Actualités et réflexions : chroniques de pandémie

Publié le 31 May 2022 à 17:36


Deux ans déjà. Deux ans que cette pandémie a envahi la planète et notre quotidien, et nous avons toujours autant de mal à en prendre la juste dimension (précisions que cette remarque vaut tout autant pour l’auteur de ces lignes). Pourtant, les données essentielles du problème sont connues depuis le début, si l’on excepte ce qui concerne la vaccination, pour laquelle nous avons tout de même un an de recul. Malgré tout, la cacophonie continue à régner dans les médias, qu’il s’agisse du gouvernement, des oppositions, des experts réels ou supposés, ou des complotistes et libertariens en tous genres. Or, cette cacophonie est fort regrettable, car devant un sujet qui impacte aussi fortement nos vies nous avons avant tout besoin de clarté, de lisibilité. Mission impossible ?

En premier lieu, on apprécierait que les données du problème soient présentées pour ce qu’elles sont. Au fond, il n’en existe que trois catégories : les faits, les hypothèses et les choix. Qu’il s’agisse de considérations sanitaires, démocratiques, ou encore socioéconomiques. Par exemple, l’efficacité vaccinale à réduire considérablement les formes graves est un fait, pas une opinion. Sa dangerosité sur le long terme pourrait être une hypothèse s’il existait le moindre élément crédible en ce sens : en l’absence de ces derniers, il ne s’agit que de spéculations, qui n’ont de ce ne fait aucunement vocation à surdéterminer la réalité ni même à la challenger. Autre exemple : les gestes barrière et autres confinements sont présumés avoir une forme d’efficacité dans la réduction des transmissions, sachant que les études sur le sujet sont assez loin d’en décrire le détail. On parlera d’hypothèse, avec beaucoup d’empirisme et bien peu de métrologie. Dernier exemple : la vaccination peut être laissée à l’appréciation de chacun en fonction de son appréciation, ou alors être préconisée, ou encore être rendue obligatoire. Il s’agit d’un choix, sur lequel un gouvernement a toute légitimité à se prononcer, mais pas dans n’importe quelle condition.

La question n’est pas de prétendre que l’exercice, consistant à prendre toujours les meilleures décisions, est simple : il ne l’est pas. En revanche, lorsqu’au bout de deux ans la cacophonie ne fait que croître, ont pourrait être bien inspirés de s’asseoir au bord du chemin, pour tenter de se poser les bonnes questions. Et en premier lieu : en quoi consiste l’exercice ? Quel est fondamentalement le problème ? Par exemple, le fait qu’un virus circule n’est pas un problème en soi : ce qui pose problème est ses effets sur la santé, tant publique qu’individuelle. Moyennant quoi, on s’interroge sur cette communication anxiogène qui nous tartine chaque jour le nombre de contaminations détectées, lequel en soi ne mesure que le nombre de tests réalisés tant qu’on ne rapporte pas ce chiffre au taux de positivité et aux populations concernées par ces tests en fonction de la prévalence de l’infection.

Quelqu’un qui reviendrait d’un long séjour sur la planète Mars (où les communications sont difficiles comme chacun sait) chercherait à comprendre la situation en se concentrant sur les faits essentiels. Quels sont-ils ? 1- Un virus circule sur l’ensemble de la planète, quoi qu’on y fasse. 2- Comme tout virus soucieux de sa réputation, il mute en proportion de sa diffusion, c’est à-dire beaucoup. 3- Sa pathogénicité individuelle est relativement faible (rien à voir avec Ebola), mais son impact sur la santé publique est relativement élevé du fait de sa très importante diffusion. 4- Les conséquences au sens large, sur la santé publique, sur les libertés (démocratiques ou non) et sur l’économie, sont principalement le fait des mesures sanitaires, et non du virus lui-même. Certes, l’hôpital souffre, mais il souffrait déjà avant la pandémie, laquelle n’est au fond qu’un révélateur. Enfin, 5- La vaccination a démontré son efficacité à limiter les conséquences sanitaires les plus graves, mais il n’existe pas de méthode à la fois efficace et acceptable pour limiter la diffusion du virus.

L’hôpital souffre, mais il souffrait déjà avant la pandémie, laquelle n’est au fond qu’un révélateur.

