Allaitement maternel

Publié le 11 May 2022 à 07:59


Un accompagnement axé autour des questions cruciales

Le lait maternel est unique sur le plan nutritionnel, biologique et immunologique, et sa composition évolue constamment pour répondre seul au mieux aux besoins de l’enfant jusqu’à l’âge de la diversification. Les nombreux bénéfices en termes de santé pour l’enfant et la mère parfois trans-générationnels sont à ajouter au fait que l’allaitement maternel est un bon moyen pour les familles et un pays de faire des économies, et c’est le mode de nourrissage le plus écologique pour la planète. A l’entrée en maternité 85 % des femmes souhaitent allaiter dont 70 % exclusivement et seule 52 % réalisent leur souhait à la sortie de maternité. Le principal facteur responsable est la non application de la recommandation n°5 OMS et celles qui ont échoué dans leur projet dénoncent des discordances de discours entre professionnels. La moitié des femmes déclarent rencontrer des difficultés lors de leur allaitement, les principales sont : sensation de manque de lait (11,5 %), engorgement (6,5 %), difficultés à prendre le sein (6 %), lésion du mamelon (7,3 %), mastite (5 %). Ces difficultés et la reprise précoce du travail expliquent la chute brutale du taux d’allaitement qui est de moins de 10 % à 6 mois, voire moins de 3 % pour l’allaitement exclusif. Les pédiatres, comme les autres professionnels de santé, doivent être capables de prévenir la survenue de ces complications et de les prendre en charge de façon adaptée. C’est en se rapprochant au mieux des dix conditions pour le succès de l’allaitement maternel (WHO/UNICEF) que celui-ci a le plus de chances de bien démarrer et de se prolonger sans douleur, la formation des professionnels en faisant partie intégrante. En tant que pédiatre, vous devrez appliquer les basiques de la physiologie de la lactation afin d’éviter des pratiques qui risquent de compromettre la mise en place et la poursuite de l’allaitement pour le nouveau-né sein bien portant comme celui hospitalisé.

Les principes clés à respecter

Contact peau à peau et tétée précoce
L’obligation de surveillance soutenue du nouveau-né dans les deux premières heures de vie (Décret de périnatalité n°98-900 du 9 octobre 1998) n’est pas incompatible, pour le nouveau-né bien portant, avec la mise en peau à peau précoce. Celle-ci permet au bébé, grâce à son réflexe de fouissement et à son extrême vigilance dans les premières heures de vie, de mieux acquérir la technique correcte de succion.

Cohabitation du nouveau-né avec sa mère
Le maintien 24 heures sur 24 du bébé auprès de sa mère facilite les mises au sein de jour comme de nuit, stimule la monté laiteuse tout en limitant le risque d’engorgement. La pratique du « cododo » (nourrisson se trouvant à peu de distance de sa mère mais non dans la même surface de sommeil), contrairement au « partage de lit », permet la proximité mère-enfant nécessaire au bon déroulement de l’allaitement en toute sécurité et dans le respect des règles de prévention de la mort inattendu du nourrisson.

Importance de la bonne position du nourrisson au sein
Une bonne position entraîne une stimulation optimale de la lactation et prévient les douleurs et les crevasses. Il est indispensable dès les premières tétées, de repérer et de corriger systématiquement toute technique de succion inadéquate (figure 1).


Figure 1 : Reconnaitre une prise de sein efficace, corriger les mauvaises prises du sein

L’équipe doit enseigner à la mère les différentes positions qu’elle peut adopter pour allaiter (figure 2). Varier les postions permet aussi de stimuler l’ensemble de la glande mammaire et donc d’impliquer tous les cadrans des seins dans la production lactée, de faciliter la reprise du poids et de prévenir des complications (engorgement, mastite) en cas de variation de rythme.



