Articles d’internes : écrire derrière les barreaux

Publié le 25 May 2022 à 16:20


Lorsque j’ai proposé de monter une activité thérapeutique d’écriture au cours de mon stage au S.M.P.R. de Grenoble, certaines réponses et certains silences avaient semblé incrédules quant à la possibilité de faire écrire des délinquants, ces patients-détenus qui passent à l’acte, qui passent plus souvent par l’acte que par la parole, rendant la psychiatrie en prison si audacieuse et si passionnante.

Atelier slam, activité sport avec la pénitentiaire, activité jardin, cuisine, temps jeux de société et prêt de CD d’accord, mais faire écrire, quelle drôle d’idée  ? Pour nous lancer, il a fallu déconstruire pas mal de préjugés sur ce que ces patients sont capables de produire, ces patients aux antécédents de violence, jugés psychopathes, dont on s’inquiète le reste du temps plutôt qu’ils ne se scarifient pas, n’agressent pas, ne fassent pas la grève de la faim, ne se pendent pas.

Je ne remercierai jamais assez la jeune psychologue de mon service, débordante d’enthousiasme et d’intérêt, qui a apporté son dynamisme à ce projet et une plume d’oie et de l’encre dès la première séance que nous avons proposée aux détenus. Des feuilles A4 déclinées vertes, bleues, jaunes, des bics, des feutres et crayons de couleur.

Ils étaient sept patients de l’hôpital de jour, pendant deux mois, à venir une heure et demi le vendredi matin écrire avec nous. Les premières séances ont été craintives, mais finalement pas plus que le sont les premiers entretiens avec un patient inconnu.

« Le but n’est pas d’écrire du Zola, les fautes d’orthographe sont autorisées, et en fin d’exercice, si vous le souhaitez, chacun peut lire ou faire lire par quelqu’un ce qu’il a écrit aux autres participants ». Même le patient quasi-analphabète que je suivais, d’origine gitane, qui avait délaissé l’école pour prendre la route avec sa famille, est venu. Il écrivait en phonétique, et était parfois le seul à pouvoir se lire.

Pour s’apprivoiser dans le groupe, d’abord des cadavres exquis, des listes collectives de «  choses qui  » («  les choses qui m’apaisent  », «  les choses qui me manquent  »  : un patient avait écrit «  fermer une porte  » sur sa liste), et le délicieux exercice des «  sardinosaures  » qui consiste à accoler un animal et un nom commun pour créer un animal fantastique, ce qui a donné naissance à la panthermomètre et au mythique «  crocodealer  ». Explosions de rires dans l’atelier, les lectures ont parfois dû s’interrompre le temps de reprendre sa respiration après le fou-rire.

Et chaque semaine rechercher de nouveaux exercices, écrire sur un tableau, réécrire une fable de Lafontaine, écrire des acrostiches.

Et les patients, suicidaires pour certains, psychotiques pour d’autres, qui revenaient enthousiastes : « ce qui est bien docteur, c’est qu’à chaque fois on fait quelque chose de différent, ça passe trop vite  ».

Malgré mon appréhension, avec ce projet que je lançais et dans lequel je tâtonnais, je crois que ça a pris. Qu’il y a eu des écrits qui libèrent, des écrits qui font du bien à écrire et à lire. D’autres émouvants, comme ces deux patients qui ont écrit lors de l’ultime atelier des textes sur leurs enfants qu’ils n’ont pas vu grandir. Thème qu’ils se sont choisis alors que la consigne se voulait plus légère.

Et ces quelques lignes d’un patient psychotique reprenant la trame de Boris Vian  :
Je voudrais pas mourir avant mon enterrement
Je voudrais pas mourir sans avoir eu le temps
Je voudrais pas finir sans rire
Je voudrais pas mourir avant d’avoir cent ans
Je voudrais pas mourir sans avoir de dents
Je voudrais pas mourir sans descendant

Louis-Marie PETIT
Interne à Grenoble

 Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°17

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