Pourquoi/comment vous est venue l’idée de cette enquête?
L’idée de réaliser une enquête faisant un état des lieux de l’utilisation de l’outil informatique en psychiatrie a vu le jour il y a déjà 2 ans lors de l’assemblée générale des référents AFFEP. Nombre d’entre eux rapportaient, en effet, l’existence de cours sous forme de visioconférence dans leur subdivision, les avis étant partagés quant aux avantages et inconvénients de ceux-ci. Nous avions alors évoqué le manque de données relatives à l’utilisation de l’informatique dans le domaine pédagogique en psychiatrie.
L’année suivante, le nombre important de communications ayant attrait à l’utilisation d’outils de soins connectés lors des congrès et les nombreuses interrogations des internes par rapport à ce sujet nous a définitivement convaincu de l’interêt d’une enquête nationale sur le thème global de l’e-psychiatrie.
Quels étaient les buts de cette enquête?
L’e-santé est en plein essor et de multiples initiatives gouvernementales ont vu le jour récemment pour mieux préparer les soignants à la révolution en cours (livre blanc santé connectée réalisé par le conseil national de l’ordre des médecins, MOOC d’initiation à l’e-santé sur le site http://esante.gouv.fr/ de l’ASIPsanté…).
A l’époque d’une médecine 2.0, la psychiatrie ne fait pas exception à la règle et voit émerger de nouvelles pratiques liées à la présence quotidienne de l’informatique et d’internet.
Nous voulions donc réaliser un état des lieux des pratiques, des besoins et des volontés des internes en psychiatrie concernant l’« e-psychiatrie » devant le constat de la nécessité d’une formation aux nouveaux outils pédagogiques et thérapeutiques.
En somme, nous voulions savoir comment et à quoi voulaient se former les internes dans ce domaine afin de prendre en compte ces informations dans la discussion ayant pour objectif l’harmonisation des enseignements de notre DES à échelle nationale (discussion s’inscrivant dans le contexte de la réforme du 3ème cycle des études médicales)…
Et maintenant, où en est-on ?
Nous venons récemment de finir l’analyse statistique de l’enquête et nous avons présenté en avant première une partie des résultats au congrès de l’Encéphale 2016.
Ceux-ci seront également présentés à l’occasion de congrès futurs et des assemblées générales du collège national des universitaires de psychiatrie afin de les faire rentrer en ligne de compte dans l’élaboration finale de la nouvelle maquette.
Bénédicte BARBOTIN
Présidente de l’AFFEP
Mircea RADU
Vice-président de l’AFFEP
Résultats de l’enquête
A l’époque d’une médecine 2.0, la psychiatrie ne fait pas exception à la règle et voit émerger de nouvelles pratiques liées à la présence quotidienne de l’informatique et d’internet.
C’est dans ce contexte, que l’Association Française Fédérative des Étudiants en Psychiatrie (AFFEP) a réalisé une enquête afin de faire un état des lieux des pratiques, des besoins et des volontés des internes en psychiatrie français concernant l’« e-psychiatrie ».
Trois grands axes de travail ont été ciblés lors de cette étude : la pédagogie, la pratique clinique, et les questions relatives à la sécurité ainsi qu’à la responsabilité dues à l’utilisation de l’outil informatique.
Le taux de participation pour cette enquête a été de 50,4 % avec 646 réponses sur 1282 internes adhérents.
L’analyse des données sociodémographiques témoigne d’une répartition équilibrée des répondants entre les différentes promotions d’internat.
Plus de 90 % des internes possèdent à titre personnel un ordinateur portable et un smartphone alors que 20 % ne bénéficient d’aucun outil informatique sur leur lieu de stage.
Malgré une préférence pour les livres en format papier, les internes plébiscitent les supports pédagogiques en ligne (au moins 25 % en première intention)
Notre questionnaire a montré que les régions dotées d’enseignement par visioconférence étaient également celles où les internes étaient le moins favorables au développement de ce type d’enseignement.
Etes-vous favorable au développement de cours par visioconférence ?
