Dans son chapitre 5, la loi El Khomri démantèle la possibilité pour les salariés de contacter le médecin du travail facilement et donc de lui signaler ses problèmes comme les nouvelles maladies comme l'épuisement professionnel, le harcèlement, les risques psycho-sociaux, les effets non encore reconnus de certains produits chimiques (nanomatériaux, pesticides, rayonnements, etc.).
- Elle supprime le premier contact par la suppression de la visite d'embauche.
- Elle met en place un système de suivi qui sera sous l'emprise des directions patronales pour organiser un contact avec les salariés tous les cinq ans (comme le prévoit le rapport Issindou) et un contact qui ne sera pas toujours réalisé par le médecin. Dans les faits, compte tenu de la situation, cela désorganisera la médecine du travail et empêchera l'accès aux salariés.
- Elle supprime l’outil juridique permettant au médecin du travail de prescrire des aménagements et des changements de poste.
- Elle supprime de fait la protection des salariés vis-à-vis de leur secret médical puisqu’ils devront négocier directement avec l’employeur leurs conditions de travail sans l’interface administrative de leur fiche d’aptitude.
- Elle ne prévoit pas une direction de la santé au travail qui soit équilibrée entre employeurs et salariés, alors que le Sénat l'avait prévu en 2011.
- Elle fait une aptitude sécuritaire pour la sécurité des tiers du voisinage, ce qui est en contradiction avec l'esprit de protection des salariés de la loi sur la médecine du travail depuis 1946 (conseil d'État n° 279632).
- Elle ne prévoit pas une protection contre le licenciement, analogue à celle des médecins du travail, pour les acteurs de l'équipe pluridisciplinaire, infirmiers, intervenant en conditions de travail (IPRP) et collaborateurs médecins.
- Elle ne prévoit pas une formation en santé au travail pour les infirmiers qui soit diplomante et indépendante du bon vouloir du directeur de service.
- Elle ne prévoit pas de contrôle de l'État des services de santé au travail, l'agrément qui existe actuellement n'a qu'une valeur indicative.
- Elle ne prévoit pas la formation de médecins du travail en nombre suffisant par ses universitaires alors que c'est de la responsabilité de l'État.
Avec la loi El Khomri, les médecins du travail ne pourront plus témoigner sur l'épuisement professionnel, c'est le titre de la pétition qui demande que les médecins du travail conservent une occasion de rencontre systématique avec tous les salariés à l’embauche et, avec le concours du personnel médical, pour un suivi régulier :
- Pour éviter la désignation négative de ceux qui viennent spontanément les voir ;
- Pour leur permettre d’avoir un aperçu de l’état et du vécu de tous les salariés ;
- Pour leur permettre de se servir de la fiche d’aptitude pour protéger la confidentialité médicale des salariés et pour aménager les postes de travail.
Afin de conserver le lien entre les salariés et la Médecine du travail, acteur central de la prévention qui doit permettre d'éviter toute altération de la santé des salariés du fait de leur travail.
La réforme de la Santé au travail dans la Loi travail EL KHOMRI ou...
LA DIABOLISATION DE L’APTITUDE MENE A L’IMPASSE
Dr Christian EXPERT
Expert confédéral CFE-CGC – Santé - Travail et Handicap
La loi Rebsamen d’août 2015 et la future loi Travail El Khomri suivent la route tracée par le GPS du Rapport Issindou-Fantoni. Chacun sait pourtant que les GPS sont faillibles et peuvent, si on n’y prend pas garde, mener vers le ravin.
Le rapport Issindou-Fantoni posait la question de l’aptitude au lieu de poser la question de la démographie déclinante des médecins du travail. En posant une mauvaise question on donne (le plus souvent) une mauvaise réponse surtout quand on pose la question de l’aptitude à de farouches opposants à l’aptitude...
Ces deux rapporteurs se disent, à qui veulent les entendre, les sauveurs de la médecine du travail. Prions pour qu’ils n’en soient pas les fossoyeurs.
Le CISME lui, criait au loup (la formalité impossible), et a mis en avant, l’antienne des 30 millions de visites médicales à effectuer pour les pauvres 5000 ou 6000 médecins du travail. Ce travail de titan n’est en fin de compte jamais effectué. Il prend en compte le flux des visites d’embauche qui devraient être effectuées pour tous les CDD, y compris les CDD courts.
