J.-L.Faure, A. Siredey. 1911. Traité de gynécologie médico-chirurgicale. Paris : O. Doin et fils, 1911.
Levret, A. 1762. Observations sur les causes et les accidents de plusieurs accouchements laborieux. Paris : s.n., 1762.
Mauriceau, F. 1694. Aphorismes touchant la grossesse, l'accouchement, les maladies et autres dispositions des femmes. Paris : s.n., 1694.
Maygrier, C. 1880. Etude sur l'opération de Porro, opération césarienne suivie de l'amputation de l'utérus et des ovaires. Paris : A. Delahaye et L. Lecrosnier, 1880.
Rousset, F. 1581. Traité nouveau de l'Hysterotomotokie. Paris : Du Val, Avec privilege du Roy, 1581.
Velpeau, A. 1834. Des convulsions chez les femmes, pendant la grossesse, pendant le travail et après l'accouchement. Paris : J.-B. Baillière, 1834

Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°03

Publié le 1652729427000