À la une : isolement, contentions, quel regard sur les privations de libertés en psychiatrie ?

Publié le 26 May 2022 à 16:59

 

Pour mieux comprendre le sujet

Sans doute avez-vous déjà entendu parler du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)... Ce Contrôleur, c’est en réalité une équipe composée d’une personne à sa tête (le Contrôleur général à proprement parler, actuellement il s’agit de Mme Dominique Simonnot) et de plusieurs contrôleurs associés ainsi qu’un secrétaire général, des intervenants extérieurs, et du personnel administratif.

Le CGLPL a le statut d’autorité administrative indépendante. Cela signifie qu’il accomplit sa mission en toute indépendance : il ne reçoit d’instructions d’aucune autorité, et n’est pas missionné par le gouvernement.

Ce statut un peu particulier du CGLPL a été institué par la loi du 30 octobre 2007, suite à la ratification du protocole se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines et traitement cruels, inhumains et dégradants adopté par l’assemblée générale des Nations-Unis le 18 décembre 2002.

En quelques mots, le CGLPL a pour mission de veiller au respect des droits fondamentaux pour toutes les personnes privées de liberté, c’est-à-dire veiller à ce qu’elles soient traitées avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Toute la complexité de cette mission est de la mener en gardant en tête les considérations d’ordre et de sécurité publics.

Mais alors, qu’appelle-t-on droits fondamentaux exactement ?

En effet, d’après la loi, les personnes privées de liberté demeurent titulaires « des droits fondamentaux  », hormis pour leur liberté d’aller et venir.

Les droits fondamentaux, ce sont le droit à la vie, le droit à ne pas être soumis à la torture ou à un traitement dégradant ou inhumain, le droit à la protection de leur intégrité physique et psychique, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit au travail et à la formation, le droit à la liberté d’expression, de conscience et de pensée, le droit de vote…

Si certains de ces droits semblent inconditionnellement respectés en France en 2021, ce n’est pas toujours le cas malheureusement, et les unités de soins psychiatriques sans consentement en fournissent parfois l’exemple.

Pour mener à bien sa mission, le Contrôleur général peut visiter à tout moment, partout en France, n’importe quel lieu où des personnes sont privées de liberté : les établissements pénitentiaires de toute sorte, les établissements de santé et en particulier ceux où sont mis en œuvre des mesures de soins sans consentement, les UHSA, les centres éducatifs fermés, les unités médico-judiciaires, les locaux de garde à vue… La liste est longue !

Le Contrôleur général peut choisir librement et en toute autonomie les lieux ou établissements qu’il souhaite visiter, mais des courriers de saisine peuvent lui être adressés de manière à l’orienter vers certains lieux en particulier. Ses visites peuvent se dérouler de manière programmée ou bien complètement inattendue. Il peut également procéder à des investigations auprès des établissements visités lorsque les faits portés à sa connaissance semblent attenter aux droits fondamentaux d’une personne. A cette occasion, il peut se faire remettre tout document qu’il juge utile et se déplacer au sein de l’établissement concerné.

Le Contrôleur général établit suite à ces visites et investigations plusieurs documents qui sont en général rendus publics :

Pour chaque visite, un rapport de visite qu’il remet aux ministres concernés, puis des recommandations concernant la mesure à mettre en œuvre.
Un rapport d’activité annuel remis au Président de la République, au Premier ministre et au Parlement.
Des rapports thématiques ciblant une problématique spécifique à chaque fois ; par exemple « La nuit dans les lieux de privation de liberté » ou bien « Le personnel des lieux de privation de liberté ».

En 2020, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Mme Adeline Hazan à l’époque, a publié un rapport thématique intitulé « Soins sans consentement et droits fondamentaux ». Ce rapport, ainsi que tous les autres du CGLPL, est consultable gratuitement sur le site du CGLPL (cglpl.fr). Il est aussi disponible à l’achat en format livre.

Pour rédiger ce rapport, l’équipe du CGLPL a visité l’ensemble des établissements spécialisés en santé mentale et un grand nombre de services psychiatriques des hôpitaux généraux accueillant des patients admis en soins sans consentement.

