Assemblée nationale : non-assistance à personne en danger ! quand allons-nous réveiller ?

Publié le 27 May 2022 à 13:36

 

PRÉSENTATION PAR LE DR MARTINE KERYER 


Dr Martine KERYER
Secrétaire Générale du SGMPSST

Secrétaire Nationale CFE-CGC

Pour la CFE-CGC, syndicat des cadres et techniciens, il existe au sein de notre société, un mal silencieux, sournois qui ne déclenche pas autant d’émotions qu’une tentative de suicide, pourtant, ce mal tue socialement à petit feu.
Parle-t-on dans nos entreprises de ce broyeur silencieux ? Tout le monde le sait et ferme les yeux.
Aujourd’hui le sujet est éludé : un salarié, un agent, le plus efficace, le plus impliqué, le plus investi est soudainement absent, en maladie un temps prolongé, puis disparait du milieu professionnel. Les collègues, le chs avaient bien remarqué son changement de comportement, mais sans indicateurs objectifs comme une déclaration d’AT ou de MP, cette absence n’est pas portée en discussion dans le collectif de travail. Malheureusement, la régulation qui pourrait éviter une prolifération de ces cas n’est pas mise en place.
C’est pour cela que la CFE-CGC demande une mise en lumière de ces cas d’épuisement professionnel.

POUR 3 RAISONS :

  • D’abord pour le salarié. Pour qu’il puisse se dire : « Je ne suis pas malade, c’est mon travail qui m’a rendu comme cela ». Cela lui permet de se reconstruire et de sortir de l’enfermement de la dépression liée à des facteurs personnels.
  • Ensuite, pour que les CHSCT puissent s’emparer d’indicateurs objectifs pour analyser les statistiques de mp liés à des troubles psychologiques, comme ils le font pour les TMS. La prévention pourra alors commencer avec l’analyse de la charge de travail, des conflits de valeur et de la charge émotionnelle.
  • Enfin, pour une répartition équitable du coût des pathologies liées au travail, Le surcoût lié à ces pathologies (Coût des pathologies mentales 22 Mds dont 4,4 Mds pour des pathologies mal répertoriées ne relevant pas du registre des pathologies psychiatriques classiquement identifiables. (Source CNAMTS rapport charges et produits conseil CNAMTS 4/7/2013, Rapport commission des comptes de la sécurité sociale, juin 2013. Source CNAMTS conseil du 23/5/2013 point IV. JF GOMEZ).

C’est pris en charge par le régime général de sécurité sociale. Parmi les salariés en arrêt de travail pour 6 mois, on estime de 10 à 20 % ceux qui sont arrêtés pour raisons psychologiques liées au travail, c’est-à-dire ne relevant pas des troubles psychiatriques habituels.

Face à la non existence actuelle de tableau de mp, les médecins du travail et les médecins de consultation de souffrance au travail s’appuient sur la possibilité de déclarer au titre de la législation des accidents du travail un syndrome d’épuisement professionnel lorsqu’il existe un facteur émotionnel déclencheur. C’est évidemment un détournement, mais c’est la solution la plus rapide et la plus efficace. Il faut pour cela, un fait précis considéré comme un accident (par exemple des brimades et humiliations au cours d’une réunion de travail). A cette condition, le patient est alors pris en charge et reconnu financièrement.

Pour la CFE-CGC, la prise en charge du syndrome d’épuisement professionnel au titre de la maladie professionnelle avec la création d’un tableau est possible. Le groupe paritaire d’orientation du Coct a déjà réussi l’exploit de se mettre d’accord employeurs et OS en émettant un avis sur le guide écrit par la DGT.

Sous la pression des législateurs, les partenaires sociaux au sein de ce comité sauront construire avec le temps un tableau de mp (le rapport remis à la commission du COCT en 2012 par un groupe d’expert est une base solide de travail). Les experts ont émis une recommandation clinique pour les médecins conseils pour les aider à la prise en charge des pathologies psychiques liées au travail. La littérature médicale internationale est suffisamment fournie pour tous les autres appareils (cv par exemple et risque avc pour le dépassement du temps de travail).