Pour ce qui est de la pratique clinique, les internes sont majoritairement en faveur de l’utilisation d’outils de soins connectés (85 % pour les serious games et la réalité virtuelle). Plus de 50 % d’entre eux n’étaient cependant pas informés de leur existence et de leurs indications avant notre étude.Cet engouement pour les nouvelles technologies ne doit pas faire oublier les risques d’épuisement au travail engendrés par l’hyper-accessibilité aux données médicales. Certaines informations recueillies nous alertent en ce sens : 48 % des répondants attestent recevoir des données professionnelles sur leurs équipements personnels ; plus de 65 % les consultent au domicile et plus de 30 % pendant leurs congés.
Notre enquête montre donc qu’il semble essentiel de former les internes à ces nouveaux outils pédagogiques et thérapeutiques tout en les sensibilisant aux risques que ceux-ci peuvent occasionner
2014-2015 : Enquête « Santé mentale des internes en psychiatrie »
L’idée de cette enquête nous est venue suite à la première Assemblée générale des référents AFFEP de 2014. Au moment du point à l’ordre du jour dévolu aux problématiques locales, nous nous sommes aperçus qu’un certain nombre de référents connaissait les mêmes difficultés dans leur subdivision lorsqu’un de leurs co-internes présentait des troubles psychiatriques ou psychologiques : personne ne savait véritablement comment agir, qui contacter, ou qui faire intervenir. Le coordinateur local n’était pas systématiquement informé, l’interne concerné était parfois mis en arrêt de travail, dans certains cas il était interdit de prescription ou d’entretien, quelques fois réorienté vers une autre spécialité. De façon quasi-systématique, l’association locale des internes et les co-internes de l’interne en souffrance étaient directement impliqués pour venir en aide à leur collègue et semblaient souvent désemparés. Et de façon étonnante, les dispositifs existants censés évaluer, aider, orienter les internes concernés n’étaient pas ou rarement sollicités ou effectifs (médecine du travail, médecine universitaire, médecin traitant, comités médicaux). Face à certaines situations à l’issue dramatique et pour éviter d’être à nouveau démunis, les internes référents AFFEP s’interrogeaient sur les dispositions à prendre dans ces situations. A l’issue de cette journée, cette question de la prise en charge des internes du DES de psychiatrie en souffrance nous est apparue essentielle à creuser, et nous avons donc voulu utiliser les ressources de l’AFFEP pour tenter d’y voir un peu plus clair...
Notre objectif était double : faire un état des lieux succin des situations qui avaient pu être rencontrées et de la façon dont celles-ci avaient été gérées individuellement, et identifier des propositions de prise en charge pouvant servir de piste de réflexion pour l’élaboration de recommandations consensuelles.
En plus d’interroger les référents locaux de l’association, il nous est apparu important d’interroger les coordinateurs locaux de psychiatrie adulte et de pédopsychiatrie sur ce sujet, du fait de leur statut et de leur rôle clé. Au-delà d’avoir leur point de vue, notre objectif est d’élaborer avec eux, et à partir des résultats de l’enquête, un certain nombre de recommandations de prévention et de prise en charge les plus consensuelles possibles, tout en tenant compte de la spécificité de chaque situation. Dans cette perspective, un groupe de travail s’est constitué entre l’AFFEP et certains membres du CNUP depuis la présentation des résultats au CFP en novembre 2015 à Lille et à l’Encéphale en janvier 2016.
Ce projet nous tient particulièrement à cœur et nous entamons juste le travail de réflexion. Nous espérons poursuivre l’aventure en intégrant l’AJPJA au groupe de travail !
Benjamin LAVIGNE
Ancien coordinateur National AFFEP
Coordonnateur National AJPJA*
Marine LARDINOIS
Ancienne Vice-Présidente AFFEP
Présidente AJPJA*
Santé Mentale des Internes en Psychiatrie : quelle prise en charge et quelles recommandations ?
LARDINOIS M., LAVIGNE B. LEPETIT A.DONDÉ C., BARBOTIN B.
