Anatomie en chirurgie - Bases anatomiques pour comprendre le risque neurologique en chirurgie pelvienne

Publié le 19 Mar 2024 à 12:45
Article paru dans la revue « AJCV / Digest’Times » / AJCV N°1


L’anatomie est au centre de l’acte chirurgical et a fortiori de la formation chirurgicale. « Le chirurgien doit être un anatomiste averti » disait Henri Albert Hartmann. À chaque geste chirurgical s’associe une connaissance anatomique. L’interne en chirurgie se doit, tout au long d’une intervention, de reconnaître les structures disséquées, confirmer son savoir assimilé ou encore se questionner sur celui qui reste à acquérir. Notre Maître le Pr De Peretti, Professeur Universitaire et Praticien Hospitalier d’anatomie et de chirurgie orthopédique au Centre Hospitalo-Universitaire de Nice, répétait souvent à ses internes, cette phrase poétique et tellement vraie : « L’Anatomie est une jolie maîtresse, car dès qu’on lui tourne le dos, elle s’en va… ». Il est donc primordial de revenir régulièrement aux fondamentaux de l’anatomie chirurgicale. L’AJCV a décidé de promouvoir une dynamique autour de l’anatomie, avec récemment la première journée d’anatomie et de chirurgie robotique – JARCA #1, et prochainement les LACA nights. C’est dans cette intention que l’AJCV dédit un chapitre à l’anatomie pour chacun des numéros du DIGEST’TIMES.

Le laboratoire d’Anatomie de la Côte d’Azur (anciennement Laboratoire d’Anatomie Normale de la Faculté de Médecine de Nice) existe depuis 50 ans. Actuellement dirigé par les Professeurs Baqué et Bronsard, un équipement technologique multimédia très performant a été installé au cours des dernières années. Cela a permis une présence importante sur internet, avec plus de 36.500 abonnés sur sa chaîne YouTube (@NiceAnatomie), et plusieurs millions de vues des différents films autour de l’anatomie clinique ou chirurgicale, films produits par les enseigants et les élèves. Par ailleurs, ces systèmes ont permis de faire évoluer les méthodes d’enseignement de l’anatomie à la faculté de médecine de Nice. Ainsi, sont pratiquées des leçons d’anatomie traditionnelles au tableau noir à la craie (tradition maintenue par le Collège Médical Français des Professeurs d’Anatomie), leçons qui sont couplées en direct à des dissections sur cadavre commentée. Le laboratoire est aussi souvent mis à contribution lors de congrès régionaux, nationaux ou même internationaux grâce à la technologie installée permettant un distanciel à haute définition.

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La chirurgie pelvienne est une région anatomique opérée par plusieurs chirurgiens spécialisés : urologues, gynécologues et chirurgiens digestifs, chirurgiens vasculaires. Chez la femme, la topographie générale de la cavité pelvienne comprend classiquement trois étages en vue supérieure : un étage antérieur urinaire, un étage moyen génital et un étage postérieur digestif (Figure 1).

La dissection chirurgicale de la cavité pelvienne peut léser les nerfs qui s’y trouve, en particulier les nerfs du système végétatif qui commandent le fonctionnement autonome des viscères pelviens.

La détérioration des fonctions pelviennes autonomes est responsable d’une altération majeure de la qualité de vie. Qu’il s’agisse d’une protectomie avec excision complète du mésorectum, d’une prostatectomie totale ou encore d’une chirurgie d’endométriose, des techniques de préservation nerveuse ont été décrites1 .

Avec plus de 40 000 nouveaux cas annuels de cancer colorectal, le jeune chirurgien digestif se doit d’être averti sur les notions de préservation nerveuse lors d’une chirurgie carcinologique colorectale. L’innervation pelvi-périnéale est dense et comprend différents relais. Son innervation est autonome, issue des plexus hypogastriques, et cette innervation assure la régulation de la jonction sigmoïdo-rectale, de la défécation, des corps érectiles, des glandes génitales et cutanées, de la miction, des vaisseaux et des muscles lisses du périnée. Essentiellement, quatre niveaux de danger ont été décrit au cours d’une chirurgie pelvienne, que nous allons revoir pas à pas.