Les maladies psychiques dont la dépression, contrairement aux idées reçues, sont d’ailleurs déjà reconnues dans 3 tableaux du régime général et 3 tableaux du régime agricole.

La reconnaissance existe au Japon en cas de décès (Karoshi). Le lien entre décès et conditions de travail se base principalement sur le temps de travail lors de la semaine précédant l’accident.

Le Bit a établi en 2010 la nouvelle liste des mp indemnisables et demande aux signataires d’inclure dans leur réglementation nationale les pathologies mentales liées à l’organisation du travail dont acte...

Troubles mentaux et du comportement. 2.4.1. Etat de stress post-traumatique. 2.4.2. Autres troubles mentaux ou du comportement non mentionnés à l’entrée précédente.

Lorsqu’un lien direct a été scientifiquement établi avec le travail. Et c’est là qu’interviennent les médecins du travail qui eux savent interroger la clinique du travail, participent aux réunions du CHSCT et ont de par leur présence en milieu professionnel la capacité de produire une analyse objective et argumentée des conditions de travail.

• En attendant la création de ce tableau, pour la CFE-CGC, le CRRMP peut être une alternative, nous proposons d’abaisser à 10 % le taux d’incapacité permanente prévisible qui permet l’accès à la commission.

• La prévention du syndrome d’épuisement est bien sûr une priorité pour les OS, les services de santé au travail, et devraient aussi l’être pour les employeurs. En effet, en plus de leur obligation de sécurité, le coût caché de cette pathologie est immense (erreurs imputables aux troubles cognitifs, perte d’un salarié investi, image sociale de l’entreprise). Travailler sur la prévention du SEP c’est un devoir de vigilance du collectif de travail. Tout ceux qui savent doivent passer le message : CE  sont les meilleurs d’entre nous qui s’épuisent. Nous savons reconnaitre les symptômes qui précèdent l’épuisement. C’est à ce moment que les instances, les DRH et les médecins du travail peuvent et doivent agir. C’est une urgence vitale pour éviter une mort sociale.
Travailler sur la prévention c’est s’interroger par l’intermédiaire du CHSCT sur l’organisation du travail, sur le temps de travail et la charge de travail, en particulier des cadres forfaits jours. Nous y reviendrons au cours du débat...

En tant que CFE-CGC, nous nous permettons de vous alerter sur une conséquence délétère de la loi travail. Les salariés qui n’occupent pas de poste de sécurité n’auront plus accès au médecin du travail ni lors de l’embauche, ni lors de visites systématiques. La prévention sera alors plus difficile si le médecin du travail n’est pas identifié et connu du salarié. Nous allons nous priver d’un préventeur qui a pourtant un devoir d’alerte collectif. Un autre sujet arrive sur le devant de la scène, quid du maintien dans l’emploi et de l’employabilité d’un salarié en épuisement professionnel. Nous savons que les conséquences sont désastreuses avec un réel handicap psychique, des troubles de la concentration et de la mémoire rendant difficiles une activité professionnelle ; le moment de la reprise du travail est un moment extrêmement délicat : une reprise non préparée, non accompagnée est vouée à la rechute, à l’échec.

Quelques entreprises commencent à prendre en considération l’ampleur des dégâts, lorsque le médecin conseil est contraint à mettre ces salariés en invalidité 2ème catégorie parce qu’ils se sont épuisés au travail. On aboutit alors à une aberration, la mort sociale d’un médecin, cadre commercial, professeur ou officier de police ! Nous sommes en train de revivre l’époque de l’amiante.
Tout le monde savait mais ne voulait pas croire que de toute façon ce qui était inexorable allait se produire. Et quand cela s’est produit c’était trop tard.

Notre responsabilité est d’anticiper l’inexorable, c’est-à-dire s’organiser, se prémunir pour que ce fléau national ne contamine pas inexorablement toutes nos entreprises et administrations au détriment de la santé des salariés mais aussi de celle des entreprises.

Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°54

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