Figure 2 : Les positions aux seins
(a)
Madone, (b) Madone allongé, (c) Ballon de rugby, (d) Allongé, (e) Jumeaux, (f) Biologic nurturing , (g) Face à face

Fréquence et durée des tétées
La restriction du nombre des tétées est associée à un arrêt plus fréquent de l’allaitement, à d’avantage d’engorgements et de douleurs du mamelon, et à un recours plus habituel aux compléments. Il est inutile de réveiller le bébé la nuit pour l’allaiter. Il existe de grandes variations interindividuelles mais la durée d’une tétée est conditionnée par le débit de lait et la concentration lactée en graisse. Hormis lors de la mise en route de la lactation où il est préférable de faire téter à chaque fois les deux seins afin de stimuler la montée laiteuse et de prévenir l’engorgement, il est conseillé de laisser téter le bébé un sein jusqu’à ce qu’il s’arrête de lui-même avant de lui proposer sans forcer le second s’il semble encore réclamer.

Focus sur les biberons de complément et la stimulation de la production lactée
Lorsqu’un allaitement exclusif est souhaité, aucun biberon de complément ne doit être donné sans indication médicale. 

Les risques des biberons de complément
Perturbation de l’adaptation métabolique de l’enfant, trouble digestif par inadaptation à la faible capacité de l’estomac du nouveau-né : 5 à 7 ml à J1, 22 à 25 ml à J3, 45 à 60 ml à J7, 80 à 150 ml à J30, perturbation de la prise du sein en bouche, diminution de la stimulation de la production lactée de la mère : un enfant rassasié par un biberon de complément ira moins au sein, un sein moins vidé se rempliera moins, expose donc à une insuffisance de production lactée, perte de confiance de la mère en son allaitement, augmentation du risque infectieux, en perturbant le microbiote, et du risque allergique par « the killing bottle », le premier biberon sensibilisateur aux protéines de lait de vache.

Ce qui ne doit pas être une indication des biberons de complément
Perte de poids excessive (>7 %) sans signes de déshydratation ou ictère, chez un nouveau-né tétant bien et une mère qui présente des signes d’initiation de la lactation, perte de poids à H52 car elle est physiologique et doit être respectée. peur de l’hypoglycémie et/ou de l’insuffisance d’apport, tétées considérées comme trop espacées chez un nouveau-né sans facteur de risque et en bonne santé, fatigue maternelle, difficulté à gérer les pleurs.

Si un complément est indiqué, quel lait utiliser ?
En cas de poids < 2400g ou P< -2DS : Préparation pour faible poids de naissance (Lait préma étape 2). Poids normal et en l’absence de risque allergique : préparation pour nourrisson. Poids normal et risque allergique (antécédent familial au premier degré : parents, fratrie) : un hydrolysat de protéines ayant fait la preuve de son efficacité en prévention de l’allergie.
Volume maximum des compléments :

  • 5 ml à J0
  • 7 ml à J1
  • 10 ml à J2
  • 15 ml à J3

Mode d’administration : biberon, DA, seringue, sonde selon l’indication et la situation du nouveau- né.

En cas de motivation à reprendre un allaitement exclusif chez la mère, chez qui une hypolactation est documentée, tout complément doit être associé à une stimulation de la lactation, il faut alors :

  • Prescrire la location d’un tire-lait pour favoriser les compléments au lait de mère.
  • Augmenter la fréquence des mises au sein.
  • Boire à sa soif.
  • Manger équilibré.
  • Limiter le stress.
  • Faire du peau à peau - portage.
  • Aucun médicament sur le marché n’a fait preuve de son efficacité.

Focus sur la reprise du travail et l’allaitement et le recueil de lait

3 Schémas sont possibles

1 Poursuivre l’allaitement.
2 Utiliser le lait stocké pour nourrir son enfant la journée. Le lait peut être conservé 4 mois au congélateur, le lait décongelé au réfrigérateur doit être consommé dans les 24h.
3 Continuer à tirer son lait pour recouvrir les besoins du bébé. 

Droit au travail et allaitement
La législation ne prévoit pas de congé d’allaitement, sauf dans de rares conventions collectives. Durant la première année, une mère qui allaite peut bénéficier d’une heure par jour sur son lieu de travail pour tirer son lait. Le lait recueilli avec un tire-lait manuel ou électrique (Annexe 2) et conservé à +4°C sera donné à son nouveau-né dans les 48h.