Ces visites ont conduit au constat que l’hospitalisation à temps plein en psychiatrie s’accompagnait d’atteintes plus ou moins graves aux droits des patients avec une grande disparité selon les établissements. 

Régimes d’interdictions trop stricts, enfermements injustifiés, habillements imposés, isolements et contentions banalisées, informations non fournies, conditions d’hébergement indignes… Autant d’atteintes aux droits du patient qui sont loin d’être toujours justifiées par l’état clinique de la personne concernée.

L’observation des disparités inter-service et inter-établissement, les témoignages, les réflexions recueillies, ont permis d’avancer dans ce rapport des explications sur l’origine, les facteurs ou les motivations de ces atteintes aux droits et d’en montrer les effets délétères. L’idée de ce rapport thématique, que nous vous encourageons à lire, est aussi de proposer des pistes d’amélioration bien évidemment. Le rapport «  Soins sans consentement et droits fondamentaux  » du CGLPL aborde différents sou thèmes qui sont organisés en chapitres  :

• La place des soins sans consentement, leur cadre légal, l’évolution des pratiques au niveau national et international.
• Les défaillances ou insuffisances de ces mesures de soins sans consentement face à certaines situations.
• Les contraintes parfois injustifiées imposées par les établissements et qui dépassent le cadre légal de ce qui est en réalité imposable.
• Le manque d’information des patients qui, en pratique, peinent à faire valoir leurs droits.
• Les failles des lois de 2011 et 2013 régissant l’organisation des soins sans consentement

Un rapport parfois difficile à lire, révélateur de pratiques choquantes à certains moments. Mais c’est aussi une lecture porteuse d’espoir pour « une psychiatrie intégrée à la cité, au service d'usagers acteurs de leur parcours de soin » (intitulé de la conclusion du rapport). Le sujet est plus que jamais d’actualité avec la mise en place, depuis décembre 2020, du nouvel article de loi régissant les mesures d’isolement et de contentions dans le cadre des hospitalisations sans consentement en psychiatrie. La lecture du rapport complet du CGLPL permet d’avoir une vision plus large de la question des droits et libertés du patient, et donnera sans doute un peu de profondeur et un contexte plus général pour vos réflexions sur le sujet.

Nouvelle loi isolement et contentions : que faut-il comprendre ? Que faut-il retenir ?
L’adoption du nouvel article de loi concernant les mesures d’isolement et de contentions dans les services de psychiatrie hospitalière a fait beaucoup de bruit ces dernières semaines. Nous vous expliquons en détails le pourquoi et le comment de ce nouvel encadrement juridique des pratiques d’isolement et contentions.

De quel article, de quelle loi parle-t-on ?
Tous les ans, le gouvernement adopte une nouvelle loi concernant le budget de la Sécurité Sociale intitulée « Loi de financement de la Sécurité Sociale » (LFSS). La Constitution définit ainsi ces LFSS qui sont réactualisées chaque année : « les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses ».

En 2020, un article concernant un tout autre sujet s’est glissé dans la proposition de LFSS pour 2021 : un article visant à revoir l’encadrement légal des mesures d’isolement et contentions lors des hospitalisations sans consentement en psychiatrie. L’article en question proposait de nombreuses modifications et ajouts à l’article L3222-5-1 du Code de la Santé Publique, le texte qui définissait jusqu’alors l’encadrement de telles mesures.

La LFSS 2021 a été promulguée le 14 décembre 2020, et les modifications proposées pour l’article L3222-5-1 ont donc été adoptées. Cela a comme répercussions de nombreux changements sur notre pratique médicale concernant les mesures d’isolement et de contentions.

Comment a été modifié l’article L3222-5-1 ?
Pour plus de clarté, nous vous proposons un regard comparatif sur les deux versions de l’article (version 2016 versus version 2020).

AVANT
Article L3222-5-1 du Code de la Santé Publique Créé par la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 (article 72)

L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d'un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin.

Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143-1

MAINTENANT
Article L3222-5-1 du Code la Santé Publique Modifié par la loi n°2020-1576 promulguée le 14 décembre 2020 (article 84) Entrée en vigueur le 16 décembre 2020 Décrets d’application en cours de rédaction

I.- L'isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours et ne peuvent concerner que des patients en hospitalisation complète sans consentement. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision motivée d'un psychiatre et uniquement de manière adaptée, nécessaire et proportionnée au risque après évaluation du patient. Leur mise en œuvre doit faire l'objet d'une surveillance stricte, somatique et psychiatrique, confiée par l'établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin et tracée dans le dossier médical.

II.- La mesure d'isolement est prise pour une durée maximale de douze heures. Si l'état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de douze heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d'une durée totale de quarante-huit heures.

La mesure de contention est prise dans le cadre d'une mesure d'isolement pour une durée maximale de six heures. Si l'état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée par périodes maximales de six heures dans les mêmes conditions et selon les mêmes modalités, dans la limite d'une durée totale de vingt-quatre heures.

A titre exceptionnel, le médecin peut renouveler, au-delà des durées totales prévues aux deux premiers alinéas du présent II, la mesure d'isolement ou de contention, dans le respect des autres conditions prévues aux mêmes deux premiers alinéas. Le médecin informe sans délai le juge des libertés et de la détention, qui peut se saisir d'office pour mettre fin à la mesure, ainsi que les personnes mentionnées à l'article L. 3211-12 dès lors qu'elles sont identifiées. Le médecin fait part à ces personnes de leur droit de saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de mainlevée de la mesure en application du même article L. 3211-12 et des modalités de saisine de ce juge. En cas de saisine, le juge des libertés et de la détention statue dans un délai de vingt-quatre heures.

Les mesures d'isolement et de contention peuvent également faire l'objet d'un contrôle par le juge des libertés et de la détention en application du IV de l'article L. 3211-12-1.

Pour l'application du présent II, une mesure d'isolement ou de contention est regardée comme une nouvelle mesure lorsqu'elle est prise au moins quarante-huit heures après une précédente mesure d'isolement ou de contention. En-deçà de ce délai, sa durée s'ajoute à celle des mesures d'isolement et de contention qui la précèdent et les dispositions des trois premiers alinéas du présent II relatifs au renouvellement des mesures lui sont applicables.

L'information prévue au troisième alinéa du présent II est également délivrée lorsque le médecin prend plusieurs mesures d'une durée cumulée de quarantehuit heures pour l'isolement et de vingt-quatre heures pour la contention sur une période de quinze jours.

Un décret en Conseil d'Etat précise les conditions d'application du présent II.

III.-Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l'agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l'article L. 3222-1. Pour chaque mesure d'isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, un identifiant du patient concerné ainsi que son âge, son mode d'hospitalisation, la date et l'heure de début de la mesure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Le registre, établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.

L'établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l'article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l'article L. 6143-1.

Pourquoi revoir et modifier l’article qui existait déjà sur le sujet ?
Cette révision de l’article déjà existant a été demandée en juin 2020 par le Conseil constitutionnel (décision n°2020-844 QPC du 19 juin 2020). L’article qui était jusqu’alors en vigueur avait été jugé « contraire à la Constitution » par le Conseil Constitutionnel.

En effet, le texte légal en vigueur jusque-là (pour rappel, l’article L3222-5-1 du CSP version 2016) restait très flou sur les durées légales des mesures d’isolement et de contentions, sur leurs conditions de renouvellement et sur la façon dont elles étaient évaluées ou contrôlées par le juge des libertés. L’encadrement légal était jugé insuffisant pour garantir une réelle protection des droits fondamentaux des personnes hospitalisées privées de leurs libertés. Il était par exemple précisé que les mesures d’isolement et de contentions devaient être mises en œuvre pour « une durée limitée », mais sans limite de durée précise.

Le Conseil Constitutionnel avait laissé au gouvernement jusqu’au 31 décembre 2020 pour proposer un nouveau texte qui soit donc plus encadrant et permettant de protéger au mieux les patients d’une violation de leurs droits fondamentaux et garantir le respect de leur dignité.

Pourquoi glisser cette proposition de nouvel article dans la LFSS ?
On peut en effet se questionner, le sujet de l’encadrement des isolements et contentions n’apparaissant pas directement en lien avec les questions de budget de la Sécurité Sociale.