Il suffisait (et il suffit encore) de traiter et d’aménager cette question par décrets. Nul n’était besoin de supprimer l’aptitude pour tous et les visites d’embauche pour les salariés dits non à risque.
La loi Rebsamen a introduit une disposition très innovante, elle donne comme mission nouvelle aux Services de Santé au Travail et aux médecins du travail, de préserver la Santé et la Sécurité des « tiers ».
Responsabiliser les médecins du travail et les rendre garants de la sécurité et de la santé des terriens, voilà un vrai travail d’allègement de la charge de travail des médecins du travail, ces nouveaux titans comme nous l’exposions.
La loi El Khomri rétrécit le champ des tiers, nous y sommes peut-être pour quelque chose, les tiers concernés ne sont que ceux qui occupent le même environnement de travail que les travailleurs. Il n’en reste pas moins que cette vision « sécuritaire » de la médecine du travail nous éloigne de la mission de prévention initiale.
Le conseil d’Etat s’est déjà opposé à cette vision dans le passé.
Haro sur l’aptitude La loi El Komri s’attache à supprimer l’aptitude comme le préconisait le rapport Issindou-Fantoni et traquer le concept dans le code du travail, partout où il est identifié. Cela constitue un exercice assez fascinant.
Il fallait supprimer l’aptitude, en particulier à l’embauche pour les postes de travail dits « non à risques » ces visites étant identifiées comme inutiles par le rapport Issindou.
Il faut bien admettre aussi que cette vindicte sur les visites d’embauche (reprise par certains en écholalie avec les versets du rapport Issindou-Fantoni) dissimule une autre réalité (que ledit rapport occulte soigneusement), les visites d’embauche consomment beaucoup de temps « médecin du travail » car en effet seuls les médecins du travail en titre peuvent délivrer un avis d’aptitude.
Certains services de santé au travail ne parviennent plus à assurer les visites médicales obligatoires, notamment les visites d’embauche, faute de ressources pour y faire face (s’est-on interrogé sur leur attractivité ?????).
Des employeurs ont été condamnés pour n’avoir pas rempli leurs obligations en matière de visites médicales obligatoires et en ont conçu quelque humeur à l’encontre de leurs prestataires...
Une solution miracle et expéditive a été identifiée pour se préserver de futures condamnations. Pourquoi ne pas supprimer cette « inutile » visite d’embauche (moment où le salarié fait connaissance avec le médecin du travail et qui lui permet d’évoquer ses problèmes de santé ou son handicap) sauf pour les postes dits à risques pour la santé des travailleurs, celle de leurs collègues et celles des fameux tiers.
Explorons donc cette loi El Khomri et ses dangers juridiques, nid majeur de contentieux potentiels
A ce stade une question doit être posée : Un salarié qui n’occupe pas un poste à risque particulier n’a plus besoin d’avoir une visite d’embauche d’aptitude. Comment pourra-t-on donner un avis d’inaptitude à un salarié occupant un poste n’exigeant pas d’aptitude ??????
Il convient de rappeler l’article L.1133- 3 du code du travail
Article L.1133-3
« Les différences de traitement fondées sur l'inaptitude constatée par le médecin du travail en raison de l'état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectives, nécessaires et appropriées ».
Il est en effet impossible, sauf à violer les règles anti discrimination de modifier le contrat de travail d’un salarié pour raison de santé ou handicap sans inaptitude.
1 - La visite d’embauche
Elle n’est donc conservée et assortie d’un avis d’aptitude que pour les postes à risques tels qu’introduits par la loi Rebsamen.
Pour les autres, un substitut, une visite d’information et de prévention assurée par un professionnel de santé de l’équipe pluridisciplinaire.
Pas d’aptitude donc !!!
L’employeur, quand il prendra son rendez-vous pour son salarié, auprès de son Service de Santé au Travail, devra donc préciser le menu : poste à risques avec aptitude ou sans risque sans aptitude – il sera aidé pour se déterminer par un décret – un travailleur occupant un poste de type administratif (comptable, gestionnaire d’assurance, etc.) sera réputé occupant un poste sans risques et se verra « éduqué » par le service de Santé sur la prévention des risques auxquels il est exposé.