Figure 1 Vue supérieure cœlioscopique schématique de la cavité pelvienne ;
organisation générale des formations péritonéales pelviennes chez la femme.

Anatomie descriptive2

Le centre de contrôle de l’innervation des organes pelviens est matérialisé par le plexus hypogastrique inférieur ou ganglion nerveux pelvien. Cette structure nerveuse prend la forme de fibres nerveuses entremêlées de masses ganglionnaires cellulaires. On distingue en fait classiquement 2 plexus hypogastrique : un plexus hypogastrique supérieur, situé en regard de la bifurcation aorto-iliaque et un plexus hypogastrique inférieur, formation nerveuse paire et symétrique localisée de part et d’autre des viscères pelviens. Les viscères pelviens, les vaisseaux et les nerfs qui leur sont destinés, ainsi que ces centres de contrôles que constituent les 2 plexus hypogastriques inférieurs sont disposés dans l’espace pelvi-viscéral sous-péritonéal. Le plexus hypogastrique inférieur reçoit plusieurs afférences nerveuses végétatives, et donne plusieurs efférences.

Premièrement, il reçoit des afférences ortho-sympathiques du plexus hypogastrique supérieur. Celui-ci, pré-aortique, situé au voisinage de l’origine de l’artère mésentérique inférieur, est constitué de fibres issues des chaînes ganglionnées latéro-vertébrales (nerf sympathique lombaire) et véhiculent donc un influx nerveux ortho-sympathique, ergotrope (effet de constriction des fibres musculaires lisses des sphincters par exemple). De ce plexus hypogastrique supérieur naissent des filets nerveux descendants qui, à hauteur de la bifurcation aortique et du promontoire, se condensent de façon variable et s’unissent sous la forme de deux nerfs hypogastriques (ou nerfs pré-sacrés). L’ensemble prend la forme d’un « Y » inversé. Ces 2 nerfs cheminent en arrière puis latéralement par rapport au rectum sous-péritonéal, avant de rejoindre l’angle postéro-supérieur du plexus hypogastrique inférieur. Le plexus hypogastrique inférieur reçoit également des afférences orthosympathiques de la chaîne sympathique latéro-vertébrale sacrée (qui poursuit, vers le bas, en dedans des foramens sacrés ventraux, la chaîne sympathique lombaire) de S2 et S3, abordant aussi le plexus hypogastrique inférieur par son bord postérieur.

Deuxièmement, le plexus hypogastrique inférieur reçoit des afférences para-sympathiques, qui véhiculent des fibres cholinergiques trophotropes (effet de dilatation des fibres musculaires lisses, par exemple des vaisseaux destinés aux et constituant les corps érectiles).

Ainsi, en simplifiant très schématiquement, on peut dire que « l’érection est un phénomène para-sympathique » (vasodilatation des corps érectiles), alors que « l’éjaculation est un phénomène orthosympathique (contraction des voies spermatiques). À partir de ce plexus nerveux hypogastrique, où se mélangent des fibres ortho et para-sympathiques (définition d’un plexus), sont issus des nerfs destinés aux viscères pelviens. On retrouvera donc en particulier :

  • Au niveau de l’étage antérieur, des efférences digestives ortho et para-sympathiques participant aux mécanismes inconscients de la défécation ;
  • Au niveau de l’étage moyen, des efférences génitales ortho et para-sympathiques responsables de la fonction sexuelle ;
  • Au niveau de l’étage postérieur, des efférences urinaires ortho et para-sympathiques impliquées dans les phénomènes automatiques de miction.

La plupart du temps, ces fibres nerveuses accompagnent les vaisseaux sanguins qui irriguent les viscères pelviens. Ces fibres sont très fines et parfois très difficilement visibles à l’œil nu. Il est plus facile de les repérer à travers l’identification de la vascularisation viscérale dont ils sont satellites. Chez l’homme, concernant l’innervation du carrefour uro-génital, ces nerfs sont situés au niveau des bandelettes neurovasculaires suite aux travaux de Walsh publiés en 1982. Elles sont situées à 5h et 7h, sur les faces antérolatérales du bas rectum3 . Chez l’homme encore, ce plexus rejoint le bord postéro-latéral de la prostate et est accompagné par l’artère capsulaire prostatique et des veines prostatiques. Chez la femme, il chemine le long de la division antérieure du septum recto-vaginal.