Conditions générales d’hygiène devant être respectées avant de recueillir le lait

  • Se laver les mains avant chaque recueil, mais pour les seins, une douche quotidienne suffit.
  • Après chaque utilisation le set de pompage doit être démonté, les pièces lavées à l’eau chaude savonneuse, rincées et séchées à l’air libre.

    Conditions d’hygiène supplémentaire en cas de don de lait au lactarium ou si allaitement d’un enfant hospitalisé en néonatologie
  • Se laver les mains puis les seins au savon doux puis les rincer à l’eau courante et les sécher à l’aide d’un papier à usage unique.
  • Nettoyage du matériel et décontamination après utilisation :

              - avec une solution hydrochlorée à froid (Milton®, Solustéril®) ;
              - à chaud (Cocotte-minute 10 minutes, casserole avec un couvercle 20 minutes d’ébullition).

  • Utilisation de biberons stériles, le plus souvent donnés par le lactarium ou le service d’hospitalisation.
  • Dans les services hospitaliers du matériel à usage unique (téterelle) doit être mis à disposition des mères.

Tableau 1 : Conditions d’hygiène devant être respectées pour recueillir du lait

A retenir : Pour stimuler et entretenir un allaitement maternel pour un enfant hospitalisé ou né prématurément il faudra un minimum de 6 séances d’expression du lait par jour, préférer un set de pompage double, tirer jusqu’à ce que le lait ne s’écoule plus (plus le sein est vidé plus il se remplit), multiplier les séances de peau à peau.

Ne jamais recongeler du lait décongelé
Ne jamais réchauffer du lait au micro-onde
Tout biberon de lait de femme entamé doit être jeté

Tableau 2 : Durée de conservation du lait de femme

Sevrage : La diminution du nombre des tétées entraîne une baisse progressive de la production lactée.
Le sevrage devra être progressif pour éviter l’engorgement à raison d’une tétée en moins tous les deux à trois jours, en évitant de commencer par celle du matin, et en alternant sein et biberon sur le nycthémère. Le choix du type de tétine, pour faciliter la prise du biberon, devra être orienté par le comportement du bébé au biberon. Il sera parfois plus aisé avec le père ou la nourrice, voire en passant directement à la cuillère dans le cadre de la diversification qui est envisageable à partir de 4 mois révolues.

Être capable de répondre aux questions des familles sur le quotidien :

La foire aux questions

  • Est-ce qu’allaiter abime les seins ?
    Non.
  • Est-ce que je peux manger de tout ?
    Oui.
  • Et si je prends un verre d’alcool ?
    Éviter sinon attendre 4 heures avant de remettre au sein.
  • Peut-on allaiter et fumer ?
    Éviter, mais mieux vaut allaiter que faire subir à son enfant un tabagisme passif, et ne pas l’allaiter.
  • Mon lait est-il pollué ?
    Les règles qui limitent l’exposition d’un individu sont valables pour l’allaitement mais un relargage de substances stockées dans les graisses est possible, éviter tout régime amaigrissant pendant l’allaitement.
  • A combien de cafés ai-je droit ?
    Maximum trois, attention aux autres sources d’excitant (thé, sodas...).
  • Est-ce que je dois reprendre une contraception ?
    Oui, l’allaitement n’est pas un moyen imparable. Préférer les pilules microdosées.
  • Dois-je suspendre mon allaitement après la pilule d’urgence ?
    Non.
  • Il n’existe aucun interdit alimentaire ?
    Aucun. Si je mange équilibré, aucun supplément n’est nécessaire, favoriser les aliments riches en oméga 3 et 6, votre lait n’en sera que plus riche.
  • Mon bébé tête tout le temps, n’ai-je pas assez de lait ?
    Vérifier la courbe de poids, rassurer. Dans le premier mois, la capacité de stockage ou de transfert de lait est faible et il lui faut des tétées rapprochées pour avoir suffisamment.
  • Comment faire pour qu’il fasse ses nuits ?
    Pas de solution miracle mais pour qu’un bébé espace un peu les tétées, on peut optimiser le transfert de lait : mettre au deux seins à chaque tétée, stimuler le bébé, comprimer le sein en fin de téter pour l’aider à ingérer plus et plus passivement, vérifier la position du sein en bouche et varier les positions au sein.
  • Est-ce qu’il prend assez de lait ?
    La cinétique de croissance parle d’elle-même et doit permettre de rassurer tout le monde, la famille et le pédiatre. Si elle est un peu ralentie, se donner du temps, stimuler la production lactée, et optimiser le transfert de lait.