Question n°1 : De quoi va donc-ton parler puisque ce poste est sans risque ?
Mystère, le texte est muet là-dessus : des conseils diététiques ? Des conseils sur l’intérêt de faire du sport, du stretching sur les pièges de l’alcool et du cannabis ????
Question n°2 : Si un salarié présente un trouble psychique majeur non contrôlé, les professionnels de santé (outre une orientation à visée thérapeutique) pourront-ils agir autrement que de lui délivrer une information sur les « risques inexistants » auxquels il ne sera pas confronté ?
2 - Les visites de reprise
Selon le futur article L.1226-2 du code du travail, tout salarié s’il est déclaré à l’issue des périodes de suspension pour accident ou maladie non professionnels, inapte à son poste par le Médecin du travail selon l’article L.4624-4 du CT qui traite des postes à risques, doit se voir proposer par l’employeur un poste adapté à sa capacité à l’occuper selon les propositions du médecin du travail.
Capacité mais pas aptitude !!!! Qu’en conclure ? Que si un salarié occupe un poste à risque défini, il ne pourra pas occuper un autre poste à risque même s’il est adapté à son handicap ??
Car enfin, s’il s’agit d’un autre poste à risque différent du premier, l’aptitude devrait s’imposer ?? Et pourtant non on supprime l’aptitude.
Se pourrait-il que l’aptitude à un poste à risques x vaudrait pour tous les postes à risques de l’univers ???? Le salarié non soumis à l’article L.4624-4 du CT ne semble pas devoir bénéficier du même traitement de faveur, puisque l’article fait référence à l’article L.4624-4 du Code du travail (créé par la loi Rebsamen) qui traite des postes à risques.
Il semble par nature non inapte à son poste de travail.
Si un accident de la vie l’empêche à cause de son handicap fonctionnel, d’occuper un poste non à risque pourrait-il être muté d’autorité par un employeur (ayant bien sûr fait une formation médicale et d’ergonomie) à un autre poste sans risque ????
Ce changement de poste pour une raison de santé semble peu compatible avec les textes réprimant la discrimination pour raison de santé ? Que dire des salariés déclarés invalides deuxième catégorie ??
Les visites de reprise après accident du travail ou maladie professionnelle
Elles sont soumises au même régime subtil. Que le salarié occupe un poste à risque ou non, point d’aptitude à sa reprise quelle que soit la nature de l’accident du travail et ses conséquences. L’aptitude initiale semble définitive quel que soit le poste de reclassement. On examinera seulement sa capacité à occuper ce nouveau poste.
Bizarrement on s’affranchit de l’aptitude pourtant prévue à la visite d’embauche !!!!!!!!
Pour les CDD un tour de force !
A la reprise, le salarié pourtant dépourvu d’aptitude à la visite d’embauche pour les postes non à risques peut être déclaré non inapte.
La différence sémantique entre apte et non inapte nous échappe quelque peu, hors le fait que l’aptitude soit pourchassée par le législateur comme le démon l’est par l’exorciste : « Aptitude sort de ce code du travail ».
3 - L’inaptitude
À la lecture des articles L.4624-3 à 7 du projet de loi, il nous semble comprendre qu’un salarié puisse être déclaré inapte par le médecin du travail, qu’il occupe un poste à risque ou non à risque, bien que les dits articles suivent l’article L.4624-2 qui réserve le concept d’aptitude aux salariés occupant un poste à risque.
Cette lecture nous semble probable mais Non certaine car enfin peut-on déclarer un salarié inapte à occuper son poste alors que nulle aptitude ne lui était nécessaire pour prendre possession du même poste à son embauche ?
Autrement dit, il nous semble illogique qu’un salarié puisse être inapte à un poste pour lequel aucune aptitude n’est nécessaire !
L’inaptitude est sans contestation possible l’avers de l’aptitude – ou celui de l’état de non inaptitude selon la déclinaison sympathique et astucieuse du sort réservé au salarié de retour d’un CDD après un AT ou une MP.
Si on suit cette logique de la capacité permanente inutile à vérifier, nous allons voir se développer le transport par ambulance de salariés qui devront mordicus assumer leur poste de travail, puisque l’inaptitude seul moyen de quitter l’entreprise leur serait refusée au motif qu’ils sont censés occuper un poste sans risque et donc sans nécessité d’aptitude et donc pour lequel l’inaptitude serait inenvisageable.