Centre Hospitalier de Boulogne-sur-mer, Service d’Accueil d’Urgence – Centre Hospitalier Régional Universitaire (CHRU) de Lille, consultation régionale du Psychotraumatisme Adultes, France ; Centre Hospitalier Esquirol, Pôle Universitaire de Psychiatrie de l’Adulte et de la Personne Âgée, Limoges, France ; Centre Hospitalier Les Charpennes – Hospices Civiles de Lyon, Equipe Mobile Maladie d’Alzheimer, Villeurbanne, France ; Centre Hospitalier Lyon Sud – Service de Psychiatrie de Liaison, Pierre-Bénite, France ; Centre Hospitalier Courbevoie – Neuilly – Puteaux, Unité d’accueil et de crise pour adolescents, Neuilly-sur-Seine, France ;. Anciens membres du bureau de l’AFFEP (2013-2015) ; Délégué EFPT à l’AFFEP ; 7. Présidente de l’AFFEP
- L’internat est considéré comme une période de stress chronique élevé pour les étudiants en médecine qui doivent relever le défi d’apprendre à travailler en équipe, de devenir des médecins compétents, responsables et empathiques, dans un climat parfois compétitif. Des travaux récents retrouvent une prévalence de la dépression d’environ 30 %1 ainsi qu’une augmentation significative de la prévalence du burn-out et des symptômes d’anxiété au cours de l’internat2 .
• Contexte : Les internes en souffrance psychique ou qui souffrent de troubles psychiatriques se tournent peu vers les professionnels de santé3 et l’aggravation des symptômes retentit sur leur fonctionnement, notamment professionnel4,5. Actuellement, il n’existe pas en France de recommandations claires relatives à la prise en charge médicale et universitaire des internes en souffrance.
• Objectifs : Evaluer la prévalence des internes du DES de Psychiatrie en situation de souffrance psychique. Décrire les modalités de prise en charge sanitaire et universitaire mises en place pour ces internes. Proposer des options de prise en charge consensuelles.
Materiel et méthode
• Enquête par questionnaire GoogleForm (15-20 minutes).
• 3 populations sondées :
> Internes référents de l’Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie (AFFEP) de chaque subdivision d’internat (n = 28) (figure 1) ;
> Coordonnateurs locaux du Diplôme d’Etudes Spécialisées de Psychiatrie (n = 28) ;
> Coordonnateurs locaux du Diplôme d’Etudes Spécialisées Complémentaire de Pédopsychiatrie (n = 21).
Figure 1. Carte des 28 subdivisions d’internat en France. Le réseau national de l’AFFEP comporte 28 référents locaux soit 1 interne par subdivision
Résultats
• Taux de réponse
Référents AFFEP : 100 % (n = 28)
Coordonnateurs : 37 % (n = 18; DES + DESC Pédopsychiatrie)
• Prévalence des internes en situation de souffrance psychique
Prévalence sur 2 ans : 2013-2014 et 2014-2015 ; n = 86 internes répartis dans 24/28 subdivision ; Répartition homogène sur les 4 années de DES (figure 2) ;
Figure 2. Répartition du nombre d’interne en situation de souffrance psychique en fonction de l’année de DES (n = 86).
- Conséquences professionnelles déclarées
Figure 3. Conséquences professionnelles déclarées par les 24 référents des 24 subdivisions concernées. Les trois conséquences les plus fréquemment rapportées étaient : difficultés en stage (déclaré par 21 référents) ; arrêt de travail (déclaré par 18 référents) ; absentéisme (déclaré par 10 référents). Les résultats obtenus dans le groupe des coordonnateurs étaient comparables.
- Rencontre avec le coordonnateur local de DES
Figure 4. A. Proportion d’internes en difficulté ayant rencontré ou non le coordonnateur local de DES ; NSP : ne sait pas. B. à gauche : Proportion des internes référents AFFEP (n=28) qui pensent que la rencontre avec le coordonnateur local de DES est nécessaire ou non ; B. à droite : Proportion des coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18) qui pensent que la rencontre avec le coordonnateur local de DES est nécessaire ou non.
- Connaissance du dispositif des comités médicaux
Figure 4. A1. à gauche : Proportion d’internes référents AFFEP (n=28) qui connaissent ou non le dispositif des comités médicaux ; à droite : Parmi les référents qui connaissent le dispositif, répartition de ceux qui en connaissent ou non le rôle. A2. Résultats A1 chez les coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18). B1. Proportion des internes référents AFFEP (n=28) qui pensent ou non que le comité médical est un dispositif utile à la prise en charge des internes en souffrance psychique ; B2. Proportion des coordonnateurs locaux (DES + DESC ; n=18) qui pensent ou non que le comité médical est un dispositif utile à la prise en charge des internes en souffrance psychique.
