De plus en plus de membres du personnel des services de prévention en santé au travail sont concernés par la mise en place de primes d’objectifs et s’interrogent sur la licéité de telles pratiques, tout particulièrement les professionnels de santé, médecins du travail et infirmiers en santé au travail. En effet contrairement aux autres membres du personnel ils sont astreints au respect de leurs codes de déontologie respectifs.
Les codes de déontologie et les rémunérations liées à l’activité
Article R4127-97
Un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins.
Article R4127-5
Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.
Article R4312-64
L'infirmier salarié ne peut, en aucun cas, accepter que sa rémunération ou la durée de son engagement dépendent, pour tout ou partie, de normes de productivité, de rendement horaire ou de toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité ou à la sécurité des soins.
Article R4312-6
L'infirmier ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit. À la lecture de ces deux textes nous pouvons en déduire :
• Que c’est sur le professionnel de santé médecin ou infirmier que repose le respect de son indépendance professionnelle, il est le gardien de son indépendance. Il lui appartient donc de vérifier que les primes d’objectifs proposées ou imposées par l’employeur ne mettent pas en péril son indépendance professionnelle
• Que les textes n’interdisent pas en soi une rémunération qui soit basée sur une norme de productivité ou de rendement horaire mais ces normes ou rendements ne doivent en aucune façon limiter, affecter l’indépendance professionnelle ou altérer LA QUALITÉ DES SOINS
Le CNOM a introduit un recours au Conseil d’État en 2009 contre les primes aux résultats proposées (CAPI) aux médecins généralistes par la CNAM non pas sur le principe de primes aux résultats mais sur le fait que l’Assurance Maladie demandait aux médecins ne pas communiquer à l’Ordre des médecins les contrats signés.
À titre d’exemple (Publication du CNOM d’août 2020 concernant le statut du praticien hospitalier), le CNOM précise clairement que le principe et l’existence d’objectifs y compris quantitatifs ne sont pas contestables, cela ne signifie pas pour autant que tous les objectifs soient acceptables.
Les modalités de rémunération des cliniciens hospitaliers sont-elles compatibles avec la déontologie médicale ?
Comme on l’a vu, le principe d’une rémunération variable est prévu par la loi (article L.L6152-3) ; il n’est donc pas possible de remettre en cause les modalités de rémunération des cliniciens hospitaliers. Cependant, aucune des dispositions légales et règlementaires applicables aux cliniciens hospitaliers n’a abrogé l’article 97 du code de déontologie médicale, qui prévoit qu’« un médecin salarié ne peut, en aucun cas, accepter une rémunération fondée sur des normes de productivité, de rendement horaire ou toute autre disposition qui auraient pour conséquence une limitation ou un abandon de son indépendance ou une atteinte à la qualité des soins. ». Le praticien reste donc tenu de respecter ses obligations déontologiques. Il convient de concilier l’exigence d’indépendance professionnelle et de qualité des soins posée par l’article 97 du code de déontologie avec l’instauration dans le contrat d’une rémunération variable indexée sur les résultats. Si le principe et l’existence d’objectifs y compris d’objectifs quantitatifs, ne sont pas contestables, cela ne signifie pas pour autant que tous les objectifs soient acceptables. D’ailleurs, l’article L.6152-3 lui-même prévoit que les éléments variables de la rémunération sont fonction d'engagements particuliers et de la réalisation d'objectifs quantitatifs et qualitatifs conformes à la déontologie. C’est donc lors de la négociation des objectifs et notamment des objectifs quantitatifs que la vigilance la plus extrême est requise. Par exemple, s’il est fixé un objectif portant sur un nombre d’actes à accomplir chaque année, il importe de vérifier que le chiffre à atteindre n’est pas démesurément haut par rapport à ce qu’il est possible de réaliser sans dégrader la qualité des soins. À titre d’illustration, le Conseil national a ainsi considéré, à l’occasion de l’examen d’un contrat proposé à une ORL qui fixait les objectifs suivants pour une année : - adénoïdectomies + drains = 50 - amygdalectomies = 25 - maeatomie moyenne = 25 - consultations externes = 3000 que l’objectif était trop ambitieux en ce qui concerne le nombre de consultations (ce qui pouvaient générer des reconvocations inutiles), mais relativement modeste en ce qui concerne le nombre d’actes chirurgicaux bien que l’on puisse s’étonner que seuls trois actes chirurgicaux aient été retenu comme objectif.
Les commentaires associés aux articles 5 (indépendance professionnelle) et 97 du code de déontologie médicale (médecine salariée et normes de productivité mettent en garde les médecins salariés contre le risque de perte de l’indépendance médicale.
Article 5 : Extrait du commentaire associé
« S'il existe, plus ou moins apparent, au niveau des établissements de santé, le risque de subordination reste important pour la médecine salariée. Ce mode de rémunération a tendance à se développer, y compris sous forme vacataire et pour des raisons de convenance personnelle. Mais la subordination dans la décision médicale est inadmissible. ».
https://www.conseil-national.medecin.fr/code-deontologie/devoirs-generaux-medecins-art-2-31/article-5-independanceprofessionnelle
Article 97 : extrait de commentaire associé
« Cet article est essentiel pour préserver l’indépendance du médecin dans son activité médicale. Dans plusieurs hypothèses, l’indépendance professionnelle du médecin peut être menacée :
• Contrat de travail ;
• Convention collective ;
• Accord d’intéressement ;
• Rémunérations complémentaires des médecins hospitaliers ;
• Instructions et objectifs donnés aux médecins salariés.