4- L’inaptitude à un poste à risque constatée a posteriori
L’hypothèse soulevée plus haut nous paraît improbable, pour des raisons de productivité et également pratiques car si nous avons vu disparaître les chambres d’allaitement dans l’entreprise on pourrait craindre l’arrivée de l’hospitalisation au travail.
Imaginons que faute d’avoir été identifié comme occupant un poste à risque par l’employeur, un salarié nuise gravement à ses collègues de travail ou à des tiers, l’employeur aura failli à son devoir de protection et pourrait voir sa responsabilité engagée.
Il faudra bien admettre, a postériori que risque il y avait, et que l’employeur, malgré ses tentatives de formation médicale accélérée n’avait pas eu le bon feeling à l’embauche !!!
Conseil
Les DRH devraient se précipiter dans un cursus d’étude d’infirmiers avant de se lancer dans la carrière. Une seule chose parait certaine à la lecture de ce « TITRE V MODERNISER LA MEDECINE DU TRAVAIL », toute cette « modernité » qui nous parait bien régressive à l’analyse, va entraîner, nous en sommes bien certains, des vagues de contentieux...
LES MEDECINS DU TRAVAIL NE POURRONT PLUS TEMOIGNER SUR L'EPUISEMENT PROFESSIONNEL AVEC LA LOI EL KHOMRI
Dr Bernard SALENGRO
Expert confédéral CFE-CGC
Pôle santé au travail, conditions de travail, handicap
Président du syndicat CFE-CGC santé au travail
Le projet de loi dit El Khomri ne permettra plus aux médecins du travail de témoigner de la réalité de ce qu'il se passe dans les entreprises. Comme s’il fallait faire taire ces gêneurs. Pour faire baisser la fièvre, cassons le thermomètre !
En l’état du projet de loi, le tertiaire et l’encadrement ne bénéficieront plus de la médecine du travail. Dans son chapitre 5, le projet de loi démantèle en effet la possibilité donnée aux salariés de contacter facilement le médecin du travail et donc de lui signaler leurs problèmes et maladies tels que l'épuisement professionnel, le harcèlement, les risques psycho-sociaux et les effets (pas encore reconnus) de certains produits chimiques : nanomatériaux, pesticides, rayonnements etc.
- Le projet de loi supprime le premier contact par la suppression de la visite d'embauche.
- Il met en place un système de suivi qui sera sous l'emprise des directions patronales pour organiser un contact avec les salariés tous les cinq ans, comme le prévoit le rapport Issindou. Dans les faits et compte tenu de la situation, cela désorganisera la médecine du travail et privera l'accès des salariés aux médecins
Subrepticement, ce projet de loi transformerait les médecins du travail de veilleurs en pompiers et de protecteurs en contrôleurs :
- De veilleur en pompier puisque l’accès de tous les salariés au médecin du travail est cassé et détourné ;
- De protecteur en contrôleur dans la mesure où les médecins du travail ne verront que les sujets à risque pour eux-mêmes mais aussi (et c’est la nouveauté) pour la sécurité des tiers, c’est-à-dire des clients et des passants pour peu qu’ils soient dans l’environnement proche. Or, on ne peut être contrôleur et confident. C’est contradictoire et le Conseil d'État l’a déjà jugé (n° 279632).
Habilement, ce projet de loi laisse aux employeurs la gestion des services de santé au travail et la décision du nombre de médecins nécessaires. La conclusion s’impose d’elle-même : les pressions et menaces de licenciement de médecins du travail commencent.
L’université participe à cet étranglement par une politique de resserrement des formations : 94 médecins en exercice à Paris avaient ainsi postulé pour devenir médecins du travail ; seuls 21 ont été retenus sous des prétextes fallacieux.
Il est plus facile pour un ministre de changer de ministère que changer de spécialité pour un médecin…
La CFE-CGC santé au travail dénonce donc ce démantèlement qui va affaiblir la protection des salariés et aggravera les conditions de travail pour le tertiaire et l’encadrement, soit 80 % des emplois.
La CFE-CGC santé au travail s’opposera au démantèlement de la médecine du travail.
Article paru dans la revue « Syndical Général des Médecins et des Professionnels des Services de Santé au Travail » / CFE CGC n°53