Être capable de prendre en charge ces situations : La foire aux ordonnances

Sensibilité douloureuse
La plupart des douleurs mamelonnaires sont liées à un mauvais positionnement au sein. Un mamelon qui ressort pincé témoigne d’une mauvaise prise du sein en bouche à corriger.

Crevasse
Favoriser la cicatrisation : après les tétées, appliquer du lait et selon le stade, crèmes protectrices à base de lanoline ou miel cicatrisant à base de miel pharmaceutique et laisser en milieu humide sous un film alimentaire chan ger toutes les 24h jusqu’à cicatrisation, ne pas interrompre la mise au sein, revoir la position du sein en bouche et varier les positions au sein.

En cas de douleur importante
Antalgique type paracetamol, l’utilisation transitoire de bouts de seins contact est possible voire d’un tire-lait pendant 24 à 48h est parfois nécessaire en adaptant au mieux la taille de la téterelle.

Engorgement
Augmenter la fréquence des mises au sein, appliquer de la chaleur avant la tétée, compléter le drainage par un massage voire avec un tire-lait pour, antalgique type paracétamol et si besoin, anti-inflammatoire type Ibuprofène.

Mastite
Prise en charge initiale comme l’engorgement mais avec anti-inflammatoire sous surveillance et réévaluation toutes les 24h. Si fore récidivante, en l’absence d’amélioration après 24 à 48h de traitement, si signes de gravité (forte fièvre, aspect local), si prise en charge tardive, si crevasse surinfectée associée, prescrire Pyostacine 1g / 8h, ajuster la durée des AINS et de l’antibiothérapie en fonction de l’évolution. En l’absence d’amélioration sous antibiotique, rechercher un abcès par échographie pour une prise en charge rapide par ponction (Prise en charge par ponctions écho-guidées des abcès du sein lactant. V. Rigourd et al. https://www.gyneco-online.com/gynecologie/ prise-en-charge-par-ponctions-echo-guidees...).

Réflexe d’éjection fort
Position en bioliogic nurturing, éventuellement bout de sein.

Vous entourer des bon outils pour répondre aux questions sur médicaments et allaitement
Lactmed : http://toxnet.nlm.nih.gov/cgi-bin/sis/search lactmed.nlm.nih.gov
e-lactantia : http://www.e-lactancia.org/
Le CRAT : http://www.lecrat.org/

Ou des ouvrages de référence comme :
Medications and mothers’milk. T. Hale Ed 2019.
Médicaments et allaitement : Les cas cliniques les plus fréquemment observés dans la pratique
courante. Pour le professionnel de santé Ed. R. Atlani 2015.

Pour en savoir plus
Allaitement maternel : difficultés et complications. V. Rigourd et al Perfectionnement en Pédiatrie 2019;2:62–71.
Conduite pratique de l’allaitement maternel. V. Rigourd et al Perfectionnement en Pédiatrie 2018, 1 : 271-8.
Quelles modalités pour ne pas compromettre l’allaitement maternel en cas d’hospitalisation du nouveau-né ou du nourrisson ? Virginie Rigourd et al., Nutrition & Pédiatrie • Septembre 2019 •
Vol. 12 • numéro 29.

Dr V. RIGOURD
Pédiatre Néonatalogie Hôpital Necker
Pédiatre responsable du Lactarium régional d’Île-de-France Hôpital Necker
Réseau de santé périnatal parisien, Paris, France

  • Aucun conflit d’intérêt ni aide financière •

Correspondance
Dr V. Rigourd
Lactarium régional d’Île-de-France, Hôpital Necker, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris, France
Téléphone : 01 71 19 60 48 • Télécopie : 01 71 19 60 49
Courriel : [email protected]

Article paru dans la revue “Association des Juniors en Pédiatrie” / AJP n°17

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