Actualités : Alors, on danse ? - Les pas de base pour ouvrir les congrès aux patients

Publié le 01 avr. 2025 à 11:05
Article paru dans la revue « GÉNÉRATION S ENDOC » / GÉNÉRATION ENDOC N°3

Les personnes vivant avec un diabète revendiquent leur place dans les rencontres scientifiques. Cependant, leur inclusion est loin d'être systématique. Comment faire bouger les organisateurs ?

L'échauffement

En guise d'étirements, j'invite chacun à ouvrir son esprit et à imaginer un congrès où les patients déambulent entre les stands, assistent aux sessions scientifiques, puis partagent ce qu'ils ont appris auprès de leur communauté, que ce soit sur les réseaux sociaux ou lors d'un futur café-diabète.

En réalité, la plupart des congrès internationaux et européens sur le diabète pratiquent cette chorégraphie depuis plusieurs années. L'European Association for the Study of Diabetes, l'International Study of Pediatric and Adolescent Diabetes et l'American Diabetes Association, pour ne citer que les plus reconnus, accueillent chaque année une quarantaine de patients, en présentiel ou en ligne, via le programme de bourse #dedoc° voices, créé par des patients qui voulaient à tout prix «  danser  » avec les scientifiques. La bourse, financée par l'industrie, offre aux patients engagés dans l'accès à l'information et la recherche scientifique l'opportunité de participer aux grandes messes de la diabétologie. Lors de ces congrès destinés aux professionnels de santé, il arrive également que des patients présentent leur projet ou leur témoignage, à la manière d'un chercheur rapportant les derniers résultats de son étude. Mais ce genre de programme et de mise en avant de la parole du patient peinent encore à exister en France. 

Les crampes

Vous l'avez sûrement déjà observé : les patients ne sont présents à la rencontre annuelle de la Société Francophone du Diabète (SFD) que dans l'espace réservé aux associations de patients, sur le stand d'un industriel ou d'un prestataire de santé à domicile, ou encore autour d'une table-ronde animée par l'un de ces acteurs. En règle générale, les patients présents sur place - qui se comptent sur les doigts de la main - ne sont pas autorisés à assister aux sessions scientifiques.

Pourtant, danser avec des personnes vivant avec un diabète est très bénéfique pour la santé des professionnels de santé.

D'après mon expérience de #dedoc° voices, qui m'a permis d'assister à mon tout premier congrès Advanced Technologies and Treatments for Diabetes (ATTD) à Barcelone en 2022, à l'époque où je tenais mon blog Diabetopole, ancêtre de Glucose toujours, les interventions des patients enrichissent le débat et permettent de recentrer la discussion sur les préoccupations des patients. Je me souviens d'une phrase prononcée par l'actuelle présidente de l'EASD, fervente partisane de #dedoc°, qui enjoignait les patients participants à poser des questions et à demander aux intervenants  : “Pourquoi ce que vous présentez est-il pertinent pour moi en tant que patient ?”. 

La présence de patients aux congrès joue aussi un rôle de catalyseur, en particulier sur les réseaux sociaux, où ils sont majoritairement actifs. Les comptes X (ex-Twitter) les plus actifs et influents pendant un congrès sont ceux des patients qui, à coup de publications, partagent, commentent, questionnent ce qu'ils ont entendu et vu lors d'un symposium. Les patients amplifient ainsi la voix des chercheurs, la rendant plus accessible à leur pair, et contribuent à accroître la visibilité de ces événements.

Les faux-pas

Les patients invités à intervenir en tant qu'orateur à ces rencontres sont encore trop peu nombreux. À l'ISPAD ou à l'EASD par exemple, ils ont leur propre symposium, à destination des professionnels de santé, intitulé “Ce que nous aimerions que vous sachiez, et pourquoi”. Un tel espace de parole, réunissant des patients d'horizons différents et pas forcément issus du milieu associatif, n'aurait-il pas sa place au congrès de la SFD ?

Cependant, la participation de patients orateurs soulève de nombreuses questions, notamment éthiques, et je distingue principalement trois faux-pas.

Inviter un patient à prendre la parole sans le rémunérer est un premier pas de travers. Leur intervention doit être valorisée au même titre que celle du professionnel de santé présent à la même table-ronde.

Deuxième faux-pas : inviter des patients pour se donner bonne conscience sans collaborer avec eux le reste de l'année. La bachata à deux, c'est mieux.

Enfin, force est de constater qu'aujourd'hui, l'industrie pharmaceutique est celle qui invite le plus fréquemment les patients à intervenir, lors de symposiums, par exemple. Reconnaissons qu'elle a le mérite de rémunérer généralement les patients pour leur intervention. Cependant, cette relation financière entre le patient et l'industrie pharmaceutique est problématique à plusieurs égards. Comment, dans ce contexte, concilier l'importance d'entendre la voix des patients, la juste valorisation de leur expertise, tout en préservant l'éthique et l'indépendance des débats ? La question se pose et se posera avec encore plus d'acuité les prochains mois avec la montée en charge des débats sur le dépistage du diabète de type 1, menés en grande partie par l'industrie et qui mobilise tous les acteurs du diabète, même les patients. 

Le grand final

Le diabète n'est pas une battle de danse entre les patients et les soignants. C'est une valse à trois temps : un les patients, deux les professionnels de santé, trois les industriels.

Les exemples européens et internationaux de participation active de personnes vivant avec un diabète prouvent qu'un congrès scientifique peut adopter des formats variés et, sous certaines conditions, accueillir les patients sur le dancefloor. A contrario, l'exemple français montre que la chorégraphie n'est pas encore maîtrisée. Les rencontres de professionnels de santé organisées dans l'hexagone peuvent devenir plus inclusives et valoriser davantage l'expertise des patients et l'indépendance des débats et des partenariats.

En 2025, il est inconcevable de parler de nous sans nous. Et nous, patients, ne resterons pas les bras croisés à attendre les prochaines recommandations ou le futur dispositif, décidés derrière les portes closes d'un palais des congrès.

Organisateurs, si vous redoutez les patients engagés, souvenez-vous des paroles prophétiques de Stromae : “Quand y en a plus et ben y en a encore”. Alors, on danse ?

Nina TOUSCH
Journaliste et activiste vivant
avec un diabète de type 1

Publié le 01 avr. 2025 à 11:05