Pour faire court : il s’agit d’un problème de santé publique, et il est consternant d’avoir à le rappeler, voire à l’expliquer. La santé publique n’est pas réductible à l’épidémiologie, encore moins à la réanimation, à la pneumologie, à la microbiologie ou à la médecine d’urgence. La santé publique, rappelons-le, appréhende la santé dans une vision globale sans se limiter au soin, et elle le fait dans la perspective de la population et non de l’individu. Mais il faut ajouter qu’une réflexion de santé publique est indissociable de ses dimensions politique et sociétale. Bien sûr, il y a la promotion de la santé et l’éducation pour la santé, ce qui implique une vision normative et collective de la santé, et cela n’est jamais neutre. Mais il y a aussi, lorsque les circonstances les imposent, des décisions contraignantes, et donc au détriment des libertés. Ce qu’il faut comprendre est que ce principe n’est nullement contradictoire avec celui de la démocratie. Ce qu’il faut considérer en revanche est que les données prises en compte, tout comme le processus de décisions et de contrôle de celles-ci, sera radicalement différent selon que l’on se situe dans la perspective d’une démocratie d’une part, ou d’un régime autoritaire d’autre part. Dans un régime autoritaire, une décision (de santé publique en l’occurrence) n’implique pas de concertation préalable, ni de prise en compte de ses conséquences sur les libertés, et n’a pas vocation à être l’objet d’une évaluation ou d’un contrôle ex post. En démocratie en revanche, ce type de décision, toujours difficile, impose une large concertation, une évaluation circonstanciée et extrêmement prudente du rapport coût / bénéfice au regard des libertés individuelles, un contrôle démocratique du processus de décision et de leur application, et une réévaluation constante. Or, si l’on analyse les méthodes de gestion de cette pandémie appliquée par le gouvernement depuis deux ans, nous ne sommes pas certains de nous reconnaître dans ce dernier schéma. Pas de concertation sérieuse préalable aux décisions, un état d’urgence sanitaire (sans contrôle démocratique donc) inscrite dans le temps long, une absence préoccupante de débat sur la question essentielle de l’équilibre libertés individuelles VS. Santé publique, un parlement majoritairement acquis au gouvernement et donc dans l’incapacité de réguler le processus de décision, etc. Il n’est pas surprenant, dans ces conditions, que le débat réapparaisse, comme il le peut, là où il le peut.

Si l’on écoute, pour essayer de les comprendre, les motivations des antivax, de l’esplanade des Invalides à la Guadeloupe ou à la Guyane française, on observe en fait plusieurs types de discours : certains se fondent sur des spéculations volontiers en contradiction avec les faits. D’autres revendiquent une liberté qui ne saurait, en démocratie paraît-il, être contrainte. D’autres (ou les mêmes), enfin, établissent un amalgame entre cette pandémie et des faits sans rapport direct, tels que l’affaire du Chlordécone, ou une implication inadéquate de la métropole dans les affaires d’Outre-Mer. D’un certain point de vue, il est aisé de démonter, pour ne pas dire de railler, ces arguments. La négation des faits, c’est du complotisme, et donc ces thèses disqualifient leurs auteurs. Revendiquer la liberté en l’absence de contextualisation sociétale est infantile et irresponsable. Amalgamer la crise sanitaire actuelle et les conséquences d’une politique ancienne, quand bien même condamnable, n’est pas cohérent et in fine pénalise lourdement leurs propres auteurs. Certes, il est facile de démonter tous ces discours. Pour autant, ce serait une erreur de les écarter d’un revers de main car, paradoxalement, chacun d’eux exprime une forme de réalité. Les discours complotistes n’auraient peut-être pas une telle influence si le gouvernement (et les oppositions) avaient fait preuve de cohérence et de sincérité dans leurs postures et autres décisions. Les discours puérils sur les « libertés » seraient peut-être moins nombreux si les libertés démocratiques n’étaient pas réellement en danger. Enfin, les amalgames avec d’autres crises ou scandales seraient peut-être moins structurants, moins violents, si l’Etat n’avait pas fauté dans le passé, gravement, et sans qu’aujourd’hui justice ne soit faite.

Que la vaccination soit indispensable, ainsi que l’affirme le gouvernement, n’est pas contestable. Que les oppositions en tant que telles à la vaccination ne soient pas crédibles, cela s’en déduit. Pourtant, on est loin d’avoir résumé le sujet : le fossé entre gouvernants et gouvernés s’accroît chaque jour, avec pour conséquence une crise de confiance plus qu’inquiétante pour la démocratie, et la montée de postures inacceptables. Mais n’est pas moins inquiétante une certaine dérive, qui s’attache principalement à stigmatiser les opposants, à infantiliser le peuple et à le faire obéir, plutôt qu’à rechercher sa confiance et son adhésion.

Comment sortir de cette spirale délétère ? Peut-être en nous souvenant qu’en démocratie, c’est au peuple de montrer la voie aux gouvernants, et non l’inverse.


Jérôme FRENKIEL
Rapporteur des questions
de santé publique pour
l’INPH

Article paru dans la revue « Intersyndicat National Des Praticiens D’exercice Hospitalier Et Hospitalo-Universitaire.» / INPH n°24

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