Le système ortho-sympathique est impliqué dans la continence urinaire, la tonicité anale et participe chez l’homme à l’éjaculation. Une dénervation ortho-sympathique sera à l’origine de séquelles sexuelles, de type anéjaculation ou éjaculation rétrograde (en raison de la fermeture synchrone du sphincter lisse de la vessie au moment de l’éjaculation), et urinaires à type d’incontinence ou d’impériosité.

Le système para-sympathique pelvien assure quant à lui la motricité du détrusor, le relâchement du sphincter lisse de l’urètre (et donc de la vidange vésicale), et la motricité de l’ampoule rectale. Il participe à l’érection. Le symptôme majeur de l’atteinte para-sympathique est l’impuissance chez l’homme.

Anatomie chirurgicale

Les sites anatomiques à risques de plaie nerveuse peuvent être concentrés en quatre zones dangereuses : de haut en bas : Zone 1 : la racine de l’artère mésentérique inférieur, Zone 2 : le promontoire sacré, Zone 3 : la région postérolatérale du rectum, Zone 4 : la région antérolatérale du rectum (Figure 2)4.

Figure 2 (A) Vue sagittale schématique passant par le rectum ; (B) Vue tri-dimensionnelle de la cavité pelvienne.
AIC Artère iliaque commune, AIE, Artère iliaque externe, AII Artère iliaque interne, AMI Artère mésentérique inférieur, Z zone.

Zone 1

Ligature de l’artère mésentérique inférieur (Figure 3)

Lors d’une résection colorectale carcinologique, le curage ganglionnaire nécessite une ligature de l’artère mésentérique inférieur à son origine, de façon à garantir un curage lymphatique satisfaisant. De façon à ne pas léser le plexus hypogastrique supérieur, la technique chirurgicale recommandée consiste à sectionner l’artère à environ 2 cm de son origine sur l’aorte abdominale5. Une traction du colon iliaque verticalement, mettant en tension l’axe mésentérique inférieur, permettra de s’éloigner de cette zone de danger. Une plaie nerveuse lors de cette ligature pourra engendrer des troubles de l’éjaculation (classiquement à type d’éjaculation rétrograde), étant donné qu’il s’agit d’un contingent orthosympathique comme nous l’avons vu.

Figure 3 Dissection anatomique montrant le plexus hypogastrique supérieur et les nerfs hypogastriques en « Y » inversé
et l’artère mésentérique inférieur (lac bleu). * Nerf hypogastrique, Z zone

Zone 2

Dissection postérieure du mésorectum

Dans le cancer du rectum, l’exérèse complète du mésorectum est aujourd’hui un gold standard. Le décollement rétro-rectal est amorcé au niveau du promontoire, poursuivi le long de la courbure sacrée, dans un plan normalement avasculaire entre le fascia présacré et le fascia recti. Une dissection optimale est obtenue lorsque le fascia périrectal est emporté, sans l’enfreindre, et que le fascia pré-sacré est respecté, tout en préservant les nerfs hypogastriques qui cheminent entre ces 2 fascias. À l’inverse, une erreur de plan de dissection depuis le promontoire sacré cranialement, vers le coccyx caudalement, exposera à une lésion nerveuse qui engendrera des troubles urogénitaux. On ajoutera qu’en regard de S4, le feuillet pariétal présacré fusionne avec le fascia recti sur la ligne médiane pour former le ligament rétro-sacré, dont la section ouvre la partie terminale de la dissection postérieure du bas rectum, exposant le plan des releveurs.

Zone 3

Dissection antérolatérale du mésorectum (Figure 4)

Lorsque la dissection rectale se poursuit sur les faces latérales et ventrales, l’opérateur prendra des précautions pour ne pas léser directement le plexus hypogastrique inférieur. Le plexus donne à environ 2 cm sous la réflexion péritonéale, des branches efférentes à destinées du rectum, qui devront être sectionnées. Lorsque la dissection est réalisée le long du fascia recti, l’opérateur ne rencontrera ces fibres nerveuses qu’à leur partie distale. Cette dissection retrouvera aussi l’artère rectale moyenne (dans 20 % des cas)6. Un saignement de cette artère pourra alors rendre la dissection plus difficile et ajouter un risque de latéralisation du plan de dissection, dans le fascia pelvi-latéral contenant le plexus hypogastrique inférieur. De manière générale, cette zone est souvent moins à risque car plus à distance du mésorectum.

