Kinésithérapie La Revue (KR) - Bonjour Christophe, comment devienton kiné de l'équipe de France de football ?
Christophe Geoffroy (C.G.) - Avoir déjà une expérience dans le milieu du football de haut niveau me paraît indispensable, travailler avec un club de ligue 1 est important, sinon le décalage entre ce qu'apporte un kiné non initié par rapport à l'attendu du staff technique et des joueurs est trop important. J'ai aussi régulièrement suivi des formations spécifiques tout au long de mon parcours (Encadré 1) : certificat d'études complémentaires (CEC) de kinésithérapie du sport à l'INSEP, étiopathie, diplôme universitaire européen en préparation physique (DUEPP) à Lyon, etc. Ensuite, cette expérience doit être reconnue à un moment donné ; elle doit reposer sur la qualité des techniques de soins utilisées, mais aussi des compétences-terrain avec la faculté d'encadrer des séances spécifiques.
Le kiné est en quelque sorte le « coach du corps », c'est pourquoi tous les exercices : de gainage, d'étirements, d'entretien musculaire, de proprioception, utilisés dans le cadre de la préparation physique sont bien souvent encadrés par le kiné. Mais lorsque l'on est passionné, respectueux et modeste, tout peut arriver…
KR - Que vous demande-t-on précisément ?
C.G. Les demandes se situent à plusieurs niveaux : il y a la partie professionnelle et la vie dans le groupe.
De la part des coaches : en plus des compétences professionnelles, il faut contribuer à la réussite du groupe et à la bonne ambiance du staff, d'être uni pour un même objectif (Encadré 2). De la part du joueur : d'être professionnel. Le joueur a été sélectionné, il considère que le kiné qui est là le mérite également. Cela demande donc des compétences et de l'expérience dans la prise en charge globale du sportif : les soins, la prévention, la récupération, la réathlétisation et la réadaptation sur le terrain (Fig. 2).
De la salle de soins au terrain, un gros travail de prévention et de récupération est mis en place au quotidien. C'est assez loin du travail de rééducation classique puisque l'on doit gérer des personnes en forme, qui ne présentent pas de grosses pathologies mais seulement des « bobos ». En sélection, à partir du moment où le joueur est gravement blessé, il retourne dans son club d'appartenance.
Le kiné doit également :
• être capable de démontrer et de s'imposer avec le groupe sur le terrain ;
• avoir le sens de l'organisation, la préparation du matériel pour de grandes compétitions comme une coupe du monde est importante ;
• rester à sa place, ne pas porter de jugement sur la partie technique, les compositions d'équipe, nous ne sommes pas là pour ça ;
• aimer travailler en équipe, surtout lorsque le staff n'est pas trop étoffé, la solidarité et l'entraide lors des déplacements est obligatoire. Pour un match, 5 à 6 malles médicales nous accompagnent à chaque déplacement (matériel de contention, de proprioception, de physiothérapie, trousse de terrain, nutrition, etc.) ;
• la curiosité, c'est connaître les nouvelles techniques pratiquées en France ou à l'étranger, les nouveaux appareils ou produits.
Quelques dates marquantes du parcours de Christophe Geoffroy
1963 : naissance à épernay.
1984 : accident de la route en septembre : polytraumatisme.
1988 : diplômé d’état en kinésithérapie de l’école de Berck-sur-Mer.
1989 – 1990 : kinésithérapeute de l’AJ Auxerre Fottball.
1990 et 1992 : naissance d’Agathe et Corentin, ses enfants.
1997 : première intervention avec la Fédération française de Football.
1999 : création « d’Edition Geoffroy » : livres et informations pratiques.
2004-2008 : kinésithérapeute de l’équipe de France Espoirs.
2006 : premier voyage au Népal.
2011 : sortie du livre « Avoir un bon dos » et mise en place du concept kiné form & santé.
Mai 2012 : entrée dans le staff de l’équipe de France de football.
Composition du staff de l’équipe de France de football
• 1 sélectionneur ;
• staff technique :
- 1 entraineur adjoint,
- 1 entraineur des gardiens ;
• team manager :
- 1 manageur général,
- 1 responsable administratif ;
• staff médical :
- 1 médecin,
- 3 kinésithérapeutes,
- 1 ostéopathe ;
• média :
- 1 chef de presse ;
• fonctions support :
- 2 informaticiens-vidéo,
- 1 responsable rédaction du site www.fff.fr
- 1 cuisinier,
- 2 intendants,
- 1 officier de liaison et de sécurité.