En droit, c’est ce qu’on appelle « un cavalier social » : une disposition dont la présence dans une loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est théoriquement proscrite, car ne relevant pas du domaine des LFSS. Pour résumer, un article de loi qui n’a rien à faire dans le projet dans lequel il est présenté (qu’on peut appeler « cavalier législatif » de manière plus large).

Les « cavaliers sociaux » sont à risque d’être censurés par le Conseil Constitutionnel car on estime que ces propositions n’ont pas été mises en avant comme il l’aurait fallu, et qu’elles n’avaient pas leur place dans la LFSS.

A ce jour, même si la LFSS 2020 a été promulguée et est entrée en vigueur, l’article en question est donc à risque d’être censuré par le Conseil Constitutionnel, ce qui impliquerait donc de nouveaux rebondissements.

Qu’est-ce que cela change en pratique ?
• Sur la mise en œuvre des mesures d’isolement et de contention :
Le nouvel article précise que seuls sont concernés par l’isolement et la contention les patients en hospitalisation complète sans consentement. Avant, il n’y avait aucune précision sur les patients concernés ou non par ce type de mesures.

Dorénavant, le psychiatre doit préciser le motif ayant conduit à la décision d’une telle mesure.

Autre nouveauté, il est précisé que la surveillance soignante effectuée doit être une surveillance somatique ET psychiatrique et elle doit être tracée dans le dossier du patient (ce qui n’était pas exigé auparavant).

• Sur la durée de l’isolement et de la contention Avant, l’article ne précisait pas les durées limites pour lesquelles les mesures d’isolement / contentions pouvaient être mises en œuvre. Désormais :

• Une mesure d’isolement est valable pour une durée maximale de 12 heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée pour des périodes de 12h maximum, au plus 4 fois soit pour une durée totale de 48h.

• Une mesure de contention est valable pour une durée maximale de 6 heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée pour des périodes de 6 heures maximum, au plus 4 fois soit pour une durée totale de 24 heures.
A titre exceptionnel, le psychiatre peut renouveler, au-delà de ces durées totales mais il devra dans ce cas en informer obligatoirement et immédiatement le juge des libertés et de la détention (JLD).

• Sur le contrôle des mesures Le juge des libertés et de la détention doit être informé immédiatement par le médecin psychiatre en cas de renouvellement d’une mesure au-delà des durées totales fixées par le texte (si on dépasse 48h d’isolement ou bien 24h de contentions).

Le JLD peut alors se saisir lui-même ou être saisi par le patient ou son entourage ou le Procureur de la République, suite à quoi il doit statuer dans un délai de 24 heures. Le JLD statue sans audience selon une procédure écrite. Mais le patient ou le demandeur (entourage par exemple) peut demander à être entendu par le JLD, auquel cas cette audition est de droit et toute demande peut être présentée oralement.
L’audition du patient ou du demandeur peut être réalisée par tout moyen de télécommunication audiovisuelle ou, en cas d’impossibilité avérée, par communication téléphonique, à condition qu’il y ait expressément consenti. L’audition du patient ne peut être réalisée grâce à ce procédé que si un avis médical atteste que son état mental n’y fait pas obstacle

Qu’est-ce que cela pose comme problèmes potentiels ?
• Pour les patients et les usagers De nombreuses critiques de ce nouvel article ont émergé suite à sa publication officielle (et même avant). La plupart des associations d’usagers réclamaient un contrôle systématique et obligatoire de toutes les mesures d’isolement et de contention : ce n’est pas le cas avec le nouveau texte. Le contrôle des mesures est désormais renforcé avec une information obligatoire au JLD dès lors qu’on dépasse les durées limites fixées, mais le JLD n’est pas automatiquement saisi par chaque situation. La saisine du juge et l’audience ne sont pas automatiques, et demandent que le patient ou une personne de son entourage soit en mesure de pouvoir le réclamer, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. Par ailleurs, on peut craindre que, submergé par un grand nombre d’écrits d’informations, le JLD ne puisse effectuer un réel contrôle de qualité et se transforme en une simple «  chambre d’enregistrement ».

Pour les médecins et notamment les internes en psychiatrie
De nombreux médecins et internes soulèvent la difficulté d’application de ce nouvel article sur plusieurs aspects.