Figure 4 Dissection anatomique montrant le plexus hypogastrique inférieur
et les nerfs hypogastriques en « Y » inversé. * Nerf hypogastrique, Z zone

Zone 4

Dissection antérieure du mésorectum ou périprostatique (Figure 5 et 6)

Enfin, dans le cheminement antérieur de la dissection, on retrouvera le fascia de Denonvilliers chez l’homme, et le septum recto-vaginal chez la femme. Antérieurement à ces deux structures se trouvent les bandelettes neurovasculaires de Walsh, fibres nerveuses à destinées du plexus urétral, du nerf caverneux, et du nerf spongieux. Le risque de lésion nerveuse sera prépondérant dans l’exérèse de tumeurs rectales antérieures, qui nécessiteront d’emporter avec la pièce opératoire le fascia de Denonvilliers ou la division postérieure du septum recto-vaginal. Seule la nécessité d’obtenir des marges circonférentielles antérieures saines pourra justifier une dissection extra-mésorectale.

L’identification des vésicules séminales chez l’homme est un repère constant, protégeant le risque d’une dissection trop profonde vers l’avant. Des séquelles à type d’impuissance post-opératoire après protectomie ou après prostatectomie pour cancer sont donc les séquelles classiques constatées lorsque ces régions ont dû être abordées.

Figure 5 Vue transversale de la cavité pelvienne passant par les vésicules séminales.

Figure 6 Dissection anatomique montrant le plexus hypogastrique inférieur
et les bandelettes neurovasculaires de Walsh. * Nerf hypogastrique, Z zone

Conclusion

L’anatomie de l’innervation des organnes pelvien est complexe à comprendre, mais aussi à identifier par la dissection chirurgicale, en raison du polymorphisme des structures nerveuses, de leur taille, souvent très fine, mais aussi et surtout en raison de leur situation en profondeur dans l’entonnoir pelvien. Ces structures sont de surcroît noyées dans la graisse, parfois abondante, qui comble l’espace pelvi-viscéral, pelvi-sous-péritonéal et son système des fascias pelviens, ce qui nécessite de larges incisions péritonéales et d’importantes mobilisations viscérales pour les identifier lors des interventions chirurgicales dans cette région. La systématisation en quatres zones schématique permet d’éviter au maximum une lésion neurologique potentielle, sources de séquelles fonctionnelles souvent très handicapantes et qui peuvent considérablement altérer la qualité de vie des patients.

 


Dr Sébastien FREY 1,2,3


Victor TEMIME 1,3


Patrick BAQUÉ 1,2,3

1- Service de Chirurgie Digestive,
Hôpital Pasteur  2,
Centre HospitaloUniversitaire de Nice,
France
2- Laboratoire d’Anatomie Côte d’Azur
3- Université Côte d’Azur

Correspondance
Dr Sébastien Frey
Service de Chirurgie Digestive,
Hôpital Pasteur 2,
Centre Hospitalo-Universitaire de Nice,
[email protected]

 

Références

  • Fermaut M, Nyangoh Timoh K, Lebacle C, et al. Identification des sites anatomiques à risque de lésion nerveuse lors de chirurgie pour endométriose pelvienne profonde. Gyn Obs Fert 2016;03:007.
  • Baqué P, Heckaiem L. Leçons d’anatomie Ellipse 2022.
  • Walsh PC, Donker PJ. Impotence following radical prostatectomy : insight into etiology and prevention J. Urol. 1982 ; 128:492-497.
  • Moszkowicz D, Alsaid B, Bessede T, et al. Where does pelvic nerve injury occur during rectal surgery for cancer ? Col Rec Dis. 2011 ; 13:1326-1334.
  • Pirlet I, Mercier N, Fabre JM. Traitement chirurgical des cancers du côlon gauche. EMC – Techniques chirurgicales – Appareil digestif 2013;8(4):1-10.
  • Sato K, Sato T. The vascular and neuronal composition of the lateral ligament of the rectum and the rectosacral fascia. Surg Radiol Anat. 1991;13(1):17-22.
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