- Premier intervenant impliqué
Figure 5. Premier intervenant impliqué toutes situations confondues. Internes = association locale des internes, co-interne de stage, interne en difficulté lui-même ; Médecins = chef de service ou du pôle, PH ou CCA ou Assistant de l’unité ; Proche = famille, amis ; NSP = ne sait pas.
- Temporalité des mesures d’aide mises en place
Mesures immédiates les plus fréquemment rapportées par les internes référents AFFEP (n = 24) : arrêt de travail (déclaré par 10 référents) ; invalidation de stage (déclaré par 8 référents) ; aménagement des gardes (déclaré par 6 référents).
Mesures à moyen terme les plus fréquemment rapportées par les internes référents AFFEP (n = 24) : aménagement des gardes (déclaré par 7 référents) ; réorientation (déclaré par 5 référents) ; interdiction de prescriptions non séniorisées (déclaré par 5 référents) ; invalidation du stage (déclaré par 5 référents)
Figure 6. A. Proportion des internes en difficulté pour lesquelles des mesures d’aide ont été mises en place ou non immédiatement (n = 86) ;
B. à gauche : Proportion des cas où des mesures d’aide ont été mises en place à moyen terme (non/oui) ou non (non/non) lorsque cela n’était pas fait immédiatement.
B. à droite : Proportion des cas où des mesures d’aide ont été mises en place à moyen terme (oui/oui) ou non (oui/non) lorsque cela était fait immédiatement. NSP : ne sait pas ; NSAP : ne s’applique pas.
- Intervenant à solliciter en premier
Figure 7. A. Intervenant qui serait à solliciter en premier dans la prise en charge d’un interne en difficulté du point de vue des internes référents AFFEP (n = 28) ; B. Intervenant qui serait à solliciter en premier dans la prise en charge d’un interne en difficulté du point de vue des coordonnateurs locaux (n = 18 ; DES + DESC).
Figure 8 . A. Mesure d’aide professionnelle la plus importante qui serait à mettre en place du point de vue des internes référents AFFEP (n = 28) ; B. Mesure d’aide professionnelle la plus importante à mettre en place du point de vue des coordonnateurs locaux (n = 18 ; DES + DESC).
Conclusion
Les cas d’internes en DES de Psychiatrie en souffrance psychique ne sont pas rares.
Les conséquences professionnelles et personnelles sont potentiellement graves (suicide).
Les internes sont fréquemment sollicités et sont très souvent les premiers impliqués dans la prise en charge de leurs pairs.
Il existe une méconnaissance et une inefficacité des dispositifs d’aide et de prise en charge conventionnels (comité médical, médecine du travail et universitaire).
Le rôle perçu du coordonnateur local apparaît central dans l’initiation de mesures d’aide, de même qu’une prise en charge précoce des internes en difficulté. Les mesures d’aménagement du temps de travail et la séniorisation semblent être les principales mesures d’aide souhaitées par les internes et les coordonnateurs.
La constitution d’un groupe de réflexion entre les internes et les universitaires (AFFEP-CNUP) pourrait permettre d’élaborer des recommandations consensuelles et spécifiques aux internes du DES de Psychiatrie en souffrance psychique. Ces recommandations pourraient servir une réflexion plus large sur la santé mentale des internes quelle que soit leur spécialité
Références bibliographiques : 1. Mata D.A., et al., Prevalence of Depression and Depressive Symptoms Among Resident Physicians : A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA. 314, 2373 (2015). 2. I. Ahmed, H. et al., Cognitive emotions : depression and anxiety in medical students and staff. Journal of critical care. 24, e1–e7 (2009). 3. Chew-Graham C.A. et al., “I wouldn”t want it on my CV or their records’: medical students’ experiences of help-seeking for mental health problems. Medical education. 37, 873–880 (2003). 4. Fahrenkopf A.M. et al., Rates of medication errors among depressed and burnt out residents : prospective cohort study. BMJ. 336, 488–491 (2008). 5. Pereira-Lima K. et al., Burnout, anxiety, depression, and social skills in medical residents. Psychol Health Med. Epub 2014 Jul 17. 5.
Article paru dans la revue “Association Française Fédérative des Etudiants en Psychiatrie ” / AFFEP n°16