En effet, la loi impose désormais une réévaluation et un renouvellement écrit toutes les 12h pour une mesure d’isolement. Ce qui implique pour chaque garde de nuit de passer faire le renouvellement de toutes les chambres d’isolement. Cette tâche, bien souvent, incombe aux internes de garde en EPSM ou CHS. Certains internes nous expliquent se retrouver dans certains établissements submergés en garde par leur charge de travail habituelle (gestion des situations d’urgence et des admissions) mais de surcroit par le renouvellement des chambres d’isolement (qui peut prendre plusieurs heures, certains EPSM en comptant plus de 10). Ils déplorent, bien souvent, de ne pas être épaulés par les séniors pour cette charge de travail supplémentaire.

C’est prendre le risque d’une réévaluation des mesures « à la va vite », au détriment des droits des patients, l’objet même de ce nouvel article de loi… Les établissements ne sont souvent pas en mesure de mettre en place une deuxième ligne de garde qui seraient dédiée au renouvellement nocturne des CSI, ce qui semblerait pourtant nécessaire dans certains lieux de soins.

Il est à mentionner que le texte de loi précise que les mesures d’isolement et contentions peuvent être prise par « le psychiatre » mais aucune précision supplémentaire n’est ajoutée… Psychiatre thésé ou non thésé ? Les internes sont-ils inclus dedans ? Et quid du statut particulier des Dr Juniors ? Les décrets d’application du texte, qui devraient sortir courant février, le préciseront peut-être…

• Sur un plan purement législatif On souligne que les décrets d’application de ce nouveau texte ne sont pas encore sortis et devraient être publiés au cours du mois de février 2021. Ils préciseront les modalités d’application pratique de la loi et pourraient apporter un éclairage particulier.

Par ailleurs, le texte n’a pas bénéficié de la révision constitutionnelle comme c’est le cas d’ordinaire. Que va donc penser le Conseil Constitutionnel de ce nouvel article ? Le jugera-t-il satisfaisant par rapport aux attentes de protection des droits fondamentaux exigées initialement ? Il est possible que le Conseil Constitutionnel censure de nouveau ce texte en exigeant qu’il soit réécrit, mais nous n’en savons pas plus pour le moment.

Enfin, un vide juridique persiste pour les cas particuliers : quid de l’isolement et de la contention pour des patients en soins libres dans un contexte de crise aiguë par exemple ? Le texte actuel a visiblement des lacunes.

En conclusion…
Vous l’aurez compris, la problématique est complexe et épineuse. Le nouvel article, censé garantir au mieux les droits et libertés individuelles des patients, semble un peu léger à certains égards pour remplir pleinement cette mission. Même s’il encadre avec plus de fermeté ces mesures, notamment en fixant des durées limites, on est en droit de se demander si cela sera suffisant et de se questionner sur l’avis qui sera rendu par le Conseil Constitutionnel. En attendant de voir apparaître les décrets d’application et l’avis du Conseil Constitutionnel, médecins et internes vont devoir s’adapter à ce nouvel encadrement légal en modifiant leurs pratiques.

L’AFFEP, informée de la situation, fait actuellement le tour des subdivisions afin de recueillir vos ressentis et problématiques en tant qu’internes face à l’application de cette nouvelle loi. Affaire à suivre…

Pour aller plus loin, quelques sources
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042665379#:~:text=%C2%AB%20La%20mesure%20de%20contention%20est,dur%C3%A9e%20maximale%20de%20six%20
heures.&text=%C2%AB%20Les%20mesures%20d'isolement%20et,IV%20de%20l'article%20L.
https://www.cneh.fr/blog-jurisante/publications/psychiatrie-et-sante-mentale/la-reecriture-de-larticle-du-csp-sur-lisolement-et-la-contention-en-psychiatrie-dans-la-lfss-pour-2021/
https://sphweb.fr/wp-content/uploads/2020/12/article-84-PLFSS-communiq.pdf
https://www.santementale.fr/actualites/la-loi-de-financement-de-la-securite-sociale-pour-2021-entre-en-vigueur.html
https://fedepsychiatrie.fr/missions/soins-sans-consentement/

            Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°28

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Publié le 1653577185000