Conseils pratiques
Professeur Claude Hamonet. MPR, Université Paris-Est-Créteil, ex expert international à l'OMS (Genève), Consultation EhlersDanlos, Centre ELLAsanté, 29bis rue d'Astorg, 75008 Paris et Integrative systemic medicine, Boulogne-Billancourt 92100.
Le flou qui continue à exister autour de la maladie d'Ehlers-Danlos, malgré les avancées considérables de son diagnostic (1) sur un ensemble de signes cliniques et la mise en évidence, par la seule clinique (existence d'autres cas identiques dans la famille), du caractère héréditaire, contribue à créer autour de l'accouchement, des peurs infondées de la part des futures parturientes avec une maladie d'Ehlers-Danlos, mais aussi des obstétriciens, des sages-femmes et des anesthésistes. Elles sont souvent basées sur des descriptions inquiétantes retrouvées sur Internet ou diffusées par des réseaux sociaux. Certes, l'accouchement doit faire l'objet d'attentions particulières chez ces personnes aux tissus fragiles (possibilités de déchirures périnéales, d'hémorragies) avec des réactions utérines particulières du fait des désordres proprioceptifs, incluant la majoration des douleurs par hypersensorialité. Mais, si certaines précautions sont respectées, ces accouchements se déroulent sans conséquence fâcheuse pour la maman, comme pour l'enfant. Il est important de la dépister car elle est fréquente avec 17 millions de cas en Europe selon Brad Tinkle et Grahame (2) mais jamais diagnostiquée ou très tardivement, exposant ces patientes à de multiples complications, notamment lors des grossesses et des accouchements.
La dyspareunie est fréquente (1) souvent par hyperesthésie vaginale souvent bien corrigée par le gel de Xylocaïne.
Fécondation. Elle est difficile. Les fausses couches sont plus fréquentes que dans la population générale (1). Les grossesses extrautérines sont fréquemment rencontrées, sans avoir été chiffrées, dans notre cohorte de 5.700 patients, parfois à l'origine de complications sévères (hémorragie).
Durant la grossesse, une amélioration des symptômes (douleurs, fatigue, contrôle moteur) de la maladie d'Ehlers-Danlos peut s'observer, elle pourra se poursuivre au-delà de l'accouchement s'il y a allaitement. Ailleurs, c'est le contraire, avec accentuation des signes (dysautonomie, nausées, vertiges, troubles gastro-intestinaux). Des contractions utérines peuvent survenir avant le terme, nécessitant la mise au repos.
Le port d'une ceinture adaptée et des vêtement compressifs spéciaux pour Ehlers-Danlos sont fortement recommandés.
Au moment de l'accouchement, un grand nombre de patientes nous ont relaté la dissociation entre la survenue de contractions utérines, souvent très douloureuses, et l'absence de dilatation du col. Ceci peut s'expliquer par les troubles proprioceptifs qui constituent la base du raisonnement physiopathologique dans cette maladie. La synchronisation entre contractions utérines est ouverture du col étant défectueuse ou absente du fait de la déformation des signaux envoyés aux centres régulateurs. Cette situation est extrêmement pénible et peut se prolonger en l'absence d'action locale et/ou de prescription médicamenteuse facilitant l'ouverture du col utérin. Il apparaît que ce point assez particulier aux femmes avec un syndrome d'Ehlers-Danlos ne soit pas assez connu dans le monde de l'obstétrique.
L'instabilité articulaire et les syndromes de compression positionnels pendant l'accouchement. Du fait de l'imprégnation hormonale liée à la grossesse, les tissus déjà, souples, déformables, lâches et fragiles le sont davantage. Les risques de désordres articulaires habituels (blocages, subluxations, luxations) sont majorés. Ceci implique des précautions d'installation sur la table obstétricale, en mobilisant et positionnant les membres inférieurs avec précautions pour éviter un déplacement articulaire des hanches ou des genoux, ou des épaules. Si cela se produit, une remise en place de l'articulation est généralement facile à réaliser, au besoin après injection intramusculaires des muscles périarticulaires par de la Xylocaïne pour les relâcher. Pour les mêmes raisons, des compressions ou étirements de troncs nerveux superficiels (cubital/ulnaire au coude, sciatique poplité externe/ fibulaire commun aux genoux), sont possibles, il faut donc protéger ces zones. L'étirement du plexus brachial (pseudo-syndrome des scalènes) s'observe aussi, par laxité musculaire, compression et étirement. Là aussi la position des membres supérieurs, surtout s'il y a perfusions, doit être assurée en évitant les positions à risque. La notion de ces subluxations, y compris au niveau des hanches, ne nous paraît pas être un argument pour décider une césarienne.