Présentation de ma structure de formation.
Spormel est un organisme de formation que j’ai créé il y a quelques années.
Les thèmes des formations dispensées correspondent aux techniques ou concept avec lesquels j’ai des années de recul. Comme par exemple :
• le strapping et le taping ;
• l’utilisation des huiles essentielles dans le quotidien du MK ;
• la prise en charge de la blessure jusqu’à la réathlétisation (niveau 2 de « coaching & prévention » , concept kinéfometsanté) ;
• le crochetage.
Je ne suis pas le seul formateur (nous sommes 5 au total) et la plupart de ces formations se déroules au centre technique de Clairefontaine, à Lyon ou encore Reims.
Renseignement : www.kineformetsante.fr.
KLR – Quel est votre positionnement par rapport aux techniques nouvelles et effets de mode, comme le pince-nez pour mieux respirer, le taping ?
C-G. Les effets de mode existent effectivement, mais pour ces produits, machines ou techniques il est possible d’avoir des résultats dans certaines situations ou dans des domaines bien précis, sans que les effets positifs soient universels. Ainsi, pour le taping, je l’utilise non pas à tort et à travers, mais pour des indications bien précises ou je sais que j’obtiendrai des résultats. A ce sujet, les travaux du docteur Jean-Claude Guimberteau, nous apportent déjà des justifications quant aux effets positifs de cette technique, mais encore une fois, le choix d’utilisation de cette technique par rapport à un problème et la qualité de pose sont déterminants !
KLR – Avez-vous une anecdote ou un souvenir particulier à nous confier ?
C.G. Une anecdote qui accompagne bien cette devise : « on gagne des matches parce qu’on est heureux d’être ensemble et non l’inverse ». Au championnat d’Europe en Estonie avec la sélection des U19 ans, les joueurs avaient pris l’habitude de chanter lors de la séance de récupération que l’on faisait dans le parc attendant au terrain d’entraînement. Une séance de dédicaces était prévue à l’issue de l’entraînement, mais les jeunes estoniens ayant vu passer les joueurs en chantant n’étaient plus trop rassurés car ils pensaient que ce groupe était composé de militaires…
KLR – Comment percevez-vous l’équipe pour le Brésil ? Quel est votre pronostic ?
C.G. Ma vocation n’est pas de répondre à ce type de question. Je souhaite toujours que l’équipe gagne, et pour le Brésil, plus nous nous approcherons du 12 juillet, meilleur cela sera.
KLR – Quelles sont vos autres activités ?
C.G. Elles sont pour le moins très diverses.
La formation en école de kiné et la post-formation m’occupent beaucoup, tout comme l’écriture d’ouvrages destinés bien-sûr aux kinésithérapeutes mais également au grand public ; mon objectif étant de rendre accessibles à tous les techniques utilisées au plus haut niveau, comme les étirements, le « coaching » du corps, le strapping et le tapping à Clairefontaine, la gestion du dos, etc.
Ensuite depuis 5 années, j’interviens en entreprise sur le thème « coaching & prévention »
Enfin, mes consultations en thérapie manuelle débouchent systématiquement sur du conseil et du coaching personnalisé. Le kiné est certes, un thérapeute, mais il a également un rôle de guide qu’il doit, à mon sens, développer davantage. En délivrant, à l’issue de sa séance, de véritables « ordonnances » d’exercices ou de conseils, on finira par responsabiliser davantage les patients, à les rendre plus autonomes et surtout moins consommateur de soins !
Mais aujourd’hui, pour réaliser ces actions, les kinésithérapeutes disposent de peu d’outils, c’est en grande partie pour cette raison que je développe depuis plusieurs années ce concept de « fiches conseils » que vous pourrez retrouver gratuitement sur le site : www.editiongeoffroy.fr
KLR – Qu’avez-vous appris de votre investissement dans le domaine du sport ?