Les contrats qui les définissent devront donc être rédigés avec le plus grand soin.
Il est rappelé ici, que si les contrats doivent obligatoirement être soumis à l’instance compétente de l’Ordre des médecins (article L.4113-9 du code de la santé publique), il est vivement conseillé, avant leur signature, de solliciter l’avis de l’Ordre.
Le paiement mensuel ou horaire est le plus fréquent. Sa fixité devrait mettre, en principe, le médecin à l’abri des pressions. Il faudra cependant être vigilant sur deux points :
• Les rémunérations complémentaires (octroi de primes ou d’avantages…) ne devront en aucun cas être subordonnées à des objectifs quantitatifs qui porteraient atteinte à l’indépendance du médecin telle qu’elle a été envisagée aux articles 5 et 95 du code.
• Il en est de même pour les évolutions de carrière et donc de rémunérations. Il est préférable qu’elles soient fixées sur des indices ou des critères objectifs indépendamment du pouvoir discrétionnaire de l’employeur ».
Et
« De façon générale, le médecin et l’Ordre doivent être vigilants sur les objectifs quantitatifs voire qualitatifs qui lui seraient imposés. ».
https://www.conseil-national.medecin.fr/code-deontologie/ lexercice-profession-art-69-108/3-exercice-salarie-medecineart-95-99/article-97
Que dit la jurisprudence sur la rémunération variable que constituent les primes sur objectifs ?
• L’information doit être portés à la connaissance du salarié en début d’exercice.
• Seule une clause précise définissant objectivement l’étendue et les limites de l’obligation souscrite peut constituer une condition d’application de la prime d’objectifs, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération a été effectué conformément aux modalités prévues : en résumé les conditions doivent être vérifiables.
• Les objectifs doivent être réalisables.
En conclusion pour le professionnel de santé
Les conditions sont cumulables : elles doivent être conformes aux exigences de la cour de cassation ET conformes à la déontologie (ne pas impacter l’indépendance professionnelle et la qualité des soins).
Quels objectifs ne seraient pas conformes ? exemples
• Limiter le nombre de reconvocations à l’initiative du médecin.
• Exiger que tous les protocoles de délégation soient identiques dans le service.
Quels moments sont déterminants ?
• À la signature du contrat de travail : la signature engage les parties - Rappel, le contrat de travail doit être soumis au Conseil de l’Ordre des médecins.
• À la signature d’un avenant également à soumettre au CDOM.
Article R4127-83
I. Conformément à l'article L. 4113-9, l'exercice habituel de la médecine, sous quelque forme que ce soit, au sein d'une entreprise, d'une collectivité ou d'une institution ressortissant au droit privé doit, dans tous les cas, faire l'objet d'un contrat écrit.
Ce contrat définit les obligations respectives des parties et doit préciser les moyens permettant aux médecins de respecter les dispositions du présent code de déontologie. Tout projet de contrat peut être communiqué au conseil départemental de l'Ordre, qui doit faire connaître ses observations dans le délai d'un mois.
Toute convention ou renouvellement de convention avec un des organismes prévus au premier alinéa, en vue de l'exercice de la médecine, doit être communiqué au conseil départemental intéressé, de même que les avenants et règlements intérieurs lorsque le contrat y fait référence. Celui-ci vérifie sa conformité avec les prescriptions du présent code de déontologie ainsi que, s'il en existe, avec les clauses essentielles des contrats types établis soit par un accord entre le conseil national et les collectivités ou institutions intéressées, soit conformément aux dispositions législatives ou réglementaires.
Le médecin doit signer et remettre au conseil départemental une déclaration aux termes de laquelle il affirmera sur l'honneur qu'il n'a passé aucune contre-lettre, ni aucun avenant relatifs au contrat soumis à l'examen du conseil.
II. Un médecin ne peut accepter un contrat qui comporte une clause portant atteinte à son indépendance professionnelle ou à la qualité des soins, notamment si cette clause fait dépendre sa rémunération ou la durée de son engagement de critères de rendement.
Les éléments de la prime d’objectifs
Peuvent être décidés unilatéralement par l’employeur (cour de cassation - arrêt du 22 mai 2021 99-41.838 : « Mais attendu, d'abord, que les objectifs peuvent être définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction ».
Dans ce cas les critères définis plus haut restent obligatoires et le professionnel de santé doit vérifier qu’ils ne sont pas contraires à ses obligations déontologiques.
Dans ce cas un avis ordinal peut être sollicité.
La prime d’objectif peut être collective affectée à une équipe ou à un groupe
• Elle peut être fixée unilatéralement par l’employeur ou par accord.
• Les critères sont les mêmes que pour les primes individuelles.
• Ces primes sont souvent soumises à des conditions de présence.
• Pour les professionnels de santé les conditions déontologiques sont les mêmes ++.
Quand ils sont décidés unilatéralement par l'employeur.
Quand ils sont décidés d'un commun accord, par exemple par un avenant au contrat de travail ce sont les mêmes critères mais soumis à l'approbation du salarié puisqu'il signe le contrat et soumis au CDOM comme il se doit.
Dr Christian
EXPERT Médecin du travail et
expert santé au travail CFE-CGC
Article paru dans la revue « du Syndicat Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC N° 70