Besançon. Journées de Formateurs. 27 & 28 mars 2015
En Institut de Formation en Masso-kinésithérapie (I.F.M.K.), avec l’émergence de l’Evidence Based Practice, le développement des neuro-sciences et la réingénierie des études, la neurologie, discipline historiquement enseignée dans le cadre des modules, mérite d’être revisitée. De quoi parle-t-on en fait ? Où commencer ? Et où s’arrêter ? Bref, comment penser le micro-dispositif de formation initiale en neurologie durant nos quatre années d’alternance intégrative ? Nous avons, lors de la dernière journée des formateurs en I.F.M.K., proposé toute une série de réflexions dont nous livrons un aperçu ici. Tout d’abord, il convient pour le formateur d’assurer les conditions d’une véritable veille en neurologie. Il est judicieux ensuite de déterminer jusqu’où enseigner les neuro-sciences. Enfin, quels outils pédagogiques sont à mobiliser, et pour quels contenus. En guise d’illustration conclusive, nous tenterons d’identifier la place à donner aux méthodes « historiques » comme Bobath ou Perfetti.
La neurologie est une terre de contrastes. Systématiquement enseignée et objet d’un des stages, force est de constater que le nombre d’heures qui lui sont consacrées en formation initiale n’est pas proportionnel au nombre de patients retrouvés en secteur libéral. Elle est en fait exercée comme ultra-spécialité par peu de M.K. (entre les centres et le libéral, on dénombre à peine quelques centaines de professionnels). En y regardant de plus près, la neurologie « élargie » est pourtant au cœur de nos pratiques : les concepts et les lois neurophysiologiques sont fréquemment convoqués, de la thérapie manuelle à la reprogrammation neuro-motrice. La neurologie souffre lorsqu’elle n’est envisagée qu’au travers du prisme de la neuropathologie. Pourtant, nombre d’I.F.M.K. proposent déjà une logique d’acquisition progressive de compétences gravitant autour de la neurologie : de l’anatomo-physiologie en première année aux dimensions systémiques des atteintes neurologiques complexes en troisième année, en passant par les grands syndromes en deuxième année.
Alors comment assurer une veille efficiente dans le domaine ? La réalité virtuelle, les mouvements imaginés, les neurones miroirs, la plasticité cérébrale, les thérapies contraintes, la Repetitive Transcranial Magnetic Stimulation (R.T.M.S.) et la Transcranial Direct Current Stimulation (T.D.C.S.) se développent et feront partie de l’arsenal du futur masseur-kinésithérapeute. Nombre de publications viennent appuyer la pertinence de leur usage dans bien des situations.
Pour se documenter sur le sujet, le formateur s’appuiera sur des revues de référence, telle « Neurorehabilitation ». Les journées dédiées à cette spécialité seront précieuses comme les journées de neurologie de langue française, mais aussi les sessions proposées dans des conférences plus généralistes comme ce fut le cas lors des dernières Journées Francophones de la Kinésithérapie à Lille. En fait, bien des formateurs en neurologie ne sont qu’intervenants en I.F.M.K. et ont une activité clinique à temps plein en neurologie qui fait d’eux des experts du domaine, souvent sollicités lors des conférences précitées. De fait, ils réalisent cette veille et participent même parfois à la recherche ad hoc. Il convient de citer le travail conséquent réalisé par le groupe d’intérêt neurologie de la Société Française de Physiothérapie qui propose mensuellement sur le site Actukiné un kiosque des dernières publications. Cela fera gagner du temps au formateur que rien n’empêche par ailleurs de réaliser des requêtes classiques sur Medline, Pedro et tous les autres moteurs de recherche dédiés. Représentant l’ « école » de Nancy, il nous a semblé judicieux de souligner le fait que le même travail est réalisé depuis fort longtemps par RééDOC (service documentaire de l’Institut Régional de Réadaptation. U.G.E.C.A.M. Nord-Est) sous la forme d’un bulletin signalétique.
Jusqu’où enseigner les neuro-sciences ? Cette question pourrait se doubler d’une injonction : « enseigner avec les neurosciences ! ». Discipline universitaire s’il en est, et en ces temps de réingénierie, nul ne peut faire l’impasse sur ses apports. Si elle est convoquée dans le cadre de son usage pour la compréhension des aspects physiologiques et pathologiques du domaine, comme support de techniques d’évaluation ou de neuro-rééducation, ou encore dans le cadre de la proposition d’un regard différent sur l’être humain, cette discipline est également utile au formateur par le biais des neuro-sciences de l’éducation.
Ces nouveautés ne viennent pas se substituer aux outils pédagogiques existants. Les courants pédagogiques comme le behaviorisme, le constructivisme, le (psycho) socio-constructivisme ou encore le cognitivisme ont façonné la pédagogie moderne. L’étudiant en I.F.M.K. aura, dans le cadre de son exercice professionnel, à gérer de l’humain, à enseigner des mouvements ou de bonnes habitudes. Il devra parfois faire réapprendre, comme lors de rééducation des patients A.V.C.. L’auto-organisation, le conditionnement, la répétition, la motivation ou l’effet de groupe seront son lot quotidien. Dès lors, l’enjeu du formateur en neurologie est d’enseigner cela, d’adopter cette posture de formateur de futurs formateurs. Faire retrouver une capacité à un patient, c’est développer une compétence. « Rééduquer c’est informer » nous a enseigné Yves Picard, à l’heure de la promotion des méthodes sensori-motrices.
Nous pouvons ajouter désormais « Rééduquer, c’est enseigner ! »
En épilogue, nous souhaitions évoquer les méthodes historiques de rééducation neurologique (Bobath, Kabat, Bruunstrom, etc.) et nous interroger sur leur place à l’ère de l’E.B.P. Le choix n’est pas anodin car il illustre bien toute la difficulté d’enseigner la neurologie. Bien des étudiants (et anciens étudiants) pensent pouvoir employer ces techniques comme des monothérapies, de manière robotisée et systématique, voire dogmatique.
Faire accepter la complexité des situations est un des enjeux pédagogiques de la réingénierie. Permettre la réflexivité passe inéluctablement par le fait de penser nos dispositifs de formation. Il est donc fondamental de définir clairement l’intérêt de proposer l’enseignement de ces méthodes. Il est recevable de considérer que l’évocation des techniques de Kabat, par exemple, puisse se faire dans le cadre d’un apport sur l’histoire des techniques (comme est enseignée l’histoire de l’art à l’université). Il est concevable également de lui trouver une place dans la compréhension du fonctionnement neuro-musculaire, de l’analytique au global. Il est possible, enfin, de l’exploiter dans le but de développer l’habileté gestuelle des futurs professionnels. La liste n’est pas exhaustive. Il semblerait toutefois inapproprié de proposer son enseignement dans le cadre de l’apprentissage de techniques validées visant à développer la motricité du patient vasculaire. Les recommandations de la Haute Autorité de Santé devraient être privilégiées sur le sujet de ces techniques de neuro-rééducation.
Vincent FERRING
IFMK Nancy
Article paru dans la revue “Syndicat National de Formation en Masso-Kinésithérapie” / SNIFMK n°7