C.G. Que le plus bel outil que le sportif possède, comme le commun des mortels, c’est son corps et que le kinésithérapeute est en quelque sorte, le « coach du corps ». Il doit être attentif et gérer tout ce que l’on appelle « la préparation invisible » : étirements, gainage, travail proprioceptif. Il ne doit pas traiter uniquement la conséquence d’une blessure, mais surtout s’occuper de la cause.
La prévention et l’urgence (ne pas perdre de temps) sont les préoccupations quotidiennes d’un kinésithérapeute évoluant dans le haut niveau, c’est pourquoi le travail en équipe (réseau de spécialistes) est très important.
J’ai aussi appris que les sportifs sont des personnes qui ont de la chance d’être entourées et de bénéficier d’un tas de conseils divers, et que malheureusement d’autres personnes sur leur lieu de travail ne bénéficient pas de cet accompagnement, de moyens matériels et de temps…
J’ai compris rapidement (surtout lorsque j’évoluais avec les catégories plus jeunes) que le kiné a un rôle de guide, d’éducateur, qui est à mon goût pas assez développé. Ce rôle de guide doit nous permettre de mener des actions en amont des problèmes et en dehors de nos cabinets, car la santé dépend en grande partie de l’investissement personnel de chacun en matière d’entretien des capacités physiques.
« Exercez-vous un peu chaque jour, car dans le sport comme dans la santé, ce sont tous les petits efforts du quotidien qui font le lit des grandes victoires »
KLR – Justement, quel est le rôle du MK sur les conséquences psychologiques d’une blessure ?
C.G. Même sans parler de blessure, le kiné a un rôle important au quotidien dans la carrière et même la vie de ces athlètes. Je vous l’ai déjà dit, nous sommes des coaches du corps : notre rôle est aussi de prévenir, éduquer, expliquer, apprendre au joueur à ce qu’il ne fasse pas n’importe quoi avec son corps.
Il y a la carrière sportive mais il y a aussi des années à vivre après cette carrière. Si le joueur « matraque » son organisme pendant ces années… il va ternir son avenir.
Je suis content de voir que l’on parle de plus en plus de « sport-santé », même dans le football. Nous, kinésithérapeutes, devons porter la « bonne parole » afin que le sportifs (même du dimanche) ne fassent pas n’importe quoi lors qu’ils s’échauffent, pratiquent le gainage, les étirements ou simplement lorsqu’ils reprennent une activité physique.
Alors c’est sûr que le kiné a un rôle important à jouer lorsqu’un joueur est blessé. Un athlète blessé est souvent envahi par le doute. La prise en charge se fait généralement en équipe ou chaque personne du staff médical apporte ses compétences et son soutien, et ce, depuis le jour de la blessure jusqu’à la reprise sur le terrain.
KLR – Vous êtes passionné ; quel est votre moteur ?
C.G. Ce qui m’active dans mes missions, c’est d’abord la passion, le partage, la vie de groupe avec toujours cette envie d’avancer dans divers domaines.
Nous parlons du football, mais j’ai autant de plaisir lorsque je suis en montagne, au sein d’une entreprise avec des salariés ou au cœur d’un lycée pour y donner une conférence afin de sensibiliser un peu nos jeunes à l’éducation et au respect du corps.
KLR – Quels conseil donneriez-vous à nos confrères ?
C.G. J’ai compris que dans la vie, il n’y avait pas de hasard mais plutôt des rendez-vous.
Mais pour cela il faut oser, allez vers les autres, provoquer les situations et au fil des jours tout arrive…
(1) Note de la rédaction ; voir à ce sujet notre dossier complet « Taping : les couleurs du doute en poupe ».
Kinesither Rev 2014 ;14 ;15-66.
Michel Gedda
Instituts de formation en masso-kinésithérapie et ergothérapie,
avenue du Phare, BP 62, 62602 Berck-sur-Mer
cedex, France
Adresse e-mail : [email protected]
Cet article est une re-publication réalisée avec l’accord des éditeurs de Kinésithérapie la Revue dans le cadre d’un accord passé entre la FNEK et Kinésithérapie la Revue.
Michel Gedda. Christophe Geoffroy, kiné de l’équipe de France de football et toujours motivé. Kinésithérapie, la Revue. July 2014; Volume 14, Issue 151 :
Pages 11-14
Article paru dans la revue “Le Journal des Étudiants Kinés” / BDK n°42