Les hémorragies. Elles représentent le risque majeur. Elles sont la conséquence de la fragilité des petits vaisseaux et de leurs difficultés à se contracter pour faire cesser le saignement. Les plaquettes peuvent aussi être en cause lors de la formation du clou plaquettaire. Elles accompagnent les déchirures périnéales et les césariennes. Elles peuvent être tardives et parfois importantes en cas de rétention placentaire, impliquant une révision utérine de qualité et une surveillance du post-partum. Leur risque implique de disposer de possibilités de compensation sanguine.
La péridurale. Des avis alarmistes ont propagé l'idée qu'elle était formellement contre-indiquée à cause du risque de brèche méningée (durale). Ce risque est très faible et quasiment inexistant dans l'histoire des parturientes avec un SED que nous avons suivies. Il est considérablement réduit si on utilise des aiguilles fines non tranchantes en procédant avec douceur. En cas de brèche durale, elle peut être colmatée par la technique du "blood patch" qui consiste à introduire du sang dans le liquide céphalo-rachidien. Elle sera préférée à l'attitude d'attente d'une guérison spontanée qui est l'évolution habituelle (50 %) de ces brèches dans la population générale. Étant donnée la configuration des tissus dans le SED, nous estimons que la technique du "blood patch" doit être systématique si cet incident se produit.
Les effets anesthésiants de la péridurale sont parfois absents ou incomplets (hémianesthésie par exemple), probablement par diffusion trop rapide du produit dans des tissus très "souples". La solution est de réinjecter davantage de produit. L'importance des douleurs qui peuvent être considérables lors du travail, parfois plus long, chez ces femmes hyperalgiques, impose le recours à la péridurale. Des phénomènes de cause probablement analogue (diffusion trop rapide), s'observent dans les anesthésies générales : retard à l'induction, réveils précoces.
La césarienne. Elle a été trop facilement et inutilement pratiquée par des obstétriciens préoccupés, à tort, de risque utérins majeurs dans le SED, risques attribués à des formes estimées comme étant très rares de cette maladie. En fait, dans la quasi totalité des cas, la césarienne est contre-indiquée, en l'absence de dystocie. Les saignements, la fragilité des tissus, la persistance fréquente de douleurs cicatricielles et son inutilité obstétricale la font rejeter.
Les déchirures périnéales doivent être réparées avec des fils non résorbables, laissés en place suffisamment longtemps (déchirures possible).
Le danger des anticoagulants. Le risque hémorragique, généralisé à tous les organes, est très important chez ces patientes. L'indication habituelle est la phlébite dont le diagnostic peut être difficile chez une personne avec un syndrome d'Ehlers-Danlos, du fait de la fréquence des douleurs des mollets et la possibilité d’œdèmes des membres inférieurs et des images difficiles à interpréter à l'échographie. Si une décision de traitement anticoagulant est prise, elle doit être adaptée de façon à pouvoir être interrompue rapidement.
Les mobilisation du nouveau-né doivent se faire avec douceur, l'épaule, la hanche peuvent se luxer, un pied-bot n'est pas exceptionnel, les sutures crâniennes sont fragiles et les manœuvres ostéopathiques ne nous semblent pas indiquées ici. Si sa mère est atteinte, il est nécessairement atteint et son système osseux aussi. Si la mère n'a pas pris de Vitamine D en prévention, des fractures (côtes, humérus) peuvent se produire pour des contraintes minimes. Ceci doit être connu, car il n'est pas rare que les parents soient dénoncés au juge pour violences (4) par les médecins ou les travailleurs sociaux et que les enfants soient retirés aux parents.
Références
Claude Hamonet, Ehlers-Danlos la maladie oubliée par la médecine, 2éme édition 2019 l'Harmattan Paris.
2- Brad Tinkle, Marco Castori, Britta Berglund, Helen Cohen, Rodney Grahame, Hanadi Kazkaz, Howard Levy, Hypermobile Ehlers-Danlos syndrome (a.k.a. Ehlers-Danlos type III and Ehlers-Danlos syndrome hypermobility type), clinical description and natural history, American Journal of Medical Genetics Part 4 (Seminar sin Medical Genetics syndrome) (2017).
3- Justine Hugon-Rodin, Géraldine Lebègue, Stéphanie Becourt, Claude Hamonet, Anne Gompel, Gynecolodic symptomsand the influence on reproductive life in 386 women wih hypermobility type Ehlers-Danlos syndrome:a cohort study. Orphanet Journal of rRre Diseaes (2016) 11:24 DOI 10.1186:s 13023-016-0511-2.
4- Claude Hamonet, Marie de Jouvencel, Daniel Manicourt, Michael Holick, Ehlers-Danlos et fausses accusations de maltraitance, Gazette du Palais, 5 mars 2019, 139e année, n°9, pp19-21.
Pr Claude HAMONET
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Article paru dans la revue “Association des Gynécologues Obstétriciens en Formation” / AGOF n°19